LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 décembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 864 F-D
Pourvoi n° U 21-19.789
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
Mme [M] [D], épouse [V] , domiciliée [Adresse 6], a formé le pourvoi n° U 21-19.789 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2021 par la cour d'appel de Rennes (chambre des baux ruraux), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [C] [U], domicilié [Adresse 7], en son nom propre et pris en sa qualité de liquidateur amiable du GAEC du [Adresse 7],
2°/ à M. [W] [U], domicilié [Adresse 8], pris en sa qualité de liquidateur du GAEC du Hinger,
3°/ au GAEC du [Adresse 7], groupement agricole d'exploitation en commun, dont le siège est [Adresse 7], représenté par ses liquidateurs amiables, MM. [C] et [W] [U],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Schmitt, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [V], de Me Balat, avocat de MM. [C] et [W] [U], ès qualités, et du GAEC du [Adresse 7], après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Schmitt, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 20 mai 2021), par acte du 18 décembre 1991, M. et Mme [D], aux droits desquels se trouve Mme [V], ont consenti un bail rural portant sur diverses parcelles à M. [C] [U] et au groupement agricole d'exploitation en commun du [Adresse 7] (le GAEC).
2. Le 27 décembre 2018, Mme [V] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation partielle du bail pour défaut de garnissement, d'entretien, de culture et pour abandon complet de certaines parcelles.
3. Après que le tribunal a fait droit à cette demande, par assemblée générale extraordinaire du 23 juin 2020, la dissolution anticipée du GAEC a été décidée et MM. [C] et [W] [U] ont été désignés en qualité de liquidateur amiable.
4. A hauteur d'appel, Mme [V] s'est prévalue de l'absence de notification de ce changement de statut juridique pour solliciter la résiliation du bail.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. Mme [V] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en résiliation du bail, alors « que le défaut d'accomplissement de l'obligation d'information du propriétaire prévue par l'article L. 411-35 alinéa 3 et 4 du code rural et de la pêche maritime en cas de cessation d'activité de l'un des copreneurs, constitue une contravention aux dispositions de ce texte permettant au bailleur de demander la résiliation du bail sur le fondement de l'article L. 411-31, II, 1°, du même code, sans que le bailleur ait à justifier d'un préjudice ou de la compromission du fonds ; qu'ayant constaté que le GAEC du [Adresse 7], copreneur du bail du 18 décembre 1991 avec M. [C] [U], avait été dissous à compter du 30 juin 2020 sans que le bailleur en soit informé ni par l'un, ni par l'autre, la cour d'appel, qui a refusé de prononcer la résiliation du bail au motif erroné que cette contravention aux obligations du preneur n'était pas suffisamment grave, n'étant pas de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses constatations au regard des articles L. 411-31 II et L. 411-35 du code rural et de la pêche. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 411-31, II, 1°, et L. 411-35, alinéa 3, du code rural et de la pêche maritime :
7. Selon le premier de ces textes, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie de toute contravention aux dispositions de l'article L. 411-35 du code susvisé.
8. Selon le second, lorsqu'un des copreneurs du bail cesse de participer à l'exploitation du bien loué, le copreneur qui continue à exploiter dispose de trois mois à compter de cette cessation pour demander au bailleur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception que le bail se poursuive à son seul nom.
9. Pour rejeter la demande en résiliation du bail, l'arrêt retient que le fait pour M. [C] [G] et le GAEC de ne pas avoir informé leur bailleresse de la dissolution anticipée du second à compter du 30 juin 2020 et en conséquence de son départ en qualité de copreneur ne constitue pas une contravention suffisamment grave aux obligations du preneur pour justifier la résiliation du bail, alors qu'il n'est pas de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés. PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de résiliation du bail conclu le 18 décembre 1991, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne M. [C] [U], en son nom propre et pris en sa qualité de liquidateur amiable du groupement agricole d'exploitation en commun du [Adresse 7] et M. [W] [U], pris en sa qualité de liquidateur amiable du groupement agricole d'exploitation en commun du [Adresse 7], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [C] [U], en son nom propre et pris en sa qualité de liquidateur amiable du groupement agricole d'exploitation en commun du [Adresse 7] et M. [W] [U], pris en sa qualité de liquidateur amiable du groupement agricole d'exploitation en commun du [Adresse 7], et les condamne à payer à Mme [V] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour Mme [V]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Mme [V] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande de résiliation judiciaire du bail en date du 18 décembre 1991 et de ne l'avoir prononcée qu'en ce qu'il porte sur les parcelles sises à [Adresse 9] cadastrées AB [Cadastre 1] anciennement D [Cadastre 5] et AB [Cadastre 2] anciennement D [Cadastre 3] et D [Cadastre 4], avec toutes conséquences de droit ;
1°) ALORS QUE lorsqu'une société preneuse à bail rural est dissoute, l'attribution du droit au bail à ses associés, n'ayant pas la qualité de preneurs, constitue une cession prohibée du bail justifiant à elle seule le prononcé de sa résiliation ; qu'en relevant, pour rejeter la demande de Mme [V] de résiliation judiciaire du bail en date du 18 décembre 1991, consenti à M. [C] [U] et au Gaec du Hinguet, que le fait pour ces copreneurs du bail, de ne pas avoir informé leur bailleresse de la dissolution anticipée du GAEC du [Adresse 7] à compter du 30 juin 2020 et en conséquence du départ du GAEC en qualité de co-preneur ne constitue pas une contravention suffisamment grave aux obligations du preneur pour justifier la résiliation du bail pour ce motif alors qu'il n'est pas de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds sans rechercher, comme elle y était invitée, si le procès-verbal des délibérations de l'assemblée générale extraordinaire du 23 juin 2020 décidant de la dissolution anticipée du GAEC du [Adresse 7] indiquant, par sa troisième résolution, que « Messieurs [C] et [W] [U] reprennent personnellement à compter du 1er juillet 2020 l'exploitation de l'ensemble des parcelles mises en valeur précédemment par la société », n'attribuait pas le droit au bail à M. [W] [U], qui n'était pas copreneur du bail du 18 décembre 1991, ce qui était constitutif d'une cession prohibée entraînant la résiliation du bail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 411-31 et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;
2°) ALORS QUE le défaut d'accomplissement de l'obligation d'information du propriétaire prévue par l'article L 411-35 alinéa 3 et 4 du code rural et de la pêche maritime en cas de cessation d'activité de l'un des copreneurs, constitue une contravention aux dispositions de ce texte permettant au bailleur de demander la résiliation du bail sur le fondement de l'article L. 411-31, II, 1°, du même code, sans que le bailleur ait à justifier d'un préjudice ou de la compromission du fonds ; qu'ayant constaté que le GAEC du [Adresse 7], copreneur du bail du 18 décembre 1991 avec M. [C] [U], avait été dissous à compter du 30 juin 2020 sans que le bailleur en soit informé ni par l'un, ni par l'autre, la cour d'appel, qui a refusé de prononcer la résiliation du bail au motif erroné que cette contravention aux obligations du preneur n'était pas suffisamment grave, n'étant pas de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses constatations au regard des articles L 411-31 II et L 411-35 du code rural et de la pêche maritime.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Mme [V] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M. [C] [U] et le GAEC du [Adresse 7], représenté par ses liquidateurs MM. [C] [U] et [W] [U], à lui payer seulement la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
ALORS QUE les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner et analyser tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, Mme [V] établissait l'état de complet délabrement de la maison et du jardin inclus dans le bail du 18 décembre 1991 que les preneurs n'avaient jamais ni occupés ni entretenus et sollicitait, non leur remise à neuf, mais la remise de la maison et du parc d'agrément en l'état dans lequel ces biens se trouvaient en avril 1998, date à laquelle son bailleur initial et ancien occupant les avait quittés, ainsi que le remboursement de divers frais exposés par ses parents, bailleurs, et ellemême depuis qu'elle était attributaire des biens ; que pour établir son préjudice financier, Mme [V] versait aux débats des factures de débroussaillage de 2002 à 2015, le rapport d'expertise amiable de M. [B], expert, du 14 février 2018 chiffrant la remise en l'état dans lequel se trouvaient les biens en avril 1998 (p.14 et 15), les factures de l'EURL Tanneau de 2019 et de 2020, les devis des entreprises le Berre Joncour, Création Durand Cuisines, OB Constructions et Bellocq Paysages de 2020 ; qu'en affirmant, pour limiter l'indemnisation du préjudice de Mme [V] à la somme de 5000 euros, que celle-ci n'était pas fondée à réclamer la réfection intégrale de la maison et que la position prise par les intimés n'avait aggravé que dans une mesure très limitée l'état de la maison, sans s'expliquer, fût-ce sommairement, sur le rapport de l'expert amiable et sur les factures et devis produits par la bailleresse pour établir son préjudice financier à la somme de 102 710,16 euros, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.