LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 janvier 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 35 FS-B
Pourvoi n° R 21-14.496
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2023
M. [Z] [C], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 21-14.496 contre l'arrêt rendu le 4 février 2021 par la cour d'appel de Chambéry (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Auvergne Rhône-Alpes, venant aux droits de la SAFER Rhône-Alpes, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Schmitt, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [C], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Auvergne Rhône-Alpes et l'avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Schmitt, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, conseillers, M. Jariel, Mme Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, conseillers référendaires, Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 4 février 2021, RG 19/01601), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 6 juin 2019, pourvoi n° 18-14.070), et les productions, par jugement du 7 février 2011, M. [C] a été déclaré adjudicataire de parcelles de terre.
2. La société anonyme d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) Rhône-Alpes, aux droits de laquelle est venue la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) Auvergne Rhône-Alpes, ayant décidé d'exercer son droit de préemption, M. [C] l'a assignée en annulation de cette décision.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [C] fait grief à l'arrêt de rejeter la demande en annulation de la décision de préemption, alors « que la décision de préemption ne peut être notifiée par la SAFER à l'adjudicataire évincé qu'à compter de la notification faite au greffier de la juridiction d'adjudication ; que la date de la notification par voie postale est, à l'égard de celui qui y procède, celle de l'expédition ; qu'en se fondant sur la date de réception de la notification de la décision de préemption de la SAFER par l'adjudicataire évincé, soit le 4 mars 2011, pour la déclarer régulière quand ce courrier recommandé avait été expédié le 28 février 2011, avant que, le 2 mars suivant, la juridiction d'adjudication en ait eu connaissance, la cour d'appel a violé les articles R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime dans sa version issue du décret n° 92-1290 du 11 décembre 1992 et 668 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des articles L. 143-3 et R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime que la décision de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) qui exerce le droit de préemption est notifiée, à peine de nullité, à l'acquéreur évincé, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans un délai de quinze jours à compter de la date de réception de la notification faite à la personne chargée de dresser l'acte d'aliénation.
6. Cette notification à l'acquéreur évincé a pour objet de lui délivrer une information personnelle garantissant l'effectivité de son droit au recours.
7. Le second des textes précités, qui fixe le délai maximal dans lequel la décision de préemption doit être notifiée à l'acquéreur évincé, n'impose pas que cette notification soit effectuée postérieurement à celle faite à la personne chargée de dresser l'acte d'aliénation.
8. La cour d'appel a constaté que la décision de préemption a été signifiée au greffe du tribunal par acte du 2 mars 2011 et notifiée à M. [C] par lettre recommandée avec demande d'avis de réception reçue le 4 mars suivant.
9. Il en résulte que cette notification est régulière.
10. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, conformément à l'article 620, alinéa 1, du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. M. [C] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le délégataire ne peut déléguer plus de pouvoir qu'il n'en a lui-même reçu, tandis que la SAFER est autorisée pour cinq ans par décret à exercer un droit de préemption sur certaines catégories de biens immobiliers, de sorte que la délégation de pouvoirs autorisant le cadre d'une SAFER à préempter des biens immobiliers pour son compte ne peut excéder la durée prévue par le décret l'habilitant à exercer son droit ; qu'en déclarant, que sur la période considérée, les décrets avaient autorisé la SAFER à préempter, puis en ajoutant que, n'étant pas limitée dans le temps et se fondant de manière générique sur le décret attributif en vigueur, la délégation de pouvoirs donnée par le conseil d'administration de la SAFER à M. [H] le 8 avril 2004 n'était pas périmée lorsque, le 28 février 2011, le délégataire avait exercé le droit de préemption sur les parcelles adjugées à l'exposant, la cour d'appel a violé les articles R. 143-1 et R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime ainsi que les articles L. 225-35 et L. 225-56 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
12. Selon l'article L. 143-7, alinéa 2, du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, dans les zones où se justifie l'octroi d'un droit de préemption et sur demande de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural intéressée, un décret autorise l'exercice de ce droit et en fixe la durée.
13. Selon l'article R. 143-6 du même code, la décision de préemption est signée par le président de son conseil d'administration ou par toute personne régulièrement habilitée à cet effet.
14. Selon l'article L. 225-56, II, du code de commerce, en accord avec le directeur général, le conseil d'administration d'une société anonyme détermine l'étendue et la durée des pouvoirs conférés aux directeurs généraux délégués.
15. Aux termes de l'article 2003 du code civil, le mandat finit par la révocation du mandataire, par la renonciation de celui-ci au mandat, ou par la mort, la tutelle des majeurs ou la déconfiture, soit du mandant, soit du mandataire.
16. Il résulte de ces textes, que le conseil d'administration d'une société d'aménagement foncier et d'établissement rural, constituée en société anonyme, peut déléguer pour une durée indéterminée, s'achevant de l'une des manières prévues pour le mandat, le droit de préempter que cette société a été autorisée à exercer par décret.
17. Cette délégation ne prend pas fin au terme de la durée de l'autorisation de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural à préempter, dès lors que celle-ci a été renouvelée.
18. La cour d'appel a relevé que la SAFER s'était vu conférer le droit de préempter pour une durée de cinq ans par un décret du 3 juillet 2003, puis par un décret du 30 juin 2008 prenant effet à compter de l'expiration de l'autorisation précédemment accordée et qu'il en résultait que sur la période comprise entre le 7 avril 2004, date de la délégation de pouvoir, et le 28 février 2011, date de la décision de préemption, cette société avait toujours eu, sans aucune interruption, le pouvoir d'exercer le droit de préemption.
19. Elle a constaté que la délégation de pouvoir du 7 avril 2004 n'était pas limitée dans le temps et ne se référait pas au décret du 3 juillet 2003, mais au décret attributif en vigueur.
20. Elle en a exactement déduit que la nullité de la décision de préemption n'était pas encourue de ce chef.
21. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
22. M. [C] fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que dans leur mission d'amélioration des structures foncières par l'installation ou le maintien d'exploitants agricoles ou forestiers, les SAFER peuvent préempter soit pour elles-mêmes puis rétrocéder leurs terrains aux agriculteurs choisis par leurs soins, soit au profit de départements ou d'agences de l'eau, qui sont ensuite libres de disposer des terrains pour satisfaire les objectifs qui sont les leurs ; qu'en déclarant que la SAFER avait agi dans un but conforme à ses missions et avait permis, conformément à ce qu'elle annonçait dans sa décision, la réalisation des objectifs légaux en faire valoir indirect pour les agriculteurs qui exploitaient les biens litigieux, quand cette structure n'avait pas le pouvoir de préempter des terrains au profit d'une communauté d'agglomération et de lui laisser la charge de remplir à sa place les objectifs légaux qui lui étaient assignés, la cour d'appel a violé l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
23. Selon l'article R. 142-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue du décret n° 2006-821 du 7 juillet 2006, les biens sont attribués par les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural aux candidats, personnes physiques ou morales, capables d'en assurer la gestion, la mise en valeur ou la préservation, compte tenu notamment de leur situation familiale, de leur capacité financière d'acquérir le bien et de le gérer, de l'existence de revenus non agricoles, de leurs compétences professionnelles et de leurs qualités personnelles, ainsi que de l'intérêt économique, social ou environnemental de l'opération. Les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural peuvent céder ces biens à des personnes qui s'engagent à les louer, par bail rural ou par conventions visées à l'article L. 481-1 du même code, à des preneurs, personnes physiques ou morales, répondant à ces critères et ayant reçu l'agrément de la société, à condition que l'opération permette, compte tenu notamment de son intérêt économique, social ou environnemental, l'installation d'agriculteurs ou le maintien de ceux-ci sur leur exploitation ou l'amélioration des exploitations elles-mêmes.
24. La cour d'appel a constaté qu'eu égard à la nature agricole des terrains préemptés, à leurs caractéristiques et à leur destination actuelle après rétrocession à la communauté d'agglomération du pays voironnais, il apparaissait que la SAFER avait permis, conformément à ce qu'elle annonçait dans sa décision, la réalisation des objectifs prévus aux 1° et 2° de l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime, en faire-valoir indirect pour les agriculteurs qui exploitaient les biens litigieux.
25. Elle a pu en déduire que la SAFER avait agi dans un but conforme à ses missions et que la demande d'annulation de la décision de préemption devait être rejetée.
26. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [C] et le condamne à payer à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Auvergne Rhône-Alpes la somme de 1 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [C]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'adjudicataire évincé (M. [C], l'exposant) reproche à l'arrêt infirmatif attaqué, statuant sur renvoi après cassation, de l'avoir débouté de sa demande en annulation de la décision de préemption prise par la SAFER (celle de Rhône-Alpes Auvergne), admettant en conséquence la régularité de la notification de cette décision ;
ALORS QUE la décision de préemption ne peut être notifiée par la SAFER à l'adjudicataire évincé qu'à compter de la notification faite au greffier de la juridiction d'adjudication ; que la date de la notification par voie postale est, à l'égard de celui qui y procède, celle de l'expédition; qu'en se fondant sur la date de réception de la notification de la décision de préemption de la SAFER par l'adjudicataire évincé, soit le 4 mars 2011, pour la déclarer régulière quand ce courrier recommandé avait été expédié le 28 février 2011, avant que, le 2 mars suivant, la juridiction d'adjudication en ait eu connaissance, la cour d'appel a violé les articles R.143-6 du code rural et de la pêche maritime dans sa version issue du décret n°92-1290 du 11 décembre 1992 et 668 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
L'adjudicataire évincé (M. [C], l'exposant) reproche à l'arrêt infirmatif attaqué, statuant sur renvoi après cassation, de l'avoir débouté de sa demande en annulation de la décision de préemption prise par la SAFER (celle de Rhône-Alpes Auvergne), admettant en conséquence la régularité formelle de cette décision ;
ALORS QUE, d'une part, le délégataire ne peut déléguer plus de pouvoir qu'il n'en a lui-même reçu, tandis que la SAFER est autorisée pour cinq ans par décret à exercer un droit de préemption sur certaines catégories de biens immobiliers, de sorte que la délégation de pouvoirs autorisant le cadre d'une SAFER à préempter des biens immobiliers pour son compte ne peut excéder la durée prévue par le décret l'habilitant à exercer son droit ; qu'en déclarant, que sur la période considérée, les décrets avaient autorisé la SAFER à préempter, puis en ajoutant que, n'étant pas limitée dans le temps et se fondant de manière générique sur le décret attributif en vigueur, la délégation de pouvoirs donnée par le conseil d'administration de la SAFER à M. [H] le 8 avril 2004 n'était pas périmée lorsque, le 28 février 2011, le délégataire avait exercé le droit de préemption sur les parcelles adjugées à l'exposant, la cour d'appel a violé les articles R. 143-1 et R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime ainsi que les articles L. 225-35 et L. 225-56 du code de commerce ;
ALORS QUE, d'autre part, il est interdit au juge de dénaturer les éléments de la cause ; que, pour décider que le délégataire n'avait pas l'obligation de requérir l'avis du comité technique, l'arrêt infirmatif attaqué a retenu que la mention de la délégation de pouvoir portant cette indication était entre parenthèses et que, pour cette raison même, ne pouvait pas être interprétée comme conditionnant l'exercice du pouvoir délégué à la mise en oeuvre d'une procédure de consultation de ces organes en toutes circonstances ; qu'en statuant de la sorte quand l'insertion entre parenthèses de la mention litigieuse n'avait pas pour effet d'en changer la lettre claire et précise, laquelle ne limitait pas le recours à l'avis du comité technique aux seules prescriptions légales, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
L'adjudicataire évincé (M. [C], l'exposant) reproche à l'arrêt infirmatif attaqué, statuant sur renvoi après cassation, de l'avoir débouté de sa demande en annulation de la décision de préemption prise par la SAFER (celle de Rhône-Alpes Auvergne), admettant en conséquence la régularité au fond de cette décision ;
ALORS QUE, d'une part, la SAFER doit justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l'un ou à plusieurs des objectifs visés à l'article L. 143-2 et la porter à la connaissance des intéressés ; que la motivation doit à ce titre être précise et détaillée et contenir des données concrètes permettant de contrôler la réalité de l'objectif poursuivi ; qu'en se bornant à déclarer que la SAFER avait agi dans un but conforme à ses missions et avait permis conformément à ce qu'elle annonçait dans sa décision, la réalisation des objectifs prévus aux 1° et 2° de l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime, en faire valoir indirect pour les agriculteurs qui exploitaient les biens litigieux ; qu'en se prononçant de la sorte sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, si la décision de préemption de la SAFER, motivée par l'installation, le maintien ou l'agrandissement d'exploitations agricoles, portant à cet égard un projet équestre, un projet de maraîchage, une exploitation laitière, puis précisant avoir reçu de nombreuses sollicitations d'agriculteurs sur le secteur, contenait des éléments précis et détaillés de nature à permettre au juge d'exercer son contrôle sur la motivation de la décision de préemption et de s'assurer que l'opération répondait à l'objectif affiché, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 143-2, L. 143-3 et R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime ;
ALORS QUE, d'autre part, dans leur mission d'amélioration des structures foncières par l'installation ou le maintien d'exploitants agricoles ou forestiers, les SAFER peuvent préempter soit pour elles-mêmes puis rétrocéder leurs terrains aux agriculteurs choisis par leurs soins, soit au profit de départements ou d'agences de l'eau, qui sont ensuite libres de disposer des terrains pour satisfaire les objectifs qui sont les leurs ; qu'en déclarant que la SAFER avait agi dans un but conforme à ses missions et avait permis, conformément à ce qu'elle annonçait dans sa décision, la réalisation des objectifs légaux en faire valoir indirect pour les agriculteurs qui exploitaient les biens litigieux, quand cette structure n'avait pas le pouvoir de préempter des terrains au profit d'une communauté d'agglomération et de lui laisser la charge de remplir à sa place les objectifs légaux qui lui étaient assignés, la cour d'appel a violé l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime.
Le greffier de chambre