LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 décembre 2022
Rejet
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1391 F-D
Pourvoi n° K 22-12.264
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 DÉCEMBRE 2022
La société La Financière investissement, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 22-12.264 contre l'arrêt rendu le 17 décembre 2021 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [K] [T], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pecqueur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société La Financière investissement, de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [T], après débats en l'audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Pecqueur, conseiller référendaire rapporteur, M. Pion, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 17 décembre 2021), M. [T] a signé un contrat de mandataire avec la société La Financière investissement (la société) le 20 juin 2017.
2. Il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'arrêt de déclarer la juridiction prud'homale compétente pour connaître du litige et de renvoyer la cause et les parties devant le conseil de prud'hommes de Saint-Denis de la Réunion, alors :
« 1°/ que le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur les différents qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail ; que sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription les personnes physiques immatriculées au registre des agents commerciaux ; que l'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci ; que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail ; qu'en l'espèce, pour requalifier le mandat liant la société La Financière Investissement à M. [T] et dire la juridiction prud'homale compétente, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que celui-ci était intégré dans un équipe, qu'il était soumis à des contraintes en matière de temps de travail à raison d'une présence au bureau un mardi sur deux et le mercredi matin, d'un appel téléphonique tous les mardis soirs à 16 heures et de formation les lundis tous les quinze jours, que son activité était prise en compte dans l'organisation du travail, qu'il utilisait des moyens matériels liés à la société tels que les locaux, une adresse internet, des documents de communication et des outils informatiques, dont un logiciel de relations clients obligatoire, propres à la société, qu'il était tenu de respecter un code de déontologie et de bonne conduite, qu'il était soumis plus généralement à une limitation forte d'initiatives dans le déroulement de son activité, que l'impact du confinement en 2020 sur son travail avait été questionné avec une proposition d'aide ou d'accompagnement en fonction des difficultés, qu'il dépendait de Mme [B], conseillère en investissement et de M. [U], gérant de la société, et qu'il recevait des directives et devait rendre compte ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser l'existence d'un lien de subordination permanente et sans constater que la société La Financière Investissement avait adressé à M. [T] des directives sur les modalités d'exécution du travail, qu'elle disposait du pouvoir d'en contrôler le respect et d'en sanctionner l'inobservation, ni l'exercice d'un travail au sein d'un service organisé selon des conditions qui auraient été unilatéralement déterminées par la société La Financière Investissement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1411-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
2°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut au défaut de motifs ; qu'en l'espèce, l'exposante faisait valoir dans ses conclusions d'appel que les mandataires ne recevaient aucune instruction quant au volume horaire à consacrer à leur activité, à leur organisation, à la fixation de leurs congés " ou au périmètre géographique d'exécution de leur activité et qu'ils fixaient eux-mêmes les objectifs qu'ils souhaitaient atteindre ; qu'en décidant que M. [T] était soumis à une limitation forte d'initiatives dans le déroulement de son activité " sans répondre à ce moyen de la société La Financière Investissement, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut au défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la société La Financière Investissement faisait valoir dans ses écritures que Mme [B] avait, en qualité de mandataire sénior tiers à l'entreprise, reçu mandat de proposer une formation facultative aux nouveaux mandataires et de les accompagner dans l'exercice de leur mission, que lorsque M. avait fait part à M. [U], gérant de la société, des difficultés relationnelles qu'il rencontrait avec Mme [B], celui-ci avait sans difficulté accepté qu'ils ne soient plus en contact et qu'enfin, la société La Financière Investissement ne pouvait répondre des courriels adressés à M. [T] par Mme [B] puisque celle-ci était une personne tierce à l'entreprise ; qu'en retenant que M. [T] dépendait de Mme [B] et de M. [U] sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Ayant constaté que M. [T] était intégré dans une équipe, qu'il était soumis à des contraintes en matière de temps de travail et de formation, qu'il devait faire parvenir son compte-rendu hebdomadaire chaque vendredi midi au plus tard, qu'il utilisait les locaux de la société, une adresse mail au nom de la société, ainsi que des moyens de communication, des process backoffice et des outils informatiques, dont un logiciel de relations clients obligatoire, propres à la société, qu'il était soumis à une limitation forte d'initiatives dans le déroulement de son activité par des validations systématiques et qu'il dépendait du gérant de la société, la cour d'appel, qui a fait ressortir que ces éléments plaçaient l'intéressé dans un lien de subordination juridique permanent, a pu en déduire, sans être tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, l'existence d'un contrat de travail.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société La Financière investissement aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société La Financière investissement et la condamne à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour la société La Financière investissement.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société La Financière Investissement fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré recevable l'appel interjeté par M. [T].
ALORS QUE l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ; que seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement ; qu'il en résulte que l'effet dévolutif de l'appel n'opère pas lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs critiqués ; que la déclaration d'appel doit contenir, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ; qu'en l'espèce, pour déclarer l'appel recevable, la cour d'appel s'est bornée à retenir que l'appelant critiquait le jugement « en ce qu'il a[vait] rejeté la compétence de la juridiction prud'homale » ; qu'en statuant ainsi, quand la déclaration d'appel ne mentionnait pas expressément les chefs critiqués du jugement, privant ainsi l'appel de son effet dévolutif, la cour d'appel a violé les articles 85, 562 et 901 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)La société La Financière Investissement fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré la juridiction prud'homale compétente pour connaître du litige et d'AVOIR renvoyé la cause et les parties devant le conseil de prud'hommes de Saint-Denis de la Réunion.
1° ALORS QUE le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur les différents qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail ; que sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription les personnes physiques immatriculées au registre des agents commerciaux ; que l'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci ; que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail ; qu'en l'espèce, pour requalifier le mandat liant la société La Financière Investissement à M. [T] et dire la juridiction prud'homale compétente, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que celui-ci était intégré dans un équipe, qu'il était soumis à des contraintes en matière de temps de travail à raison d'une présence au bureau un mardi sur deux et le mercredi matin, d'un appel téléphonique tous les mardis soirs à 16 heures et de formation les lundis tous les quinze jours, que son activité était prise en compte dans l'organisation du travail, qu'il utilisait des moyens matériels liés à la société tels que les locaux, une adresse internet, des documents de communication et des outils informatiques, dont un logiciel de relations clients obligatoire, propres à la société, qu'il était tenu de respecter un code de déontologie et de bonne conduite, qu'il était soumis plus généralement à une limitation forte d'initiatives dans le déroulement de son activité, que l'impact du confinement en 2020 sur son travail avait été questionné avec une proposition d'aide ou d'accompagnement en fonction des difficultés, qu'il dépendait de Mme [B], conseillère en investissement et de M. [U], gérant de la société, et qu'il recevait des directives et devait rendre compte ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser l'existence d'un lien de subordination permanente et sans constater que la société La Financière Investissement avait adressé à M. [T] des directives sur les modalités d'exécution du travail, qu'elle disposait du pouvoir d'en contrôler le respect et d'en sanctionner l'inobservation, ni l'exercice d'un travail au sein d'un service organisé selon des conditions qui auraient été unilatéralement déterminées par la société La Financière Investissement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1411-1 et L. 8221-6 du code du travail.
2° ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut au défaut de motifs ; qu'en l'espèce, l'exposante faisait valoir dans ses conclusions d'appel (p. 6) que les mandataires ne recevaient aucune instruction quant au volume horaire à consacrer à leur activité, à leur organisation, à la fixation de leurs « congés » ou au périmètre géographique d'exécution de leur activité et qu'ils fixaient eux-mêmes les objectifs qu'ils souhaitaient atteindre ; qu'en décidant que M. [T] était « soumis à une limitation forte d'initiatives dans le déroulement de son activité » sans répondre à ce moyen de la société La Financière Investissement, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
3° ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut au défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la société La Financière Investissement faisait valoir dans ses écritures (pp. 33-36) que Mme [B] avait, en qualité de mandataire sénior tiers à l'entreprise, reçu mandat de proposer une formation facultative aux nouveaux mandataires et de les accompagner dans l'exercice de leur mission, que lorsque M. [T] avait fait part à M. [U] gérant de la société, des difficultés relationnelles qu'il rencontrait avec Mme [B], celui-ci avait sans difficulté accepté qu'ils ne soient plus en contact (cf. prod.) et qu'enfin, la société La Financière Investissement ne pouvait répondre des courriels adressés à M. [T] par Mme [B] puisque celle-ci était une personne tierce à l'entreprise ; qu'en retenant que M. [T] dépendait de Mme [B] et de M. [U] sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.