LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 janvier 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 70 F-D
Pourvoi n° X 21-23.955
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2023
1°/ Mme [T] [R] [H], épouse [I],
2°/ M. [E] [I],
domiciliés tous deux [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° X 21-23.955 contre le jugement rendu le 17 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Perpignan, dans le litige les opposant à Mme [D] [U], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. et Mme [I], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [U], après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Perpignan, 17 septembre 2021), rendu en dernier ressort, M. et Mme [I] sont propriétaires d'un pavillon situé en mitoyenneté de celui de Mme [U].
2. Se plaignant de troubles provenant d'arbres et de haies implantés sur la propriété voisine, M. et Mme [I] ont assigné Mme [U] aux fins de la voir condamner à entretenir et tailler régulièrement son chêne et ses haies de cyprès, de figuiers et de bambous et à les indemniser de leur préjudice.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
3. M. et Mme [I] font grief au jugement de rejeter leur demande de condamnation de Mme [U] à entretenir et tailler régulièrement une haie de cyprès implantée sur sa propriété, alors :
« 1°/ que le juge ne peut méconnaître l'objet du litige ; que M. et Mme [I] demandaient la réduction de la haie de cyprès plantée sur le fonds de Mme [U] sur le fondement des dispositions des articles 671 et suivants du code civil ; qu'en rejetant ces demandes sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage, le tribunal a modifié l'objet du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°/ que le droit du voisin d'exiger la réduction des arbres plantés à moins de deux mètres de la ligne séparative des fonds à la hauteur autorisée par l'article 671 du code civil n'est pas subordonné à l'existence d'un préjudice ; qu'en jugeant, pour débouter M. et Mme [I] de leur demande tendant à la réduction de la haie de cyprès plantée sur le fonds de Mme [U] à moins de deux mètres de la ligne séparative et dépassant la hauteur autorisée par l'article 671 du code civil, qu'elle ne causait plus de « trouble anormal » à leur fonds, le tribunal a violé l'article 672 du même code. » Réponse de la Cour
4. Ayant constaté que la haie de cyprès était implantée à moins de deux mètres de la ligne séparative et présentait une envergure supérieure à deux mètres mais que les arbres constituant cette haie étaient morts, le tribunal a pu, sans modifier l'objet du litige et abstraction faite du motif surabondant portant sur l'absence de préjudice, en déduire que la demande de M. et Mme [I] d'entretien régulier de cette haie ne pouvait être accueillie.
5. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. M. et Mme [I] font grief au jugement de rejeter leurs demandes de condamnation de Mme [U] à entretenir et tailler régulièrement une haie de bambous et un chêne plantés sur sa propriété et d'indemnisation de leur préjudice, alors « que le juge ne peut méconnaître l'objet du litige ; que M. et Mme [I] demandaient la réduction de la haie de bambous et du chêne plantés sur le fonds de Mme [U] sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage ; qu'en rejetant ces demandes sur le fondement des dispositions des articles 671 et suivants du code civil, le tribunal a modifié l'objet du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
7. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
8. Pour rejeter la demande d'étayage de la haie de bambous, le jugement constate que cette haie était implantée à 4,80 mètres du mur séparatif et mesurait quatre mètres de hauteur, que certains rejets se situaient à moins de 0,40 mètre du mur de clôture mais que la hauteur générale ne dépassait pas celle du mur, de sorte que cette haie se situait à plus de deux mètres de la limite séparative de M. et Mme [I].
9. Pour rejeter la demande d'élagage et d'entretien du chêne, le jugement retient d'une part, que le chêne de plus de sept mètres surplombant le mur de clôture était situé dans la zone comprise entre cinquante centimètres et deux mètres de la ligne séparative, qu'il dépassait les deux mètres de hauteur mais que cet arbre étant plus que trentenaire, la prescription instituée par l'article 672 du code civil était acquise et d'autre part, que le chêne était régulièrement élagué notamment sur sa partie droite.
10. En statuant ainsi, alors que dans leurs conclusions, M. et Mme [I] sollicitaient l'élagage et l'entretien régulier du chêne et des haies de bambous sur le fondement de la responsabilité du fait des troubles anormaux de voisinage, et non sur la méconnaissance des servitudes légales portant sur les hauteurs et distances des plantations, le tribunal, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
11. M. et Mme [I] font grief au jugement de rejeter leur demande de condamnation de Mme [U], à remettre en état le grillage mitoyen matérialisant la limite séparative de leurs fonds, alors « que tout jugement doit être motivé ; qu'en déboutant M. et Mme [I] de leurs demandes, dont celle tendant à ce que Mme [U] soit condamnée, sous astreinte, à la remise en état du grillage mitoyen matérialisant la limite séparative de leurs fonds, sans motiver sa décision, le tribunal a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
12. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
13. Pour rejeter la demande de remise en état du grillage mitoyen se trouvant sur la limite séparative, le jugement examine les demandes portant sur la haie de bambous, le chêne, la haie de cyprès et de figuiers puis celle de demande de dommages et intérêts puis énonce que les parties seront déboutées du surplus de leurs demandes, notamment d'expertise.
14. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. et Mme [I], qui demandaient, sur le fondement de l'article 655 du code civil, la remise en état du grillage mitoyen que Mme [U] avait découpé, le tribunal n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions du jugement portant le rejet des demandes de condamnation de Mme [U] à entretenir et tailler régulièrement une haie de bambous et un chêne plantés sur sa propriété entraîne la cassation du chef de dispositif portant sur le rejet de la demande d'indemnisation qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu'il rejette la demande de condamnation sous astreinte à entretenir et tailler régulièrement le chêne et la haie de bambous, la demande d'indemnisation de la perte d'ensoleillement résultant du chêne et de la haie de bambous, la demande de remise en état du grillage mitoyen, le jugement rendu le 17 septembre 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Perpignan ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Perpignan autrement composé ;
Condamne Mme [U] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par laSARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [I]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Les époux [I] font grief au jugement attaqué de les AVOIR déboutés de leur demande tendant à ce que Mme [U] soit condamnée, sous astreinte, à l'entretien et la taille régulière de d'une haie de bambous et d'un chêne plantés sur sa propriété et de les AVOIR déboutés de leur demande tendant à ce que Mme [U] soit condamnée à leur payer la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice qu'ils subissaient ;
1°) ALORS QUE le juge ne peut méconnaître l'objet du litige ; que les époux [I] demandaient la réduction de la haie de bambous et du chêne plantés sur le fonds de Mme [U] sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage ; qu'en rejetant ces demandes sur le fondement des dispositions des articles 671 et suivants du code civil, le tribunal a modifié l'objet du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE le respect des dispositions légales n'exclut pas l'existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage ; qu'en jugeant, pour débouter les époux [I] de leur demande tendant à la réduction de la haie de bambous et du chêne plantés sur le fonds de Mme [U], que la première se situait à plus de deux mètres de la ligne séparative de leurs fonds et que le second, quoique dépassant la hauteur autorisée, était trentenaire, sans rechercher, ainsi qu'il y était invité, si, par leurs proportions, cette haie et ce chêne ne causaient pas au fonds des époux [I] une perte d'ensoleillement excédant les inconvénients normaux du voisinage, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage ;
3°) ALORS QUE la cassation à intervenir sur l'une des deux premières branches du premier moyen entraînera par voie de conséquence l'annulation du chef du jugement déboutant les époux [I] de leur demande indemnitaire, en application de l'article 624 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Les époux [I] font grief au jugement attaqué de les AVOIR déboutés de leur demande tendant à ce que Mme [U] soit condamnée, sous astreinte, à l'entretien et à la taille régulière de la haie de cyprès implantée sur sa propriété ;
1°) ALORS QUE le juge ne peut méconnaître l'objet du litige ; que les époux [I] demandaient la réduction de la haie de cyprès plantée sur le fonds de Mme [U] sur le fondement des dispositions des articles 671 et suivants du code civil ; qu'en rejetant ces demandes sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage, le tribunal a modifié l'objet du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE le droit du voisin d'exiger la réduction des arbres plantés à moins de deux mètres de la ligne séparative des fonds à la hauteur autorisée par l'article 671 du code civil n'est pas subordonné à l'existence d'un préjudice ; qu'en jugeant, pour débouter les époux [I] de leur demande tendant à la réduction de la haie de cyprès plantée sur le fonds de Mme [U] à moins de deux mètres de la ligne séparative et dépassant la hauteur autorisée par l'article 671 du code civil, qu'elle ne causait plus de « trouble anormal » à leur fonds, le tribunal a violé l'article 672 du même code.
TROISIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
Les époux [I] font grief au jugement attaqué de les AVOIR déboutés de leur demande tendant à ce que Mme [U] soit condamnée, sous astreinte, à la remise en état du grillage mitoyen matérialisant la limite séparative de leurs fonds ;
ALORS QUE tout jugement doit être motivé ; qu'en déboutant les époux [I] de leurs demandes, dont celle tendant à ce que Mme [U] soit condamnée, sous astreinte, à la remise en état du grillage mitoyen matérialisant la limite séparative de leurs fonds, sans motiver sa décision, le tribunal a violé l'article 455 du code de procédure civile.