LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 janvier 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 19 F-D
Pourvoi n° N 21-23.256
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JANVIER 2023
La société Carrare, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 21-23.256 contre l'arrêt rendu le 5 octobre 2021 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Bouygues bâtiment international, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société MJC2A, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en la personne de M. [U] [K], en qualité de mandataire liquidateur de la société Etudes et préfabrication industrielle EPI,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Carrare, de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de la société MJC2A, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Bouygues bâtiment international, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 octobre 2021), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 26 novembre 2020, pourvois n° 19-23.379 et 19-23.243), la société Etudes et préfabrication industrielle (la société EPI), détenue à hauteur de 99 % par la société Bouygues bâtiment, devenue la société Bouygues bâtiment international (la société Bouygues), exerçait une activité de préfabrication industrielle d'éléments en béton dans des locaux faisant l'objet de deux contrats de crédit-bail immobilier conclus avec la société Financière Gaillon, devenue la société CMCIC Lease.
2. La société Bouygues a cédé la société EPI à la société Dal industries pour le prix d'un euro.
3. La société CMCIC Lease a refusé de décharger la société Bouygues de ses obligations envers elle au titre des contrats de crédit-bail.
4. Par acte du 2 mai 2002, la société EPI a acquis les biens immobiliers sur lesquels portaient les contrats de crédit-bail.
5. Par deux actes du même jour, elle a vendu un immeuble situé à [Adresse 5] à la société Carrare, filiale de la société Dal industries, et pris cet immeuble à bail commercial.
6. La société EPI a été mise en liquidation judiciaire le 31 mars 2003.
7. La société Bouygues a assigné la société Carrare, le liquidateur ad hoc de la société EPI et la société civile professionnelle Coudray-[K], aux droits de laquelle vient la société MJC2A, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de cette société (le liquidateur), afin d'obtenir, sur le fondement de la fraude paulienne, la nullité de la vente et du bail commercial conclus le 2 mai 2002 entre la société Carrare et la société EPI et la réintégration dans le patrimoine de la société EPI de l'immeuble situé à [Adresse 4].
8. Le liquidateur, a, par voie de conclusions, également exercé l'action paulienne contre la société Carrare.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés
9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
10. La société Carrare fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande du liquidateur, alors « que constitue une intervention la demande dont l'objet est de rendre un tiers partie au procès engagé entre les parties originaires ; qu'en affirmant, pour admettre la recevabilité de la demande formée par le
liquidateur judiciaire à l'encontre de la société Carrare, qu'elle constituait « une demande incidente afin d'intervention à l'instance de son autre codéfendeur, laquelle peut être formée contre celui-ci par simples conclusions puisqu'il était déjà partie à l'instance principale », cependant que le liquidateur judiciaire n'était pas tiers mais partie à l'instance principale puisqu'il avait lui-même été assigné par la société Bouygues simultanément aux autres codéfendeurs, dont la société Carrare, au terme d'un même acte introductif d'instance, la cour d'appel a violé l'article 66 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
11. Selon l'article 66 du code de procédure civile, constitue une intervention la demande dont l'objet est de rendre un tiers partie au procès engagé entre les parties originaires et, lorsque la demande émane du tiers, l'intervention est volontaire.
12. Selon l'article 63 du même code, l'intervention constitue une demande incidente.
13. Aux termes de l'article 68, alinéa 1er, du même code, les demandes incidentes sont formées à l'encontre des parties à l'instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense.
14. Le liquidateur ayant été assigné par la société Bouygues en qualité de représentant du débiteur dessaisi et ayant exercé son action paulienne à l'encontre de la société Carrare en sa qualité de représentant des créanciers, agissant en leur nom et dans leur intérêt collectif, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que cette demande, présentée en une autre qualité, constituait une intervention à l'instance, laquelle pouvait être formée par simples conclusions.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
16. La société Carrare fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande subsidiaire en remboursement du prix de vente de 2 140 000 euros, augmenté des intérêts au taux légal à compter du 31 mars 2008, alors :
« 1°/ que pour débouter la société Carrare de sa demande de remboursement du prix de vente au titre de la garantie d'éviction, la cour d'appel a affirmé que « le fait générateur de la créance de la société Carrare au titre de la garantie d'éviction » était « la commission de la fraude elle-même » de sorte qu'il s'agissait d'une créance antérieure à l'ouverture de la procédure collective de la société EPI qui aurait dû être déclarée au passif ; qu'en statuant ainsi, cependant que le fait générateur de la créance revendiquée au titre de la garantie d'éviction était l'autorisation judiciaire, accordée au liquidateur judiciaire, de poursuivre la vente forcée de l'immeuble litigieux, de sorte qu'il s'agissait d'une créance postérieure à l'ouverture de la liquidation judiciaire à l'égard de la société EPI, qui n'avait nul besoin d'être déclarée à la procédure collective, la cour d'appel a violé l'article 1626 du code civil, ensemble l'article L. 621-43 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 ;
2°/ que le liquidateur judiciaire représente à la fois la collectivité des créanciers à la procédure de liquidation judiciaire et le débiteur dessaisi ; qu'en l'espèce, la société Carrare avait formulé, à titre subsidiaire, une demande à l'encontre du liquidateur judiciaire, pris en sa qualité de représentant du débiteur vendeur, sur le fondement de la garantie d'éviction ; qu'en déboutant l'exposante de sa demande à ce titre, motif pris que la garantie d'éviction ne pouvait être due par le liquidateur judiciaire dès lors que celui-ci avait agi sur le fondement de la fraude paulienne en qualité de représentant des créanciers et non en qualité de représentant du débiteur, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision au regard de l'article 1626 du code civil, ensemble l'article L. 622-9 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 ;
3°/ que l'adage selon lequel « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » fait seulement obstacle aux restitutions consécutives au prononcé de la nullité d'un acte pour immoralité de son objet ou de sa cause ; qu'il n'interdit nullement la restitution du prix au tiers acquéreur évincé, consécutivement à l'inopposabilité de la vente à raison d'une fraude paulienne ; qu'en se fondant sur cet adage, pour débouter la société Carrare de sa demande de restitution du prix de vente, cependant que la vente litigieuse n'avait pas été annulée en raison de l'immoralité de son objet ou de sa cause, la cour d'appel a violé l'article 1626 du code civil, ensemble l'adage selon lequel « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. »
Réponse de la Cour
17. La société Carrare n'ayant pas soutenu devant la cour d'appel que le fait générateur de la créance revendiquée au titre de la garantie d'éviction était l'autorisation judiciaire, accordée au liquidateur judiciaire, de poursuivre la vente forcée de l'immeuble litigieux, le moyen est de ce chef nouveau, mélangé de fait et de droit, et, partant irrecevable.
18. L'arrêt étant dès lors légalement justifié par les motifs relatifs au fait générateur de la créance de la société Carrare, vainement critiqués par la première branche, les deux autres griefs, qui sont dirigés contre des motifs surabondants, sont inopérants.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Carrare aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Carrare et la condamne à payer à la société Bouygues la somme de 5 000 euros et à la société MJC2A celle de 5 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Maunand, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent , avocat aux Conseils, pour la société Carrare
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société Carrare fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable la demande soutenue par la SELARL MJC2A ès-qualités au titre de la fraude paulienne ;
ALORS QUE constitue une intervention la demande dont l'objet est de rendre un tiers partie au procès engagé entre les parties originaires ; qu'en affirmant, pour admettre la recevabilité de la demande formée par le liquidateur judiciaire à l'encontre de la société Carrare, qu'elle constituait « une demande incidente afin d'intervention à l'instance de son autre codéfendeur, laquelle peut être formée contre celui-ci par simples conclusions puisqu'il était déjà partie à l'instance principale » (cf. arrêt p. 8, §2), cependant que le liquidateur judiciaire n'était pas tiers mais partie à l'instance principale puisqu'il avait lui-même été assigné par la société Bouygues Bâtiment International simultanément aux autres codéfendeurs, dont la société Carrare, au terme d'un même acte introductif d'instance (cf. prod. n° 7), la cour d'appel a violé l'article 66 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)La société Carrare fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 18 décembre 2017 par le Tribunal de commerce de Melun en ce qu'il a constaté que la vente de l'ensemble immobilier de Limoges Fourches par la SA Etudes et Préfabrication Industrielle (EPI) à la SARL Carrare le 2 mai 2002 et la conclusion, le même jour, d'un bail commercial entre les mêmes parties, ont été réalisées en fraude des droits des créanciers de la SA Etudes et Préfabrication Industrielle (EPI) et en ce qu'il a, en conséquence, déclaré inopposable à la procédure de liquidation judiciaire ouverte du chef de la société Etudes et Préfabrication Industrielle (EPI), la vente intervenue le 2 mai 2002 entre cette dernière et la SARL Carrare portant sur un ensemble immobilier situé à [Adresse 4], cadastré [Cadastre 7] d'une contenance de 2 ha 48 ca 41 a et [Cadastre 6] d'une contenance de 44 ha et 80 ca, ainsi que le bail commercial conclu le 2 mai 2002 entre la SARL Carrare et la SA Etudes et Préfabrication Industrielle (EPI), condamné la société Carrare à rembourser à la SCP Coudray-[K], devenue la SELARL MJC2A, ès-qualités de liquidateur de la SA Etudes et Préfabrication Industrielle (EPI) le montant des loyers versés par la SA Etudes et Préfabrication Industrielle (EPI) à la société Carrare, débouté la société Carrare de sa demande subsidiaire de remboursement du prix de vente de 2.140.000 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 31 mars 2008 et, y ajoutant, autorisé la société MJC2A, ès-qualités, à poursuivre la vente forcée de l'immeuble situé à [Adresse 4], à concurrence du montant du passif de la société EPI;
1°/ ALORS QU'un acte ne peut être attaqué par l'action paulienne que s'il a entraîné un appauvrissement du débiteur ; que lorsque cet acte s'inscrit dans une opération globale, l'appauvrissement du débiteur doit s'apprécier par référence à sa situation patrimoniale telle qu'elle existait antérieurement à l'opération globale ; que pour retenir l'existence d'un appauvrissement de la société EPI, la cour d'appel a affirmé que «l'opération de revente de l'immeuble par la société EPI à la société Carrare et la conclusion le même jour d'un bail commercial entre les deux sociétés, immédiatement après l'acquisition faite par la société EPI de ce bien auprès du crédit-bailleur suite à la levée d'option d'achat, a eu pour effet un appauvrissement de la société EPI qui non seulement a supporté une partie du coût du débouclage des crédits-bails mais a été privée de la propriété de son immeuble qu'elle a dû louer à la société Carrare » (cf. arrêt p. 12, §2) ; qu'en se déterminant ainsi, par référence au seul impact, sur la situation patrimoniale de la société EPI, de la perte de propriété de l'immeuble, des loyers dus au titre du bail conclu sur ce même immeuble et de la fraction du coût du « débouclage » supporté par cette dernière, quand il lui appartenait de tenir compte de l'impact sur la situation patrimoniale du débiteur de l'opération globale de « débouclage », laquelle avait abouti, grâce au financement opéré par les sociétés du Groupe Dal de la levée d'option des crédits-bails souscrits par la société EPI, à une décharge totale de cette dernière de l'encours restant dû au titre des crédits-loyers, la cour d'appel a violé l'article 1167 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;
2°/ ALORS QUE la cour d'appel a affirmé que « la commune intention des parties était de décharger la société Bouygues de ses engagements au titre [des contrats de crédits-bails] en sa qualité d'ancien associé de la SNC EPI pour les transférer à l'acquéreur, le groupe Dal Industries » (cf. arrêt p. 12, §3) ; que les engagements solidaires ainsi transférés consistaient en l'obligation de garantir le paiement, par la société EPI, des loyers dus par cette dernière au titre des crédits-bails qu'elle avait souscrits ; qu'ainsi, les sociétés du groupe Dal n'avaient pas vocation à supporter la charge définitive du coût des crédits-bails auquel seule la société EPI était tenue, de sorte que le paiement effectué par les sociétés du groupe Dal dans le cadre de l'opération de « débouclage » a été réalisé en exécution d'une obligation de garantie et n'était donc pas destiné à permettre à la société EPI d'intégrer à titre gratuit dans son patrimoine l'ensemble immobilier objet des crédits-bails ; qu'en retenant toutefois le contraire, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;
3°/ ALORS QU'il est interdit au juge de dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; que dans la lettre du 15 mars 2002 adressée par la société Bouygues Construction à la société Dal Industries il était expressément mentionné que «l'intention des parties [était] le transfert par le vendeur [la société Bouygues] à l'acquéreur [la société Dal Industries] des droits et obligations attachés au crédit-bailleur » et que, dans le cadre du schéma alternatif convenu entre les parties « si EPI était défaillant au titre de la réalisation des promesses concernant ses contrats (réalisation des promesses ou par défaut de réalisation des promesses, paiement des loyers), Bouygues Bâtiment serait substitué à EPI dans les droits de celleci au titre des crédits-bails » (cf. prod. n° 14) ; qu'en envisageant la substitution de la société Bouygues Bâtiment International à la société EPI « dans les droits de celle-ci au titre des crédits-bails », les parties avaient ainsi prévu la possibilité que la première devienne, à terme, propriétaire de l'ensemble immobilier objet des crédits-bails ; qu'en retenant que la société Carrare ne pouvait « exciper des termes de la lettre adressée par la société Bouygues à la société Dal Industries le 15 mars 2002 [que] l'intention des parties [était] le transfert par le vendeur à l'acquéreur des droits et obligations attachés aux crédits-bails puisque le vendeur, la société Bouygues, n'a[vait] jamais eu vocation à devenir au terme des contrats de crédits-bails propriétaire de l'ensemble immobilier » (cf. arrêt p. 12, §3), la cour d'appel a dénaturé ladite lettre en violation du principe suivant lequel il est interdit au juge de dénaturer les écrits qui lui sont soumis ;
4°/ ALORS QU'en affirmant, pour retenir l'existence d'un appauvrissement de la société EPI, que la société Carrare ne pouvait sérieusement soutenir que la contribution très majoritaire « du groupe Dal » (dont faisaient partie les sociétés Dal Industries et Carrare) à l'opération de « débouclage » des crédits-bails immobiliers était la contrepartie de l'acquisition de la propriété de l'immeuble dont s'agit puisque celle-ci s'était faite « par un tiers » (cf. arrêt p. 12, §3), cependant que la société Carrare faisait elle-même partie du groupe Dal et n'était donc pas un « tiers » par rapport à celui-ci, la Cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;
5°/ ALORS QU'EN TOUTE HYPOTHESE après avoir relevé que seule la vente de l'ensemble immobilier, objet des crédits-bails, et la conclusion d'un bail commercial portant sur ce même ensemble immobilier étaient argués de fraude (cf. arrêt p. 11, §6), la cour d'appel a retenu l'existence d'un appauvrissement de la société EPI par référence aux pertes générées par « l'opération de débouclage et de cession » (cf. arrêt p. 12 §3) ; qu'en se déterminant ainsi, par référence à des pertes résultant de l'opération de « débouclage » en son ensemble, laquelle incluait le coût de la levée d'option, et non aux seules pertes résultant des actes de revente et de bail qui seuls étaient argués de fraude, la Cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;
6°/ ALORS QU'EN TOUTE HYPOTHESE le défaut de réponse à conclusions équivaut à une absence de motifs ; qu'en se déterminant, pour retenir l'existence d'un appauvrissement de la société EPI, par référence aux conclusions de l'expert judiciaire, Monsieur [Z], ayant retenu que « l'opération de débouclage et de cession » avait généré « une perte sensiblement supérieure à l'économie de loyers » (cf. arrêt p. 12, §4), sans répondre au moyen soulevé par l'exposante faisant valoir, ainsi qu'il résultait des conclusions du rapport d'expertise lui-même, que la perte retenue par Monsieur [Z] était purement comptable et résultait de la différence mathématique entre le coût contractuel de la levée d'option des crédits-bails immobiliers (incluant principalement l'encours résiduel au titre des crédits-bails immobiliers) auquel la société EPI était tenue et la valeur vénale du bien, de sorte que cette perte aurait dû, dans tous les cas, être comptabilisée par la société EPI à l'occasion de la levée d'option des crédits-bails, même si elle n'avait pas été accompagnée de la revente immédiate de l'ensemble immobilier à la société Carrare (cf. conclusions p. 65), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
7°/ ALORS QU'EN TOUTE HYPOTHSE le défaut de réponse à conclusions équivaut à une absence de motifs ; qu'en retenant que la revente de l'ensemble immobilier à la société Carrare constituait un acte d'appauvrissement de la société EPI puisqu'il avait dépossédé cette dernière d'un actif substantiel, sans répondre aux conclusions faisant valoir que le prix de vente était conforme à la valeur vénale du bien, ce que l'expert judiciaire, M. [Z], avait par ailleurs concédé dans son rapport (cf. conclusions p. 62 et prod. n° 11, p. 78, §3), la cour d'appel a derechef violé l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;
8°/ ALORS QU'EN TOUTE HYPOTHSE tout jugement doit être motivé ; que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en retenant, par des motifs éventuellement adoptés des premier juges, que le loyer annuel de 365.760 euros mis à la charge de la société EPI au titre du bail commercial consenti par la société Carrare était « totalement excessif » (cf. jugement p. 14, §7), sans s'expliquer sur le rapport produit par l'exposante, établi par Monsieur [F], expert en estimation immobilière agréé par la Cour de cassation, ayant estimé la valeur locative annuelle de l'immeuble à 370.000 euros (cf. prod. n° 10), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
9°/ ALORS QU'un acte d'appauvrissement ne peut être attaqué par l'action paulienne que s'il a entraîné l'insolvabilité du débiteur ; que le constat d'un appauvrissement ne suffit pas à caractériser une insolvabilité ; que pour retenir l'insolvabilité de la société EPI à la date de conclusion de la vente et du bail argués de fraude, la cour d'appel a affirmé que « ces deux actes et notamment l'acte de vente qui a dépossédé la société EPI d'un actif substantiel l'ont incontestablement appauvrie et ont ainsi aggravé sa situation d'insolvabilité à tout le moins apparente au détriment de ses créanciers » (cf. arrêt p. 12, §5) ; qu'en déduisant ainsi l'insolvabilité de la société EPI du prétendu appauvrissement de cette dernière, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;
10°/ ALORS QU'un acte d'appauvrissement ne peut être attaqué par l'action paulienne que s'il a entraîné l'insolvabilité du débiteur ; que l'insolvabilité du débiteur doit être établie tant à la date des actes suspects qu'à celle à laquelle l'action paulienne est exercée ; que pour retenir l'état d'insolvabilité de la société EPI à la date de conclusion des actes litigieux, la cour d'appel a affirmé que « l'expert [Z] conclut que l'opération de débouclage et de cession a généré une perte sensiblement supérieure à l'économie de loyers et qu'ainsi la situation financière de la société EPI déjà précaire ne pouvait qu'être aggravée par cette situation, étant rappelé que la société EPI présentait au 31 décembre 2001 un résultat déficitaire de 1.858.000 euros » (cf. arrêt p. 12, §4) ; qu'en se déterminant ainsi, par référence à la situation déficitaire de la société, impropre à caractériser l'état d'insolvabilité de la société EPI au jour de la conclusion des actes litigieux, c'est-à-dire son incapacité à payer ses dettes existantes, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;
11°/ ALORS QU'au surplus, l'insolvabilité du débiteur doit être établie tant à la date des actes suspects qu'à celle à laquelle l'action paulienne est exercée ; qu'en affirmant que « dès le 1er novembre 2002, soit cinq mois après la vente et le bail commercial litigieux, la société EPI n'a plus été en mesure de régler ses loyers ce qui a entraîné la résiliation du bail constatée par ordonnance de référé rendue la veille de la déclaration de cessation des paiements et de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire » (cf. arrêt p. 12, §6), la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser l'insolvabilité de la société EPI à la date de conclusion des actes litigieux, soit au 2 mai 2002, en violation de l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;
12°/ ALORS QUE lorsque l'acte attaqué par le biais de l'action paulienne est un acte à titre onéreux, le créancier doit établir la complicité frauduleuse du tiers ; que celle-ci ne peut résulter que de la connaissance par le tiers de l'état d'insolvabilité du débiteur principal au moment de la conclusion de l'acte attaqué ; que pour retenir l'existence d'une telle complicité, la cour d'appel a affirmé que « l'identité de dirigeant entre la société Carrare et la société EPI, lequel n'ignorait ni la situation financière fragile de la société EPI ni la créance de la société Bouygues sur la société EPI résultant de l'acte de cession de créances conclu entre cellesci ni les emprunts contractés par cette dernière pour financer l'opération de débouclage suffit à démontrer que tant la débitrice que le tiers acquéreur avaient nécessairement conscience qu'en réduisant l'actif de la première, ils portaient atteinte aux intérêts de leurs créanciers » (cf. arrêt p. 12, dernier §) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la connaissance de la fragilité financière du débiteur n'implique pas la conscience de l'état d'insolvabilité de ce dernier, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser l'intention frauduleuse de la société Carrare et a violé l'article 1167 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
(INFINIMENT SUBSIDIAIRE)La société Carrare fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 18 décembre 2017 par le Tribunal de commerce de Melun en ce qu'il a condamné la SARL Carrare à rembourser à la SCP Coudray-[K], devenue la SELARL MJC2A, ès-qualités de liquidateur de la SA Etudes et Préfabrication Industrielle (EPI), le montant des loyers versés par la SA Etudes et Préfabrication Industrielle (EPI) à la SARL Carrare ;
1°/ ALORS QUE l'inopposabilité de l'acte reconnu comme étant frauduleux dans le cadre d'une action paulienne n'a pas d'effet rétroactif ; qu'elle n'emporte pas restitution des sommes perçues en exécution dudit acte ; qu'en affirmant que le jugement devait être confirmé en ce qu'il avait condamné la société Carrare à restituer au liquidateur judiciaire le montant des loyers et indemnités d'occupation versés par la société EPI « en conséquence de l'inopposabilité du bail à la procédure collective » (cf. arrêt p. 13, §7), la cour d'appel, qui a attribué à l'inopposabilité un effet rétroactif dont elle est dépourvue, a violé l'article 1167 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;
2°/ ALORS QUE l'inopposabilité d'un acte résultant d'une action paulienne est sans effet entre les parties au contrat frauduleux ; qu'elle ne peut donc justifier la mise en oeuvre de restitutions lesquelles ne peuvent avoir lieu qu'entre les parties à un contrat ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que l'inopposabilité du bail au liquidateur judiciaire, justifiait que le montant des loyers payés à la société Carrare lui soit restitué (cf. arrêt p. 13, §7) ; qu'en déduisant ainsi une obligation de restitution inter partes de l'inopposabilité d'un acte dépourvu d'effet entre les parties, la cour d'appel a violé l'article 1167 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
(INFINMENT SUBSIDIAIRE)La société Carrare fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 18 décembre 2017 par le Tribunal de commerce de Melun en ce qu'il l'a déboutée de sa demande subsidiaire de remboursement du prix de vente de 2.140.000 euros, augmenté des intérêts au taux légal à compter du 31 mars 2008 ;
1°/ ALORS QUE pour débouter la société Carrare de sa demande de remboursement du prix de vente au titre de la garantie d'éviction, la Cour d'appel a affirmé que « le fait générateur de la créance de la société Carrare au titre de la garantie d'éviction » était « la commission de la fraude elle-même » de sorte qu'il s'agissait d'une créance antérieure à l'ouverture de la procédure collective de la société EPI qui aurait dû être déclarée au passif (cf. arrêt p. 14, §3) ; qu'en statuant ainsi, cependant que le fait générateur de la créance revendiquée au titre de la garantie d'éviction était l'autorisation judiciaire, accordée au liquidateur judiciaire, de poursuivre la vente forcée de l'immeuble litigieux, de sorte qu'il s'agissait d'une créance postérieure à l'ouverture de la liquidation judiciaire à l'égard de la société EPI, qui n'avait nul besoin d'être déclarée à la procédure collective, la cour d'appel a violé l'article 1626 du code civil, ensemble l'article L. 621-43 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 ;
2°/ ALORS QUE le liquidateur judiciaire représente à la fois la collectivité des créanciers à la procédure de liquidation judiciaire et le débiteur dessaisi ; qu'en l'espèce, la société Carrare avait formulé, à titre subsidiaire, une demande à l'encontre du liquidateur judiciaire, pris en sa qualité de représentant du débiteur vendeur, sur le fondement de la garantie d'éviction ; qu'en déboutant l'exposante de sa demande à ce titre, motif pris que la garantie d'éviction ne pouvait être due par le liquidateur judiciaire dès lors que celui-ci avait agi sur le fondement de la fraude paulienne en qualité de représentant des créanciers et non en qualité de représentant du débiteur, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision au regard de l'article 1626 du code civil, ensemble l'article L. 622-9 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 ;
3°/ ALORS QU'au surplus, l'adage selon lequel « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » fait seulement obstacle aux restitutions consécutives au prononcé de la nullité d'un acte pour immoralité de son objet ou de sa cause ; qu'il n'interdit nullement la restitution du prix au tiers acquéreur évincé, consécutivement à l'inopposabilité de la vente à raison d'une fraude paulienne ; qu'en se fondant sur cet adage, pour débouter la société Carrare de sa demande de restitution du prix de vente, cependant que la vente litigieuse n'avait pas été annulée en raison de l'immoralité de son objet ou de sa cause, la cour d'appel a violé l'article 1626 du code civil, ensemble l'adage selon lequel « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».