LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
OR
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 décembre 2022
Cassation
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1403 F-D
Pourvoi n° N 21-21.301
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 DÉCEMBRE 2022
M. [U] [L], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 21-21.301 contre l'arrêt rendu le 17 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 7), dans le litige l'opposant à la société RCF Rugby, dénommée Racing 92, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [L], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société RCF Rugby dénommée Racing 92, après débats en l'audience publique du 16 novembre 2022 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Flores, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 juin 2021), par un contrat de travail à durée déterminée en date du 6 juin 2014, M. [L] a été engagé à compter du 1er juillet 2014 en qualité de joueur pour une durée de trois saisons, par la société RCF Rugby, dénommée Racing 92. Ce contrat contenait une condition suspensive liée à son homologation par la Ligue nationale de Rugby.
2. Dans un courrier manuscrit du 13 juin 2014 signé par elles, les parties ont indiqué « suite à un risque médullaire contre indiquant la pratique du rugby, je reconnais avoir pris connaissance que mon contrat de travail me liant à la SASP RCF Rugby est annulé ».
3. Le 17 juillet 2015, soutenant que la rupture du contrat était abusive, le joueur a saisi la juridiction prud'homale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le joueur fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, alors « que si l'entrée en vigueur d'un contrat de travail à durée déterminée d'un sportif professionnel peut être subordonnée à une condition suspensive tirée de l'homologation du contrat par la ligue professionnelle, c'est à l'employeur qu'il incombe de soumettre le contrat à homologation et le salarié ne peut se voir opposer un défaut d'homologation résultant de la carence de l'employeur dans l'accomplissement de cette obligation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le défaut d'homologation du contrat de travail était opposable à M. [L] puisqu'il ne résultait pas d'une abstention fautive de l'employeur dès lors qu'à défaut de certificat médical attestant de l'absence de contre-indication à la pratique du rugby, le dossier n'était pas complet de sorte que l'homologation n'aurait donc pas été prononcée ; qu'en statuant ainsi quand il ressortait de ses propres constatations que la société RCF Rugby s'était abstenue de soumettre à homologation le contrat de travail à durée déterminée du joueur, de sorte qu'en l'absence de refus d'homologation de la part de la Ligue la condition suspensive n'était pas opposable au joueur, la cour d'appel a violé les articles 1181 ancien du code civil, devenu 1304, et L. 1243-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1181 et 1178 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 2.3.2 du titre II de la convention collective du rugby professionnel :
5. Selon le premier de ces textes, l'obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend ou d'un événement futur et incertain, ou d'un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties.
6. Aux termes du second, la condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement.
7. Selon le troisième, tous contrats, ainsi que tous avenants, conventions, accords et contre-lettres dont l'objet est de compléter le contrat de travail conclu doivent être soumis par le club à l'homologation dans les conditions fixées par la présente convention et la réglementation de la Ligue nationale de rugby.
8. Il en résulte que le salarié ne peut se voir opposer un défaut d'homologation résultant de la carence de l'employeur dans l'accomplissement de cette obligation.
9. Pour débouter le joueur de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive, l'arrêt retient que le joueur a été convoqué pour des examens médicaux auprès du médecin du club et, qu'après des examens complémentaires l'impossibilité de délivrer un certificat médical de non contre-indication à la pratique du rugby a été confirmée. L'arrêt ajoute que le défaut d'homologation du contrat de travail est opposable au joueur puisqu'il ne résulte pas d'une abstention fautive de l'employeur dès lors qu'à défaut de certificat médical attestant de l'absence de contre-indication à la pratique du rugby, le dossier n'était pas complet et que l'homologation n'aurait donc pas été prononcée. L'arrêt précise que le joueur ne justifie pas avoir exercé un quelconque recours auprès de la commission médicale de la ligue comme il en avait la possibilité en application de l'article 5.34.b.2 de la convention collective aux fins de désignation d'un médecin expert pour réaliser une contre-expertise. L'arrêt en déduit que la condition suspensive étant irréalisable du fait du refus du médecin du club d'établir le certificat médical, l'employeur ne peut valablement se voir reprocher l'absence de transmission du contrat à la Ligue.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'employeur s'était abstenu de soumettre le contrat à l'homologation, de sorte que le joueur pouvait prétendre à la réparation du préjudice en résultant, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société RCF Rugby, dénommée Racing, 92 aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société RCF Rugby, dénommée RCF Racing 92, et la condamne à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour M. [L]
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté M. [L] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail ;
1) ALORS QUE si l'entrée en vigueur d'un contrat de travail à durée déterminée d'un sportif professionnel peut être subordonnée à une condition suspensive tirée de l'homologation du contrat par la ligue professionnelle, c'est à l'employeur qu'il incombe de soumettre le contrat à homologation et le salarié ne peut se voir opposer un défaut d'homologation résultant de la carence de l'employeur dans l'accomplissement de cette obligation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le défaut d'homologation du contrat de travail était opposable à M. [L] puisqu'il ne résultait pas d'une abstention fautive de l'employeur dès lors qu'à défaut de certificat médical attestant de l'absence de contre-indication à la pratique du rugby, le dossier n'était pas complet de sorte que l'homologation n'aurait donc pas été prononcée (cf. arrêt attaqué p. 5) ; qu'en statuant ainsi quand il ressortait de ses propres constatations que la société RCF Rugby s'était abstenue de soumettre à homologation le contrat de travail à durée déterminée du joueur, de sorte qu'en l'absence de refus d'homologation de la part de la Ligue la condition suspensive n'était pas opposable au joueur, la cour d'appel a violé les articles 1181 ancien du code civil, devenu 1304, et L. 1243-1 du code du travail ;
2) ALORS QU'en cas de litige faisant suite à un refus d'homologation du contrat pour un motif autre que financier, le joueur est en droit de saisir la Commission juridique de la Ligue Nationale de Rugby aux fins de conciliation et/ou pour faire constater par la Commission le niveau de responsabilité de chacun des parties au contrat ; que le Club qui ne transmet pas pour homologation le contrat de travail d'un joueur au motif qu'il ne disposerait pas d'un certificat médical attestant de l'absence de contre-indication à la pratique du rugby prive donc le salarié de ce recours ; qu'en l'espèce, en retenant que la société RCF Rugby n'avait pas commis de faute en s'étant abstenue de soumettre à homologation le contrat de travail à durée déterminée de M. [L], sans rechercher, comme elle y était invitée, si cela n'avait pas empêché le joueur de pouvoir exercer une voie de recours, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1181 ancien du code civil, devenu 1304, L. 1243-1 du code du travail, ensemble 2.3.8 a) de la convention collective du rugby professionnel ;
3) ALORS, en toute hypothèse, QUE si l'homologation des contrats des joueurs des clubs membres de la Ligne Nationale de Rugby est subordonnée à l'envoi d'un certificat médical établissant l'absence de contre-indication à la pratique du rugby dans les compétitions professionnelles, seule une contre-indication définitive à la pratique du rugby empêche l'homologation du contrat, l'indisponibilité du joueur, qui s'apparente à une contre-indication à titre temporaire, ne faisant pas obstacle à l'homologation dudit contrat ; qu'en l'espèce, en se bornant à relever, pour dire le défaut d'homologation du contrat de travail opposable à M. [L], qu'à défaut de certificat médical attestant de l'absence de contre-indication à la pratique du rugby, le dossier n'était pas complet de sorte que l'homologation n'aurait donc pas été prononcée, quand il lui appartenait de vérifier que le Club justifiait d'une contreindication définitive à la pratique du rugby dans les compétitions professionnelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1181 ancien du code civil, devenu 1304, et L. 1243-1 du code du travail ;
4) ALORS, en toute hypothèse, QUE pour que le club puisse se prévaloir de la défaillance de la condition suspensive tirée de la contre-indication à la pratique du rugby établie lors de l'examen médical effectué sous la responsabilité du médecin du club avant l'arrivée du joueur au club, encore faut-il que le club soit en mesure de produire un certificat du médecin du club établissant une telle contre-indication ; qu'en l'espèce, en retenant pour juger que le club pouvait se prévaloir de la défaillance de la condition suspensive l'absence d'un certificat médical attestant de l'absence de contre-indication à la pratique du rugby (cf. arrêt attaqué p. 5) quand elle aurait dû exiger du club qu'il justifie avoir remis au joueur un certificat du médecin du club attestant d'une contre-indication à la pratique du rugby, la cour d'appel a violé les articles 1181 ancien du code civil, devenu l'article 1304, L. 1243-1 du code du travail, ensemble 2.2 du chapitre I du titre II de la convention collective du rugby professionnel ;
5) ALORS QUE si les examens destinés à établir l'absence de contreindication à la pratique du rugby dans les compétitions professionnelles démontrent une contre-indication médicale, le joueur a la possibilité de saisir la commission médicale de la Ligne Nationale de Rugby aux fins de désignation d'un médecin expert pour réalisation d'une contre-expertise ; qu'en l'espèce, M. [L] faisait valoir que le club avait pris la décision de mettre un terme à toute relation contractuelle le jour où il avait eu connaissance de l'avis du docteur [J], bien qu'il restait 17 jours avant l'entrée en vigueur du contrat, ce qui avait empêché le joueur de pouvoir exercer un recours après de la Ligue (cf. conclusions p. 18) ; qu'en retenant que M. [L] ne justifiait pas avoir exercé un quelconque recours auprès de la commission médicale de la Ligue comme il en avait la possibilité en application de l'article 5.34.b.2 de la convention collective aux fins de désignation d'un médecin expert pour réaliser une contre-expertise (cf. arrêt attaqué p. 5), sans rechercher si l'employeur n'avait pas « annulé » le contrat le jour même du résultat de l'examen complémentaire, de sorte que le joueur avait été privé de la possibilité d'exercer un tel recours, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1181 ancien du code civil, devenu 1304, et L. 1243-1 du code du travail ;
6) ALORS en toute hypothèse QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, M. [L] faisait valoir qu'il ne pouvait en tout état de cause avoir été déclaré inapte en l'absence d'examen par le médecin du travail qui était pourtant seul compétent selon la loi pour faire passer un examen avant l'embauche du salarié et le déclarer éventuellement inapte à l'emploi pour lequel il avait été recruté (cf. conclusions p. 16 et pp. 25-26) ; qu'en ne répondant pas à ce moyen pourtant opérant de M. [L], la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.