LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 41 F-D
Pourvoi n° Y 21-21.311
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [P].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 17 juin 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 JANVIER 2023
M. [H] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 21-21.311 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2020 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale A), dans le litige l'opposant à la société Alliance services-Codice, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [P], de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Alliance services-Codice, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, M. Pion, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon ,1er juillet 2020), M. [P] a été engagé le 1er mars 2000 par la société Alliance services-Codice en qualité de distributeur avant d'occuper le poste de releveur de compteur polyvalent.
2. A l'issue de deux examens médicaux des 16 et 30 octobre 2013, il a été déclaré inapte à son poste.
3. Le 30 avril 2014, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
4. Il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.
Examen des moyens
Sur les premier, troisième et quatrième moyens, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat, alors « que l'employeur qui, bien qu'il y soit légalement tenu, n'accomplit pas les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause nécessairement un préjudice aux salariés, privés ainsi d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts ; qu'en affirmant, pour débouter le salarié de sa demande, que le manquement de la société Alliance services tenant à l'absence d'organisation en janvier 2013 des élections en vue de renouveler le mandat des représentants du personnel n'était pas constitutif d'une telle exécution déloyale, la cour d'appel a violé les articles L. 1222-1 du code du travail, 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction applicable en la cause, devenus les articles 1103 et 1231-1 du
code civil, ensemble l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article L. 2313-1 du code du travail, dans sa version applicable en la cause, l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, devenu l'article 1240, et l'article 8 § 1, de la directive n° 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 2313-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, ensemble l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 1382, devenu 1240, du code civil et l'article 8, § 1, de la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne :
7. Il résulte de l'application combinée de ces textes que l'employeur qui n'a pas accompli, bien qu'il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés ainsi d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts.
8. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail en ne mettant pas en place le processus électoral, l'arrêt retient que l'inspectrice du travail sollicitée par l'employeur pour autoriser le licenciement du salarié a constaté que celui-ci ne bénéficiait plus de la protection attachée au mandat de membre de la délégation unique du personnel, puisqu'en l'absence d'organisation d'élections en vue du renouvellement de l'institution tous les mandats avaient cessé en janvier 2013, que toutefois le salarié ne démontrait pas que ce manquement était constitutif en soi d'une exécution déloyale du contrat de travail à son égard puisque la société avait commis une erreur en n'organisant pas les élections mais pensant que le salarié était un salarié protégé, elle avait quand même sollicité l'autorisation de l'inspecteur du travail pour le licencier.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [P] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail, l'arrêt rendu le 1er juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne la société Alliance services-Codice aux dépens ;
En application des articles 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Alliance services-Codice et la condamne à payer à la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [P]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [P] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR limité la condamnation de la société Alliance services à la seule somme de 2.596,82 € au titre du maintien du salaire en maladie et de l'AVOIR débouté du surplus de sa demande.
1° ALORS QU'en affirmant, pour rejeter le surplus de la demande au titre du maintien du salaire en maladie, que le salarié demande, dans le dispositif de ses conclusions, la confirmation de la condamnation de la société Alliance service à lui payer la somme de 2.596,82 euros (arrêt attaqué, p. 5), quand celui-ci demandait dans ce dispositif, outre ladite confirmation, de « condamner la société ALLIANCE SERVICES à lui verser la somme de 3 883,69 euros à titre de maintien de salaire pour maladie, outre 388,36 euros au titre des congés payés afférents » (conclusions p. 51), la cour d'appel a dénaturé par omission lesdites conclusions, en violation du principe d'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause,
2° ALORS QUE dans ses conclusions d'appel (pp. 50 et 51), le salarié exposait, de façon claire et précise, les raisons pour lesquelles il réclamait la somme de 3.883,69 euros au titre du maintien du salaire en maladie, outre celle due au titre des congés payés afférents, partant, en quoi la somme de 2.596,82 euros retenue par le conseil de prud'hommes était erronée, en énonçant que l'employeur avait maintenu ses salaires pendant seulement soixante jours, comme expliqué dans sa lettre du 27 novembre 2013, que les montants de janvier, février, mars 2011 étaient erronés au regard du salaire de référence erroné retenu et qu'en avril 2012, faute de maintien de salaire, il avait perdu 734,16 € et qu'en somme, les indemnités journalières retenues sur tous les salaires d'un montant de 35.63 euros par jours étaient incorrectes, 1'appelant ayant perçu la somme de 28.54 euros, le maintien de salaire ayant été fait sur 60 jours au lieu de 100 jours, le taux retenu sur le salaire pour l'absence n'ayant pas été fait sur le salaire de base de 1 398,40 euros, les jours de reprises n'ayant pas été payés et en 2014, des jours ayant été retenus pendant l'inaptitude ; qu'en affirmant, pour rejeter le surplus de la demande au titre du maintien du salaire en maladie, que le salarié n'explique pas dans ses conclusions d'appel en quoi la somme de 2.596,82 euros retenue par le conseil de prud'hommes serait erronée (arrêt attaqué, p. 5), la cour d'appel a dénaturé lesdites conclusions, en violation du principe d'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause,
3° ALORS QU'en rejetant le surplus de la demande au titre du maintien du salaire en maladie sans examiner, même sommairement, les pièces que le salarié produisait en appel pour justifier de ces demandes (pièces n° 4-5 et n° 13-6), la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
M. [P] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat.
ALORS QUE l'employeur qui, bien qu'il y soit légalement tenu, n'accomplit pas les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause nécessairement un préjudice aux salariés, privés ainsi d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts ; qu'en affirmant, pour débouter le salarié de sa demande, que le manquement de la société Alliance services tenant à l'absence d'organisation en janvier 2013 des élections en vue de renouveler le mandat des représentants du personnel n'était pas constitutif d'une telle exécution déloyale, la cour d'appel a violé les articles L. 1222-1 du code du travail, 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction applicable en la cause, devenus les articles 1103 et 1231-1 du code civil, ensemble l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article L. 2313-1 du code du travail, dans sa version applicable en la cause, l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, devenu l'article 1240, et l'article 8 § 1, de la Directive n° 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
M. [P] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat et d'AVOIR rejeté sa demande tendant à voir dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse au motif que l'inaptitude du salarié résulte d'une faute de l'employeur, ainsi que les demandes en paiement consécutives.
1° ALORS QUE l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité ; qu'il ne peut dès lors laisser un salarié reprendre son travail après un arrêt de travail de quatre mois pour maladie sans lui avoir fait passer une visite de reprise auprès du médecin du travail afin de s'assurer de son aptitude à l'emploi envisagé ; qu'en déboutant le salarié de sa demande, quand elle avait constaté que l'employeur n'avait pas organisé de visite de reprise, le 26 mai 2012, après un arrêt de travail de quatre mois, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1, L. 4121-2 et R. 4624-22 du code du travail, dans leur version applicable en la cause,
2° ALORS QU'il appartient à l'employeur qui prétend avoir respecté son obligation de sécurité de le démontrer ; qu'en considérant, pour débouter le salarié de sa demande, que celui-ci ne prouvait pas que l'employeur avait été informé de la visite médicale du 18 septembre 2012 ayant donné lieu à une discussion sur un mi-temps thérapeutique et conclu à l'absence d'aptitude, qu'il ne démontrait pas la dégradation de son état de santé à cette période, le non-respect par la société des préconisations du médecin du travail préconisant une diminution de sa charge de travail, l'accroissement de celle-ci ainsi que l'existence d'une charge de travail identique, voire supérieure à celle de ses collègues, le lien entre l'absence de visite de reprise le 26 mai 2012 et son accident du travail et les manquements à l'obligation d'assurer sa sécurité et sa santé, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation des articles L. 4121-1, L. 4121-2, L. 4624-1 et R. 4624-22 du code du travail, dans leur version applicable en la cause, ensemble l'article 1315 du code civil, dans sa version applicable en la cause, devenu l'article 1353 du code civil,
3° ALORS QUE lorsque le salarié invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité à l'origine d'un accident du travail, il appartient à l'employeur de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité ; qu'en affirmant, pour débouter le salarié de sa demande, que le lien entre l'absence de visite de reprise le 26 mai 2012 et son accident du travail n'est pas démontré, la cour d'appel a fait peser sur celui-ci la preuve des manquements reprochés à son employeur au titre de non-respect des règles de prévention et de sécurité à l'origine d'un accident du travail et a violé les articles L. 4121-1, L. 4121-2 et R. 4624-22 du code du travail, dans leur version applicable en la cause, 1315 du code civil, dans sa version applicable en la cause, devenu l'article 1353 du code civil,
4° ALORS QU'en affirmant, pour débouter le salarié de sa demande, que l'employeur n'avait « semble-t-il » pas compris le sens du second avis médical, la cour d'appel a statué par un motif hypothétique et a méconnu les exigences posées à l'article 455 du code de procédure civile,
5° ALORS QUE l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité, doit en assurer l'effectivité ; que l'avis du médecin du travail ne peut faire l'objet, de la part de l'employeur, que d'un recours administratif devant l'inspecteur du travail et qu'il n'appartient pas aux juges du fond de substituer leur appréciation à celle du médecin du travail sur l'inaptitude d'un salarié à occuper un poste de travail ; que ne sont pas justifiées les mises en garde et la sanction prises par l'employeur sur le fondement d'un abandon de poste quand l'absence du salarié est motivée par les avis médicaux d'inaptitude à son poste ; qu'en affirmant, pour débouter le salarié de sa demande, qu'en raison de l'incompréhension des avis médicaux d'aptitude avec réserves par l'employeur, celui-ci avait pu, sans exercer de recours devant l'inspecteur du travail, demander à plusieurs reprises au salarié de lui envoyer ses prolongations d'arrêt de travail, faute de quoi il considérerait qu'il avait commis un abandon de poste avant de le sanctionner sur ce fondement, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1, L. 4121-2 et L. 4624-1 du code du travail, dans leur version applicable en la cause, ensemble l'article L. 1333-1 du code du travail.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
M. [P] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de ses demandes à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre les congés payés afférents, et à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
ALORS QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures effectuées par le salarié, la preuve n'incombe spécialement à aucune des parties et l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des heures effectivement travaillées par le salarié ; qu'en rejetant la demande en paiement d'un rappel de salaires au titre des heures supplémentaires effectuées par le salarié pendant 38 mois, quand elle avait constaté qu'il étayait sa demande sans que l'employeur n'apporte aucun élément aux débats pour contredire ces éléments sur l'ensemble de la période, la cour d'appel a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, en violation de l'article L. 3171-4 du code du travail.