LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er février 2023
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 79 F-D
Pourvoi n° P 21-16.380
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER FÉVRIER 2023
1°/ M. [G] [Y],
2°/ Mme [E] [X], épouse [Y],
tous deux domiciliés [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° P 21-16.380 contre l'arrêt rendu le 19 janvier 2021 par la cour d'appel de Pau (1re chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Saint-Cyr, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la société [M], Rolle, Calvet,
2°/ à la société la Caisse régionale normande de financement (NORFI), dont le siège est [Adresse 1],
3°/ à la société Ekip, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société François Legrand, pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Granges d'Espiaube, société civile de construction vente
4°/ à la société Les Granges d'Espiaube, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bruyère, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. et Mme [Y], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Saint-Cyr, et l'avis de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Bruyère, conseiller rapporteur, M. Hascher, conseiller le plus ancien faisant fonction de doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. et Mme [Y] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la Caisse régionale normande de financement Norfi, la société Ekip et la société Les Granges d'Espiaube.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 19 janvier 2021), suivant acte authentique reçu le 10 octobre 2007 par M. [M] (le notaire), notaire associé de la SCP [M], Rolle, Calvet, aux droits de laquelle vient la SCP Saint Cyr (la SCP), M. et Mme [Y] (les acquéreurs) ont acquis des lots au sein d'une résidence en l'état futur d'achèvement, avec un objectif de défiscalisation.
3. La livraison n'est pas intervenue.
4. Les acquéreurs ont assigné la SCP en responsabilité et indemnisation pour manquement du notaire à son devoir de conseil.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Les acquéreurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes contre la SCP alors « que le devoir de conseil du notaire s'apprécie au regard du but poursuivi par les parties ; qu'en se bornant à retenir que l'officier public n'avait pas l'obligation d'informer l'acquéreur du risque d'échec du programme immobilier qu'il ne pouvait suspecter le jour de la signature de l'acte sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, s'il était tenu, nonobstant l'absence d'indices d'un risque d'échec de l'opération, d'instruire les acquéreurs des risques mécaniques nés des conditions posées par la loi de défiscalisation et de leur fournir l'ensemble des informations sur les obligations à respecter afin d'obtenir effectivement les avantages fiscaux prévus, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1231-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
6. Il résulte de ce texte que le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l'acte auquel il prête son concours.
7. Pour rejeter la demande des acquéreurs, l'arrêt retient que l'absence de classement en résidence de tourisme, l'impossibilité de mise en location et le redressement fiscal subséquent sont liés, non pas à un marché défaillant dès l'origine, mais au défaut de livraison consécutif à des problèmes de construction, spécialement aux défaillances du mur de soutènement de la route contournant les immeubles, que le notaire ne pouvait suspecter au jour de la vente.
8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le notaire n'avait pas manqué à son obligation d'information et de conseil en s'abstenant d'attirer l'attention des acquéreurs sur le risque de perte des avantages fiscaux en cas de refus de classement de l'immeuble en résidence de tourisme, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. et Mme [Y] de leurs demandes dirigées contre la SCP Saint Cyr, l'arrêt rendu le 19 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la SCP Saint Cyr aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la SCP Saint Cyr et la condamne à payer à M. et Mme [Y] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [Y].
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté les acquéreurs d'un immeuble en état futur d'achèvement (M. et Mme [Y], les exposants) de leurs demandes contre le notaire instrumentaire (la Scp Saint Cyr) ;
ALORS QUE, d'une part, le devoir de conseil du notaire s'apprécie au regard du but poursuivi par les parties ; qu'en se bornant à retenir que l'officier public n'avait pas l'obligation d'informer l'acquéreur du risque d'échec du programme immobilier qu'il ne pouvait suspecter le jour de la signature de l'acte sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, s'il était tenu, nonobstant l'absence d'indices d'un risque d'échec de l'opération, d'instruire les acquéreurs des risques mécaniques nés des conditions posées par la loi de défiscalisation et de leur fournir l'ensemble des informations sur les obligations à respecter afin d'obtenir effectivement les avantages fiscaux prévus, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1231-1 du code civil ;
ALORS QUE, d'autre part, les exposants faisaient valoir (v. leurs concl. n° 5, p. 22) que l'insuffisance de la garantie extrinsèque d'achèvement dans son montant et sa durée était établie par le pré-rapport d'expertise du 9 février 2015 ainsi que par l'inadéquation manifeste entre le montant prévisionnel du chantier fixé dès le commencement de l'opération à la somme de 5 723 548 € et celui de la garantie d'achèvement s'élevant à la somme de 600 000 € ; qu'en se bornant, pour écarter la responsabilité du notaire pour manquement à son devoir de conseil relatif à la garantie extrinsèque d'achèvement, à retenir que, deux garanties avaient été souscrites, l'une de 600 000 € et l'autre de 2 044 000 €, et que, ne les ayant pas mises en oeuvre, les exposants ne permettaient pas de s'assurer de leur insuffisance, qui ne se déduisait pas de leur montant au moment de la signature du contrat, sans répondre à leurs conclusions soulignant que le montant prévisionnel des travaux à garantir s'élevait à une somme de 5 723 548 € largement supérieure au montant des garanties, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, en outre, les exposants observaient (v. leurs concl., pp. 29-30) que les faits délictueux reprochés à Maître [M] de complicité d'escroquerie avaient été à l'origine de leur préjudice constitué de l'impossibilité de disposer de leur bien, l'appauvrissement de la venderesse ayant fait obstacle à l'édification du mur de soutènement préconisé par l'expert, et du versement en pure perte des échéances de paiement du prix de vente ; qu'en retenant, pour écarter la responsabilité du notaire, que les faits à lui reprochés étaient postérieurs à la date d'achèvement des travaux et qu'en toute hypothèse faisait défaut le lien de causalité entre ces faits et l'encaissement par ses soins d'appels de fonds, sans rechercher si lesdits faits étaient à l'origine du préjudice des exposants, constitué de la privation de leur bien, en ce qu'ils avaient contribué à empêcher la venderesse de recueillir les fonds nécessaires à la remise en état de l'immeuble selon les préconisations de l'expert judiciaire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 ancien du code civil ;
ALORS QUE, enfin, les exposants soutenaient (v. leurs concl., p. 32) que les agissements délictueux du notaire leurs avaient causé un préjudice moral dès lors qu'il était choquant d'accorder sa confiance à un officier public dans la conclusion d'une opération pour découvrir ensuite qu'il commettait des infractions à l'occasion du même programme au risque de compromettre son bon déroulement ; qu'en écartant la responsabilité du notaire sans répondre à ces conclusions, la cour d'appel n'a pas satisfait aux prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile.