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01/02/2023 | FRANCE | N°20-15703

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 01 février 2023, 20-15703


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 1er février 2023

Rejet

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 72 FS-D

Pourvoi n° H 20-15.703

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER FÉVRIER 2023

1°/ La société Malwarebytes Inc, dont le siège est [Adresse

3]),

2°/ la société Malwarebytes Limited, dont le siège est [Adresse 4] (Irlande),

ont formé le pourvoi n° H 20-15.703 contre l'arrêt rendu le 14...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 1er février 2023

Rejet

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 72 FS-D

Pourvoi n° H 20-15.703

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER FÉVRIER 2023

1°/ La société Malwarebytes Inc, dont le siège est [Adresse 3]),

2°/ la société Malwarebytes Limited, dont le siège est [Adresse 4] (Irlande),

ont formé le pourvoi n° H 20-15.703 contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2020 par la cour d'appel de Paris (chambre commerciale internationale, pôle 5 - chambre 16), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Enigma Software Group USA LLC, dont le siège est [Adresse 2]),

2°/ à la société Enigmasoft Limited, dont le siège est [Adresse 1] (Irlande),

défenderesses à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations orales de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat des sociétés Malwarebytes Inc et Malwarebytes Limited, et de la SARL Ortscheidt, avocat des sociétés Enigma Software Group USA LLC et Enigmasoft Limited, et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Hascher, conseiller le plus ancien faisant fonction de conseiller doyen rapporteur, M. Bruyère, conseiller, Mmes Dumas et Champ conseillers référendaires, complétant la chambre avec voix délibérative en application de l'article L.431-3 du code de l'organisation judiciaire, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 janvier 2020), la société américaine Enigma Software Group et sa filiale irlandaise, la société Enigma Ltd (les sociétés Enigma), ont assigné devant le tribunal de commerce de Paris la société américaine Malwarebytes Inc et sa filiale irlandaise, la société Malwarebytes Ltd, en réparation du dommage subi en France par la commercialisation en ligne d'un logiciel dénigrant leurs produits et en cessation de ces faits sur le territoire français.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, et le second moyen, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, en tant qu'il est dirigé contre le rejet de l'exception d'incompétence de la société Malwarebytes Inc.

Enoncé du moyen

3. La société Malwarebyte Inc. fait grief à l'arrêt de rejeter son exception d'incompétence, alors « que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que "l'article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu'une personne qui prétend que ses droits de la personnalité ont été violés par la publication de données inexactes la concernant sur Internet et par la non-suppression de commentaires à son égard ne peut pas, devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel les informations publiées sur Internet sont ou étaient accessibles, former un recours tendant à la rectification de ces données et à la suppression de ces commentaires" ; que cette règle est transposable aux faits allégués de concurrence déloyale résultant de la possibilité de télécharger un logiciel de protection sur Internet si bien qu'en retenant la compétence de la juridiction française pour statuer sur les demandes de la société Enigma Software au motif qu'elles étaient limitées à la réparation du préjudice subi en France du fait d'un prétendu dénigrement réalisé au moyen d'un logiciel offert au téléchargement des internautes du monde entier ainsi qu'aux mesures adéquates de réparation et de prévention de tout nouveau dommage sur ce territoire seulement, la cour d'appel a méconnu l'article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte de son article 4 que le règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis, n'est pas applicable à la société Malawarebytes Inc., défenderesse en première instance qui n'est pas domiciliée sur le territoire d'un Etat membre.

5. Le grief, en tant qu'il est dirigé contre le rejet de l'exception d'incompétence soulevée par cette société, n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, en tant qu'il est dirigé contre le rejet de l'exception d'incompétence de la société Malwarebytes Ltd

Enoncé du moyen

6. La société Malwarebytes Ltd fait le même grief à l'arrêt, alors « que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que "l'article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu'une personne qui prétend que ses droits de la personnalité ont été violés par la publication de données inexactes la concernant sur Internet et par la non - suppression de commentaires à son égard ne peut pas, devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel les informations publiées sur Internet sont ou étaient accessibles, former un recours tendant à la rectification de ces données et à la suppression de ces commentaires" ; que cette règle est transposable aux faits allégués de concurrence déloyale résultant de la possibilité de télécharger un logiciel de protection sur internet si bien qu'en retenant la compétence de la juridiction française pour statuer sur les demandes de la société Enigma Software au motif qu'elles étaient limitées à la réparation du préjudice subi en France du fait d'un prétendu dénigrement réalisé au moyen d'un logiciel offert au téléchargement des internautes du monde entier ainsi qu'aux mesures adéquates de réparation et de prévention de tout nouveau dommage sur ce territoire seulement, la cour d'appel a méconnu l'article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article 7, paragraphe 2, règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis :

« Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre État membre :
[...]
2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire. »

8. La Cour de justice de l'Union européenne a précisé qu'eu égard à la nature ubiquitaire des données et des contenus mis en ligne sur un site Internet et au fait que la portée de leur diffusion est en principe universelle, une demande visant à la rectification des premières et à la suppression des seconds est une et indivisible et ne peut, par conséquent, être portée que devant une juridiction compétente pour connaître de l'intégralité d'une demande de réparation du dommage et non devant une juridiction qui n'a pas une telle compétence (arrêt du 17 octobre 2017, C-194/16, point 48 ; arrêt du 21 décembre 2021, C-251/20, point 32).

9. La cour d'appel a relevé que les demandes formulées par les sociétés Enigma étaient limitées à la réparation du préjudice subi en France et aux mesures adéquates de réparation et de prévention de tout nouveau dommage sur ce territoire seulement et a retenu que les pièces produites établissaient que la société Malwarebytes ciblait le marché français et mettait à disposition des utilisateurs un site internet en langue française à partir duquel ils pouvaient, à l'aide d'instructions en français, procéder au téléchargement et à l'installation d'une version française des logiciels et obtenir des informations en français de sorte qu'il s'agissait bien d'un site destiné au public français.

10. Elle a ainsi fait ressortir que l'action en cessation partielle et non intégrale des sociétés Enigma, visant une géo-rectification limitée au territoire français à l'exception de tous les autres, était divisible d'un point de vue géographique et non pas une et indivisible.

11. Elle en a exactement déduit, sans méconnaître la jurisprudence européenne qui concerne le retrait pur et simple du contenu litigieux du réseau internet indépendamment de toute considération géographique, que les sociétés Enigma pouvaient saisir la juridiction française.

12. Le moyen n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Malwarebytes Inc. et Malwarebytes Limited aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour les sociétés Malwarebytes Inc et Malwarebytes Limited

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Ce moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence des juridictions françaises soulevée par les sociétés Malwarebytes Inc et Malwarebytes Ltd ;

AUX MOTIFS QUE s'appliquent, en l'espèce, en ce qui concerne la société américaine Malwarebytes Inc, les dispositions de l'article 46 du code de procédure civile qui énoncent que :

"Le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur: ' en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi " ;

41. En ce qui concerne la société irlandaise Malwarebytes, a vocation à s'appliquer l'article 7. 2 du Règlement (UE) N° 1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (dit Règlement Bruxelles 1bis)
concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale en ce qui concerne la société irlandaise Malwarebytes, qui est libellé comme suit :

« Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire" ;

42. Si le tribunal n'a pas formellement distingué dans son jugement l'analyse de la compétence des juridictions françaises à l'endroit des sociétés américaine et irlandaise Malwarebytes, il a statué sur le fondement du chef français et du chef européen de compétence au visa des textes précités qui désignent " la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire " (libellé du règlement Bruxelles I bis) ou celle "du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi " (article 46 du code de procédure civile) qui reviennent au même.

43. Selon la jurisprudence de la CJUE (et notamment l'arrêt Melzer C-228/11, point 25), l'expression "lieu où le fait dommageable s'est produit" figurant à l'article 5, point 3, du règlement n° 44/2001, devenu l'article 7 (2) du Règlement Bruxelles I bis, vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et le lieu Page 10 sur 33 de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l'un ou de l'autre de ces deux lieux.

44. Il a ainsi été jugé en matière de concurrence déloyale que "L'article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 ('), [devenu article 7 ( 2) du règlement Bruxelles I bis] doit être interprété, aux fins d'attribuer la compétence judiciaire conférée par cette disposition pour connaître d'une action en responsabilité pour violation de l'interdiction de vente en dehors d'un réseau de distribution sélective résultant de l'offre, sur des sites Internet opérant dans différents États membres, de produits faisant l'objet dudit réseau, en ce sens que le lieu où le dommage s'est produit doit être considéré comme étant le territoire de l'État membre qui protège ladite interdiction de vente au moyen de l'action en question, territoire sur lequel le demandeur prétend avoir subi une réduction de ses ventes " (CJUE 21 décembre 2016 aff C-618/15 Concurrence Sarl).

45. La Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a également dit pour droit dans une affaire concernant une demande de réparation d'un préjudice allégué par une compagnie aérienne lituanienne contre une compagnie aérienne et un aéroport letton du fait notamment d'un abus de position dominante (CJUE C-27/17 du 5 juillet 2018 FlyLAL), que "L'article 5, point 3, du règlement CE 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000 [devenu article 7 ( 2) du règlement Bruxelles I bis], concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'une action en réparation d'un préjudice causé par des comportements anticoncurrentiels, le "lieu où le fait dommageable s'est produit" vise, dans une situation telle que celle en cause au principal, notamment le lieu de la matérialisation d'un manque à gagner consistant en une perte de ventes, c'est-à- dire le lieu du marché affecté par lesdits comportements au sein duquel la victime prétend avoir subi ces pertes".

46. La CJUE retient dans cet arrêt que lorsque le marché affecté par le comportement anticoncurrentiel se trouve dans l'Etat membre sur le territoire duquel le dommage allégué est prétendument survenu, il y a lieu de considérer que le lieu de matérialisation du dommage, aux fins de l'application de l'article 5 point 3, du règlement CE 44/2001 se trouve dans cet État membre (point 40).

47. Enfin, dans une affaire rendue en matière d'entente au sens de l'article 101 TFUE (CJUE 29 juillet 2019 Tibor Trans, C-451/18), la CJUE confirme ce critère de rattachement et juge que le dommage allégué s'entend de surcoûts payés en raison des prix artificiellement élevés et qu'il se matérialise au lieu du marché affecté par l'infraction visée, à savoir le lieu où les prix du marché ont été faussés, au sein duquel la victime prétend avoir subi ce préjudice.

48. En l'espèce, les sociétés appelantes contestent l'existence d'un fait dommageable localisé en France en faisant valoir que le litige porte sur des actes commis aux États-Unis, à savoir la révision du programme du logiciel en Californie et concernent des produits essentiellement distribués sur le territoire américain. Il ressort cependant de la procédure que les faits incriminés par les sociétés Enigma sont ceux qu'elles ont fait constater par procès-verbal d'huissier à [Localité 5], qui rapportent que lorsque l'utilisateur en France qui a téléchargé et installé les logiciels Spyhunter 4 ou 5 lance une analyse de son ordinateur avec le logiciel MBAM, leurs logiciels sont identifiés comme une menace et qualifiés de 'programme potentiellement indésirable' (PUP) automatiquement placés en quarantaine par le logiciel MBAM, tel que cela ressort des procès -verbaux de constat d'huissier dressés à [Localité 5] les 17 novembre 2017 et 26 septembre 2018.

49. Les sociétés Enigma considèrent dans leur assignation qu'il s'agit d'actes anticoncurrentiels constitutifs d'actes de dénigrement, détournement de clientèle en ce qu'ils l'empêchent d'exécuter leurs obligations vis -à-vis des utilisateurs français qui s'en sont plaints et aux nouveaux d'installer et d'utiliser ses logiciels en France.

50. Ce comportement occasionne selon elles, une perte d'exploitation sur le marché français avec un effet d'éviction et de dénigrement sur ce territoire, ayant provoqué une chute des ventes en France repérable dans sa comptabilité et lui cause un préjudice d'image et de réputation.

51. En l'occurrence, les demandes formulées par les sociétés Enigma sont limitées à la réparation du préjudice subi en France et aux mesures adéquates de réparation et de prévention de tout nouveau dommage sur ce territoire seulement.

52. Il n'est par ailleurs pas contesté que le logiciel Malwarebytes litigieux qui est téléchargeable en ligne sur le site Internet Malwarebytes, n'est pas seulement commercialisé aux États-Unis mais aussi et précisément en France par l'intermédiaire de la société irlandaise Malwarebytes Ltd qui est un concurrent de la société Enigma sur ce marché et constitue bien un défendeur sérieux.

53. Il est en outre établi par les pièces produites que la société Malwarebytes cible le marché français et met à disposition des utilisateurs un site Internet en langue française « fr.malwarebytes.com » à partir duquel ils peuvent à l'aide d'instructions en français procéder au téléchargement et à l'installation d'une version française des logiciels et obtenir des informations en français de sorte qu'il s'agit bien d'un site destiné au public français.

54. La société américaine Malwarebytes Inc ne peut sérieusement prétendre qu'elle est étrangère à la commercialisation en France du produit alors qu'il ressort de la page web francophone du site « fr.malwarebytes.com » qu'elle Page 12 sur 33 apparaît comme interlocuteur au pied de la page d'accueil d'où il résulte que sa présence dans la cause est justifiée.

55. En conséquence, s'il est exact que la révision du logiciel Malwarebytes conçu à Santa Clara constitue l'un des faits générateurs localisé aux Etats-Unis, ayant contribué au dommage allégué par les sociétés Enigma, le dommage qu'elles ont subi se caractérise par la perte subie sur le marché français du fait de la commercialisation en France du logiciel Malwarebytes ce qui autorise les sociétés Enigma à choisir la juridiction française internationalement compétente au regard des articles 46 du code de procédure civile et 7.2 du règlement (UE) N° 1215/2012 dit Bruxelles 1 bis.

1/ ALORS QUE la demande d' Enigmasoft tendant à ce qu'il soit ordonné sous astreinte à Malwarebytes "de cesser de (i) de classifier SpyHunter 4 et RegHunter développés et distribués par Enigma Software Group USA LLC comme des "programmes potentiellement indésirables", "maliciel", "menace", ou autre qualification négative de toute sorte ; (ii) de bloquer, mettre en quarantaine ou interférer sous quelque forme que ce soit avec l'utilisation de SpyHunter 4 et RegHunter développés et distribués par Enigma Software Group USA LLC sur quelque ordinateur de quelque utilisateur de logiciels Malwarebytes que ce soit ; et (iii) d'affirmer, soutenir, suggérer, expressément ou implicitement, que SpyHunter 4 et RegHunter développés et distribués par Enigma Software Group USA LLC sont des programmes potentiellement indésirables", "maliciel", "menace", ou autre qualification négative de toute sorte", tend à voir imposer à la société Malwarebytes Inc de modifier son logiciel MBAM, conçu et développé exclusivement à Santa Clara, modification qui n'est pas limitée au territoire français, si bien qu'en retenant que cette demande était limitée au territoire français, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile;

2/ ALORS QUE la demande tendant à voir "ordonner la publication par la société Malwarebytes lnc. et la société Malwarebytes Limited, à leurs frais, du jugement à intervenir sur la page principale de leur site Internet etlt;https:/ifr.malwarebytes.com/etgt; durant une période de trente jours consécutifs devant démarrer dans les quinze jours suivants le prononcé du jugement à intervenir" n'est pas limitée au territoire français, si bien qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile

3/ ET ALORS QUE la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que "l'article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu'une personne qui prétend que ses droits de la personnalité ont été violés par la publication de données inexactes la concernant sur Internet et par la non - suppression de commentaires à son égard ne peut pas, devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel les informations publiées sur Internet sont ou étaient accessibles, former un recours tendant à la rectification de ces données et à la suppression de ces commentaires " ; que cette règle est transposable aux faits allégués de concurrence déloyale résultant de la possibilité de télécharger un logiciel de protection sur internet si bien qu'en retenant la compétence de la juridiction française pour statuer sur les demandes de la société Enigma Software au motif qu'elles étaient limitées à la réparation du préjudice subi en France du fait d'un prétendu dénigrement réalisé au moyen d'un logiciel offert au téléchargement des internautes du monde entier ainsi qu'aux mesures adéquates de réparation et de prévention de tout nouveau dommage sur ce territoire seulement, la cour d'appel a méconnu l'article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)

Ce moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception de litispendance internationale soulevée par les sociétés Malwarebytes Inc et Malwarebytes Ltd,

AUX MOTIFS que l'article 100 du code de procédure civile énonce que si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le demande. A défaut, elle peut le faire d'office.

L'exception de litispendance peut être invoquée en raison de l'instance engagée devant un tribunal étranger également compétent et suppose pour être accueillie une identité de litige c'est-à-dire une triple identité de parties, d'objet et de cause.

Il ressort de la procédure que les parties dans les deux instances initiées aux États-Unis puis en France ne sont pas les mêmes dès lors que les sociétés EnigmaSoft Ltd et Malwarebytes Limited sont absentes dans la procédure américaine et que contrairement à ce que prétendent les appelantes, leur présence dans la procédure française pour les motifs retenus précédemment n'est ni fictive ni artificielle.

De plus, les appelantes reconnaissent que les fondements juridiques des deux procédures sont distincts et soutiennent seulement à partir de suppositions que dans le cadre de la procédure américaine la juridiction californienne statuera sur le préjudice mondial incluant sans ambiguïté celui subi en France ce qui est insuffisant pour répondre aux exigences d'identité de cause et d'objet nécessaires au succès de leur prétention.

L'exception de litispendance sera en conséquence rejetée et la décision du tribunal sera confirmée de ce chef.

1/ ALORS QUE l'existence d'une situation de litispendance s'apprécie à la date de l'introduction de l'instance, si bien qu'en se fondant sur la présence dans la procédure de la société EnigmaSoft Ltd qui est intervenue volontairement en cours d'instance, la cour d'appel a violé l'article 100 du code de procédure civile ensemble les principes régissant la litispendance internationale ;

2/ ALORS QUE la société Malwarebytes Limited soutenait qu'elle n'avait été mise en cause artificiellement dans la procédure qu'à raison de son domicile en Irlande bien qu'elle soit étrangère aux faits à l'origine du litige, aucune prétention spécifique n'étant d'ailleurs émise à son encontre ; qu'en se bornant à une simple affirmation selon laquelle sa présence dans la procédure française n'était ni fictive, ni artificielle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 100 du code de procédure civile, ensemble les principes régissant la compétence internationale et l'article 33 du Règlement 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 ;

3/ ALORS QUE la seule mise en cause d'une filiale de la société défenderesse dans la procédure ouverte devant la juridiction étrangère première saisie, contre laquelle aucune demande distincte de celle formée contre la société mère n'est formulée, ne peut faire obstacle à l'exception de litispendance, si bien qu'en se fondant sur le seul fait que la société Enigma Software USA avait assigné la société Malwarebytes Ltd devant le juge français et pas devant le juge américain précédemment saisi, sans présenter aucune demande spécifique à son encontre, la cour d'appel a violé l'article 100 du code de procédure civile, ensemble les principes régissant la litispendance internationale et l'article 33 du Règlement 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 ;

4/ ALORS QUE les sociétés Malwarebytes faisaient valoir que le litige ouvert en France par Enigma Software USA était déjà compris dans le litige premier et originel ouvert aux Etats-Unis même si ce dernier était régi au fond par la loi américaine, si bien qu'en affirmant que les appelantes reconnaissent que les fondements juridiques des deux procédures sont distincts, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile ;

5/ ALORS QUE les sociétés Malwarebytes avaient régulièrement versé aux débats devant les juges du fond l'acte de saisine de la juridiction américaine par lequel la société Enigma Software USA demandait réparation de pratiques alléguées de concurrence déloyale résultant de l'identification par les logiciels Malwarebytes de ses logiciels SpyHunter et RegHunter comme programmes potentiellement indésirables, ses prétenti ons incluant des demandes d'injonction à Malwarebytes de cesser de classifier ses programmes SpyHunter et RegHunter comme programmes potentiellement indésirables et des demandes Page 28 sur 33 indemnitaires ; que l'arrêt attaqué relève que, la société Enigma a découvert que, suite à la révision du logiciel Malwarebytes AntiMalware (MBAM), le programme de la société Malwarebytes Inc bloquait ses propres produits, les logiciels dénommés SpyHunter et RegHunter, que lorsque l'utilisateur télécharge via Internet le logiciel MBAM, les logiciels de la société Enigma, SpyHunter et RegHunter, apparaissent potentiellement indésirables incitant l'utilisateur à les supprimer ou à ne pas les télécharger et que la société Enigma a introduit en 2016 une procédure aux Etats-Unis contre la société Malwarebytes pour mettre fin à ces agissements et obtenir réparation de son préjudice (arrêt n° 4 à 6), si bien qu'en décidant qu'il n'y avait pas identité de cause et d'objet entre les procédures intentées aux Etats-Unis et en France, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales s'en évinçant au regard de l'article 100 du code de procédure civile,des principes régissant la litispendance internationale et de l'article 33 du Règlement 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 20-15703
Date de la décision : 01/02/2023
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 14 janvier 2020


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 01 fév. 2023, pourvoi n°20-15703


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin (président)
Avocat(s) : SARL Ortscheidt, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 07/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:20.15703
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