LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 janvier 2023
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 15 F-D
Pourvoi n° Y 21-20.161
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 JANVIER 2023
La société Auréa, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 21-20.161 contre l'arrêt rendu le 2 juin 2021 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à M. [Z] [K], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de la société Auréa, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [K], après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Grandemange, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 2 juin 2021), M. [K] a été engagé par la société Auréa en qualité de directeur de la branche métal du groupe.
2. Le 16 octobre 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation de son contrat de travail et en paiement d'un rappel de prime.
3. Par courrier du 18 octobre 2018, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, lequel lui a été notifié par lettre du 30 octobre 2018.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser au salarié une somme au titre du solde de la prime d'intéressement pour l'année 2017, alors « que le contrat de travail peut prévoir, en plus de la rémunération fixe, l'attribution d'une prime laissée à la libre appréciation de l'employeur ; que le contrat de travail stipule que la rémunération du salarié est constituée, outre du salaire annuel brut, de primes d'intéressement dont il est ''susceptible de bénéficier'' et dont les montants sont précisés en annexe pour les seules années 2013 et 2014 ; qu'un avenant du 3 novembre 2017 stipule que les conditions de l'intéressement du salarié seront calculées sur le résultat opérationnel courant de quatre sociétés du groupe et qu'il ''pourra représenter jusqu'à 2 % du ROC ainsi calculé'' ; que la cour d'appel a elle-même relevé qu'il n'était pas stipulé que le salarié percevrait systématiquement une prime équivalent à 2 % du ROC ; qu'en jugeant néanmoins qu'une prime correspondant à 2 % du ROC était due au salarié par la société Auréa qui n'expliquait pas les raisons pour lesquelles le taux retenu pour l'année 2017 avait été limité à 0,5 %, quand il résultait des stipulations contractuelles que la prime d'intéressement revêtait un caractère discrétionnaire, la cour d'appel a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. Lorsque le calcul de la rémunération du salarié dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire.
7. La cour d'appel qui a constaté que, par avenant du 3 novembre 2017, il avait été convenu entre les parties de modifier la base de calcul de la prime d'intéressement versée annuellement au salarié, qui reposait auparavant sur le résultat opérationnel courant (ROC) des sociétés du groupe, pour la limiter au ROC des seules sociétés Regeal, Poudmet, M-Lego et Flaurea, cette prime pouvant atteindre 2 % du ROC ainsi calculé, en a exactement déduit qu'il s'agissait, non pas d'une prime discrétionnaire, mais d'un élément de rémunération.
8. Ayant ensuite relevé que l'employeur ne versait pas aux débats les éléments relatifs au montant du ROC des sociétés concernées pour l'année 2017, permettant de vérifier que la somme perçue par le salarié correspondait à celle due en application du contrat de travail et de l'accord de novembre 2017, elle a décidé à bon droit qu'il était débiteur des sommes dont le paiement lui était réclamé.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Auréa aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Auréa et la condamne à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour la société Auréa
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société Auréa fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit nul le licenciement pour faute grave de M. [K] et de l'avoir en conséquence condamnée à lui verser diverses sommes au titre de la mise à pied conservatoire injustifiée, de l'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité de licenciement, et de dommages-intérêts pour licenciement nul ;
1° ALORS QU'il incombe au juge qui recherche la véritable cause du licenciement de se prononcer sur la réalité et le bien-fondé de chacun des griefs invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement ; qu'en se bornant à relever que la société Auréa avait initié la procédure de licenciement de M. [K] après avoir été informée de la saisine du conseil de prud'hommes par ce dernier, pour en déduire que l'exercice par le salarié de son droit d'agir en justice constituait la véritable cause de son licenciement et que l'employeur n'établissait pas que sa décision était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner cet exercice, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le licenciement de M. [K] n'avait pas été envisagé par la société Auréa avant l'introduction de l'action du salarié, en considération des différentes fautes qu'elle lui a ensuite reprochées dans la lettre de licenciement, telles que la mauvaise gestion du dossier [O], ni si ces fautes justifiaient le licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1232-6 du code du travail ;
2° ALORS QUE le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur le témoignage d'une personne qui est l'adversaire, dans une autre procédure, d'une partie au litige ; qu'en retenant que l'engagement par M. [K] d'une procédure prud'homale à l'encontre de la société Auréa, qui lui avait notamment reproché d'avoir couvert et encouragé les agissements fautifs de M. [W], constituait la véritable cause de son licenciement, en considération d'une attestation établie par M. [W] lui-même, qui avait également introduit un litige prud'homal à l'encontre de la société Auréa, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-1 du code du travail ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3° ALORS en toute hypothèse QU'en se bornant à relever que le fait que M. [W] soit en litige avec la société Auréa ne privait pas son témoignage précis et circonstancié de valeur probante, sans s'expliquer sur la circonstance, de nature à priver son témoignage de toute valeur, que M. [K] avait été disciplinairement sanctionné par la société Auréa pour avoir couvert les manquements fautifs de M. [W] pendant de nombreuses années, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
4° ALORS en tout état de cause QUE M. [W] attestait qu'il avait entendu M. [Y], le 18 octobre 2018, expliquer à ses collaborateurs qu'il avait reçu la veille un courrier de M. [K] « qui, je cite, lui avait coupé l'herbe sous le pied » ; que loin d'être de nature à établir que le licenciement aurait été décidé en rétorsion à une saisine du conseil de prud'hommes, cette attestation ne pouvait, au contraire, qu'établir que le licenciement avait d'ores et déjà été décidé, l'employeur déplorant que la salarié ait pris les devants pour solliciter la résiliation judicaire du contrat de travail ; qu'en déduisant de cette attestation que la preuve était rapportée que le licenciement avait été décidé en réaction à la saisine du conseil de prud'hommes, la cour d'appel en a dénaturé la portée, en violation du principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
La société Auréa fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamné à verser à M. [K] la somme de 46 554,75 euros brut au titre du solde de la prime d'intéressement pour l'année 2017 ;
ALORS QUE le contrat de travail peut prévoir, en plus de la rémunération fixe, l'attribution d'une prime laissée à la libre appréciation de l'employeur ; que le contrat de travail stipule que la rémunération de M. [K] est constituée, outre du salaire annuel brut, de primes d'intéressement dont il est « susceptible de bénéficier » et dont les montants sont précisés en annexe pour les seules années 2013 et 2014 ; qu'un avenant du 3 novembre 2017 stipule que les conditions de l'intéressement de M. [K] seront calculées sur le résultat opérationnel courant de quatre sociétés du groupe et qu'il « pourra représenter jusqu'à 2 % du ROC ainsi calculé » ; que la cour d'appel a elle-même relevé qu'il n'était pas stipulé que le salarié percevrait systématiquement une prime équivalent à 2 % du ROC ; qu'en jugeant néanmoins qu'une prime correspondant à 2 % du ROC était due à M. [K] par la société Auréa qui n'expliquait pas les raisons pour lesquelles le taux retenu pour l'année 2017 avait été limité à 0,5 %, quand il résultait des stipulations contractuelles que la prime d'intéressement revêtait un caractère discrétionnaire, la cour d'appel a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil.