LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 décembre 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1265 F-B
Pourvoi n° A 21-15.425
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2022
1°/ Mme [N] [I], épouse [F],
2°/ M. [H] [F],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° A 21-15.425 contre l'arrêt n° RG : 19/04259 rendu le 18 février 2021, rectifié par l'arrêt n° RG : 21/03663 rendu le 25 mars 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-9), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [R] [X], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société Carpentier [X] Claudot, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [I], épouse [F] et M. [F], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [X] et la société Carpentier [X] Claudot, de la SCP Marc Lévis, avocat de la société BNP Paribas, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 18 février 2021 et 25 mars 2021), par acte notarié reçu le 24 juin 2008 par la société [X] Carpentier Mancy, la société BNP Paribas (la banque) a consenti à la société Brise marine un prêt pour l'acquisition d'un bien immobilier, garanti par la caution de M. [F] et de Mme [I].
2. A la suite de la cessation du remboursement du prêt par la société Brise marine, la banque a prononcé l'exigibilité anticipée du solde du prêt et inscrit une hypothèque judiciaire provisoire sur les droits et portions d'un bien immobilier appartenant à M. [F] et à Mme [I].
3. Le 19 novembre 2015, M. [F] et Mme [I] ont assigné la banque devant un juge de l'exécution en mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire et en condamnation de la banque au paiement de dommages-intérêts.
4. Par jugement du 11 octobre 2016, un juge de l'exécution a constaté la nullité de l'engagement de caution contenu dans l'acte notarié du 24 juin 2008 en raison du vice du consentement de cet engagement, ordonné la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire et condamné la banque au paiement de dommages-intérêts.
5. La banque a interjeté appel de ce jugement. Par arrêt du 24 mai 2018, une cour d'appel a infirmé le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de l'engagement de caution et condamné la banque à payer des dommages-intérêts, et, statuant de nouveau, a jugé que M. [F] et Mme [I], cautions du prêt consenti à la société Brise marine par acte notarié du 24 juin 2008, étaient déchargés de leur obligation de garantie.
6. Le 28 février 2019, M. [X], notaire associé, et la société Carpentier [X] Claudot, notaires associés (l'office notarial), ont formé tierce opposition à l'encontre de l'arrêt du 24 mai 2018.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. M. [F] et Mme [I] font grief à l'arrêt du 18 février 2021, rectifié par l'arrêt du 25 mars 2021, de déclarer recevable la tierce opposition formée par M. [X] et l'office notarial à l'encontre de l'arrêt du 24 mai 2018, de rétracter cet arrêt et statuant à nouveau de dire que, cautions du prêt consenti à la société Brise Marine, ils restaient tenus par leur obligation de garantie, alors « que la tierce opposition n'est ouverte que contre le dispositif des décisions de justice, faisant directement grief à son auteur, et non contre les motifs ; que, pour déclarer recevable la tierce opposition du notaire et de la SCP notariale, la cour d'appel, après avoir relevé leur assignation en responsabilité par la banque, a énoncé que, dans l'arrêt attaqué du 24 mai 2018, elle avait "dit et jugé que les époux [F] sont déchargés de leur obligation de garantie au motif que l'acte authentique de prêt du 24 juin 2008 n'a pas pu donner naissance au privilège de prêteur de dernier dans la mesure où il n'a pas été publié" ; qu'en se fondant ainsi, pour apprécier la recevabilité de la tierce opposition, sur les motifs de l'arrêt attaqué, cependant que son dispositif ne comportait, suivant ses propres constatations, aucun chef faisant directement grief au notaire et la SCP notariale, qui n'y étaient pas même visés, la cour d'appel a violé l'article 583, alinéa 1, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. M. [X] et la SCP notariale contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau, mélangé de fait et de droit, et par conséquent irrecevable.
9. Cependant, le moyen, ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait pas été constaté par les juges du fond, peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation.
10. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 583, alinéa 1, du code de procédure civile :
11. Aux termes de cet article, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.
12. L'autorité de la chose jugée étant limitée au dispositif des décisions, la tierce opposition n'est, dès lors, pas ouverte contre les motifs des décisions.
13. Pour déclarer recevable la tierce opposition de M. [X], notaire, et de l'office notarial, l'arrêt retient que l'arrêt du 24 mai 2018 a dit et jugé que M. [F] et Mme [I] sont déchargés de leur obligation de garantie au motif que l'acte authentique de prêt du 24 juin 2008 n'a pas pu donner naissance au privilège de prêteur de denier dans la mesure où il n'a pas été publié et que le 25 septembre 2015, la banque a mis en cause la responsabilité de M. [X] et de l'office notarial devant un tribunal de grande instance au motif que M. [X] a omis de préserver sa créance par la prise de garanties hypothécaires conformément aux instructions reçues et n'a jamais porté à sa connaissance l'impossibilité à laquelle il aurait pu être confronté.
14. L'arrêt en déduit que M. [X] et l'office notarial, qui n'ont pas été attraits dans la procédure ayant donné lieu à l'arrêt du 24 mai 2018, ont un intérêt légitime, actuel, direct et personnel à agir en contestation de cette disposition de l'arrêt qui leur fait grief.
15. En statuant ainsi, en se fondant, pour apprécier la recevabilité de la tierce opposition, sur des motifs de l'arrêt du 24 mai 2018 caractérisant un intérêt direct et personnel des demandeurs à celle-ci, quand le dispositif de l'arrêt du 24 mai 2018 se bornait à décharger les cautions de leur obligation de garantie et ne comportait aucun chef de dispositif faisant grief au notaire et à l'office notarial, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 février 2021, rectifié par arrêt du 25 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.
Condamne M. [X], la société Carpentier [X] Claudot et la société BNP Paribas aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [X] et la société Carpentier [X] Claudot et celle formée par la société BNP Paribas et condamne M. [X] et la société Carpentier [X] Claudot à payer à M. [F] et à Mme [I] la somme globale de 1 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts cassé et rectifié ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [N] [I], épouse [F] et M. [H] [F]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [H] [F] et Mme [N] [F] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable la tierce opposition formée par Me [R] [X] et la SCP Carpentier [X] Claudot à l'encontre de l'arrêt du 24 mai 2018, d'avoir retracté cet arrêt et statuant à nouveau d'avoir dit que, cautions du prêt consenti à la SARL Brise Marine, ils restaient tenus par leur obligation de garantie ;
1°) Alors que la tierce opposition n'est ouverte que contre le dispositif des décisions de justice, faisant directement grief à son auteur, et non contre les motifs ; que, pour déclarer recevable la tierce opposition du notaire et de la SCP notariale, la cour d'appel, après avoir relevé leur assignation en responsabilité par la banque, a énoncé que, dans l'arrêt attaqué du 24 mai 2018, elle avait « dit et jugé que les époux [F] sont déchargés de leur obligation de garantie au motif que l'acte authentique de prêt du 24 juin 2008 n'a pas pu donner naissance au privilège de prêteur de dernier dans la mesure où il n'a pas été publié » ; qu'en se fondant ainsi, pour apprécier la recevabilité de la tierce opposition, sur les motifs de l'arrêt attaqué, cependant que son dispositif ne comportait, suivant ses propres constatations, aucun chef faisant directement grief au notaire et la SCP notariale, qui n'y étaient pas même visés, la cour d'appel a violé l'article 583, alinéa 1, du code de procédure civile ;
2°) Alors que l'auteur de la tierce opposition doit justifier d'un intérêt à agir qui lui soit propre ; que la cour d'appel a elle-même constaté que l'arrêt attaqué par le notaire et la SCP notariale avait seulement dit et jugé que les époux [F], cautions du prêt consenti à la société Brise Marine par acte notarié en date du 24 juin 2008, sont déchargés de leur obligation de garantie ; qu'en décidant cependant que ces derniers avaient « un intérêt légitime, actuel, direct et personnel à agir en contestation de cette disposition dudit arrêt qui leur fait en effet grief », cependant que, au regard de la décharge des cautions prononcée par l'arrêt attaqué du 24 mai 2018, l'intérêt à agir du notaire et de la SCP notariale se confondait avec celui de la banque, privée de sa garantie, ce dont il résultait leur absence d'intérêt propre à agir, la cour d'appel a encore violé l'article 583, alinéa 1, du code de procédure civile ;
3°) Alors que nul ne plaide par procureur ; que le notaire ne pouvait demander au lieu et place de la BNP PARIBAS qui ne formulait aucune demande en ce sens, de dire et juger que les époux [F] ne sont pas déchargés de leur obligation de caution ; qu'en faisant droit à cette demande du notaire l'arrêt attaqué a violé la règle nul ne plaide par procureur.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)M. [H] [F] et Mme [N] [F] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir rétracté l'arrêt du 24 mai 2018 en ce qu'il a dit et jugé que, cautions du prêt consenti à la SARL Brise Marine par acte notarié en date du 24 juin 2008, ils sont déchargés de leur obligation de garantie, et, en conséquence, d'avoir dit qu'ils restent tenus par leur obligation de garantie ;
1°) Alors que dans leurs écritures, pour s'opposer à la remise en question du chef les ayant déchargés de leur obligation de garantie, les époux [F] ont invoqué la disproportion de leur engagement de caution, sur le fondement de l'article L. 341-4 du code de la consommation (concl., p. 16-17), la nullité de la clause d'intérêts, l'absence de déchéance du terme et l'absence de créance exigible au profit de la BNP (concl., p. 17 s.) ; que l'arrêt attaqué ne se prononce sur aucun de ces moyens en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) Alors que la tierce opposition remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit ; que le défendeur est recevable à présenter toutes prétentions tendant à faire écarter celles du tiers opposant ; qu'à supposer que la cour d'appel ait considéré n'avoir pas à répondre aux moyens des conclusions des époux [F], défendeurs à la tierce opposition, de nature, à faire écarter au fond les prétentions du tiers opposant, elle a méconnu l'effet dévolutif de la tierce opposition et a violé l'article 582 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)M. [H] [F] et Mme [N] [F] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir rétracté l'arrêt du 24 mai 2018 en ce qu'il a dit et jugé que, cautions du prêt consenti à la SARL Brise Marine par acte notarié en date du 24 juin 2008, ils sont déchargés de leur obligation de garantie, et, en conséquence, d'avoir dit qu'ils restent tenus par leur obligation de garantie ;
1°) Alors que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; que, pour décider que le notaire disposait d'un pouvoir de représentation « donné dès l'origine » par la société Quo Vadis, vendeur, pour établir le 9 octobre 2015 un acte rectificatif de l'acte de vente du 24 juin 2008, la cour d'appel s'est fondée sur une clause stipulée à l'acte de prêt du 24 juin 2008 passé entre la banque et l'acquéreur, suivant laquelle, « pour l'accomplissement des formalités de publicité foncière, les parties (...) donnent tous pouvoirs nécessaires à tout clerc habilité (...) à l'effet de faire dresser et signer tous actes complémentaires ou rectificatifs (...) », étant relevé que « l'acte rectificatif du 9 octobre 2015 renvoie bien à l'acte de prêt du 24 juin 2008 » ; qu'en statuant ainsi, cependant que la société Quo Vadis, venderesse, suivant ses propres constatations (arrêt, p. 3), n'était pas partie à l'acte de prêt du 24 juin 2008, la cour d'appel a violé l'article 1165, devenu 1199, du code civil ;
2°) Alors que dans leurs écritures, les époux [F] ont invoqué l'autorité de chose jugée attachée à un jugement du 28 mai 2018 rendu par le tribunal de commerce de Toulon (concl., p. 23), publié au service de la publicité foncière, ayant dit que le défaut de consentement de la part des sociétés SARL Brise Marine et SA Quo Vadis dans la signature de l'acte rectificatif du 9 octobre 2015 a pour conséquence la nullité dudit acte, déclaré ledit acte nul pour défaut de consentement de la part de la SARL Brise Marine et de la SA Quo Vadis et prononcé sa nullité dudit acte ; qu'en donnant effet à l'acte rectificatif du 9 octobre 2015, sans se prononcer sur l'autorité de chose jugée du jugement du 28 mai 2018, qui en avait constaté la nullité, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)M. [H] [F] et Mme [N] [F] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que sa décision de rétractation de l'arrêt du 24 mai 2018, par laquelle la cour d'appel a dit que, cautions du prêt consenti à la SARL Brise Marine par acte notarié du 24 juin 2008, ils restent tenus par leur obligation de garantie, a autorité de chose jugée à l'égard de toutes les parties appelées à l'instance en application de l'article 584 du code de procédure civile ;
Alors qu'il résulte de la combinaison des articles 584 et 591 du code de procédure civile qu'en cas de tierce opposition le jugement primitif conserve ses effets entre parties même sur les chefs annulés ; qu'il n'en est autrement qu'en cas d'indivisibilité absolue lorsqu'il est impossible d'exécuter en même temps les deux décisions ; que, pour décider que sa décision de rétractation de l'arrêt du 24 mai 2018, par laquelle elle a dit que les époux [F], cautions du prêt consenti à la société Brise Marine par acte notarié du 24 juin 2008, restaient tenus par leur obligation de garantie, a chose jugée à l'égard de toutes les parties appelées à l'instance, la cour d'appel a énoncé que conformément à l'article 591 du code de procédure civile sa décision a autorité de chose jugée à l'égard de toutes les parties appelées à l'instance en application de l'article 584 du même code ; que toutefois l'inexécution des engagements de caution envers la banque n'emporte aucune impossibilité d'exécution d'une éventuelle condamnation ou exonération du notaire au titre de sa responsabilité professionnelle à l'égard de la banque ; que l'arrêt attaqué a ainsi violé les textes susvisés.