LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° T 22-82.996 F-D
N° 00071
ODVS
24 JANVIER 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 JANVIER 2023
Mme [K] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 28 avril 2022, qui, dans l'information suivie contre elle des chefs d'extorsion en bande organisée, complicité de concussion, complicité de tentative de concussion et soustraction de preuve d'un crime ou d'un délit, a prononcé sur les demandes d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 27 juin 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [K] [M], les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat des défendeurs, et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mise en examen des chefs susvisés le 16 juin 2021, Mme [K] [M] a fait déposer une requête en annulation d'actes et de pièces de la procédure le 21 octobre suivant. L'un de ses co-mis en examen a fait de même.
3. La chambre de l'instruction a joint les requêtes.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches
4. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé une nullité seulement partielle de la première audition de garde à vue de Mme [M] et rejeté le surplus de sa demande d'annulation, alors :
« 3°/ que la nullité d'un acte de la procédure entraîne, par voie de conséquence, l'annulation des pièces et des actes qui ont pour support nécessaire l'acte entaché de nullité ou qui en découlent ; qu'en limitant l'étendue de la nullité prononcée à l'unique première audition du 4 mai 2021 (cotes D 2156 à D 2160), cependant que la lecture des cotes D 2156 à D 2160 révélait que Mme [M] avait été interrogée sur les faits poursuivis, sur des détails importants concernant son parcours et son existence, ainsi que sur ses données personnelles, tels les codes d'accès téléphoniques et ceux nécessaires pour déverrouiller ses téléphones mobiles et quatre ordinateurs, de sorte que l'étendue de la nullité ne pouvait être limitée à l'unique première audition du 4 mai 2021, la chambre de l'instruction a violé les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
8°/ qu'un procès-verbal de garde à vue ne doit pas révéler une atteinte à la présomption d'innocence ou une partialité des enquêteurs ; qu'à défaut de s'être prononcée sur le procès-verbal figurant à la cote D 2219, mentionnant « Vous êtes prête à tout pour protéger M. [Y], jusqu'à mentir lors de votre seconde audition de garde à vue » et à défaut de s'être prononcée sur la question de l'enquêteur, figurant à la cote D 2180 : « Reconnaissez-vous avoir été informée de l'illégalité des conventions imposées aux campings, des manigances, chantages et pressions exercées ou souhaitez-vous continuer à mentir ? », questions dont la formulation traduisait la partialité des enquêteurs, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
9°/ qu'un procès-verbal de garde à vue ne doit pas révéler une atteinte à la présomption d'innocence ou une partialité des enquêteurs ; qu'en refusant d'annuler la garde à vue de Mme [M], après avoir constaté que les enquêteurs avaient indiqué à Mme [M] : « comprenez-vous que nous ne vous posons pas des questions mais qu'il s'agit d'affirmations » (cote D 2182), la chambre de l'instruction a violé l'article 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
10°/ que la nullité d'un acte de la procédure entraîne, par voie de conséquence, l'annulation des pièces et des actes qui ont pour support nécessaire l'acte entaché de nullité ou qui en découlent ; qu'en ayant prononcé la nullité des pièces figurant aux cotes D 903, 1037, 1038, 1114, 1039, 1026, 1090, 1028, 1105, 1157, 1336, 1344, 1345, 1350, 1352, 1353 et 1364, transcrivant des interceptions téléphoniques avec un avocat concernant les faits de concussion, de favoritisme et de prises illégales d'intérêt reprochés à M. [Y], sans se prononcer sur l'annulation, par voie de conséquence, de la mise en examen de Mme [M] du chef de complicité de concussion par exonération de droits, ainsi que de l'ensemble de la procédure, la chambre de l'instruction a entaché sa décision d'un défaut de motifs, en violation des articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses huitième et neuvième branches
6. Pour rejeter le moyen pris d'une atteinte à la présomption d'innocence et d'un défaut d'impartialité des enquêteurs durant les auditions de garde à vue, l'arrêt attaqué énonce qu'il n'est invoqué aucun élément de partialité tiré de l'enquête préliminaire ainsi que des investigations réalisées sur commission rogatoire.
7. Les juges constatent que le moyen repose exclusivement sur quatorze questions posées durant la garde à vue, qui, toutes, se réfèrent aux faits, ne contiennent aucun propos révélant une quelconque déloyauté ou conviction partiale de l'enquêteur et tendent essentiellement à demander à l'intéressée de quelle façon elle se situe par rapport aux activités du maire dont elle est la secrétaire.
8. Après rappel in extenso de la plupart des questions litigieuses, ils concluent que le mémoire, qui se limite à considérer que les auditions sont « juridiquement ubuesques au travers de certaines questions grotesques », ce qui relève de la seule perception de son auteur, qui procède ainsi par affirmation, n'articule en réalité aucun moyen tendant à établir le défaut d'impartialité.
9. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu le texte conventionnel visé au moyen.
10. En effet, d'une part, les questions litigieuses sont sans incidence sur la suite de la procédure, notamment sur l'appréciation des charges qui pourrait être faite, le cas échéant, par une juridiction de jugement si celle-ci venait à être saisie.
11. D'autre part, la chambre de l'instruction a souverainement apprécié que l'ensemble des questions ne révèle pas un manquement quelconque à l'impartialité de l'enquêteur qui les a posées.
12. Les griefs doivent donc être écartés.
Sur le moyen, pris en sa dixième branche
13. La chambre de l'instruction a intégralement fait droit à la requête d'une autre personne mise en examen tendant à l'annulation de procès-verbaux résumant ou transcrivant les conversations téléphoniques interceptées entre cette personne et ses avocats, sans cependant rechercher, comme elle en avait le devoir, si l'annulation ainsi prononcée devait s'étendre à tout ou partie de la procédure ultérieure, notamment la mise en examen de Mme [M].
14. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que la chambre de l'instruction a également rejeté le moyen pris de l'absence d'indices graves ou concordants de la mise en examen de l'intéressée du chef de complicité de concussion par exonération de droits, selon des motifs qui établissent que cette mise en examen, ainsi que celle des autres chefs, reposent sur des éléments de la procédure autres que les interceptions téléphoniques annulées.
15. Le grief doit donc encore être écarté.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
16. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
17. Pour dire que la nullité de la première audition de garde à vue n'emporte en aucune façon celle des trois autres, l'arrêt attaqué énonce que ces dernières ont été régulièrement enregistrées et gravées sur cédérom placé sous scellé (D 2226), seules les auditions viciées étant concernées par la méconnaissance de l'article 64-1, alinéa 1, du code de procédure pénale.
18. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
19. En effet, elle a statué par un motif inopérant à établir que les auditions de garde à vue postérieures à l'audition annulée ne trouvaient pas leur support nécessaire dans cette dernière.
20. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 28 avril 2022, mais en ses seules dispositions ayant refusé d'annuler, par voie de conséquence de l'annulation partielle de la première audition de Mme [M], ses deuxième, troisième et quatrième auditions de garde à vue, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille vingt-trois.