LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 décembre 2022
Cassation
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1298 F-D
Pourvoi n° F 21-11.865
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
L'établissement public Transports en commun de l'agglomération Troyenne, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 21-11.865 contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2020 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [M] [N], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Lay, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de l'établissement public Transports en commun de l'agglomération Troyenne, de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [N], après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Le Lay, conseiller rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims,16 décembre 2020), M. [N], engagé le 2 novembre 2004 par l'établissement public à caractère industriel et commercial Transports en commun de l'agglomération troyenne (l'employeur) a été licencié pour faute grave le 18 septembre 2018 en raison de faits fautifs commis le 15 juin 2018.
2. Après avoir été convoqué le 18 juin 2018 à un entretien préalable qui s'est tenu le 29 juin 2018, il a été convoqué le 12 juillet 2018 à l'entretien d'instruction prévu par la convention collective des réseaux de transports publics urbains de voyageurs du 11 avril 1986, fixé au 25 juillet 2018 et a enfin été avisé le 2 août 2018 que le conseil de discipline se réunirait et rendrait son avis sur la sanction à appliquer, le 3 septembre 2018.
3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et de le condamner au paiement de sommes au titre de l'indemnité de préavis, des congés payés sur préavis et de l'indemnité de licenciement, alors :
« 1°/ que si la faute grave implique que la mise en oeuvre de la procédure de licenciement intervienne dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués, l'engagement d'une procédure de licenciement pour faute grave n'est pas subordonné au prononcé d'une mise à pied conservatoire et le maintien du salarié dans l'entreprise pendant le temps nécessaire à l'accomplissement de la procédure de licenciement, n'est pas exclusif du droit pour l'employeur d'invoquer l'existence d'une faute grave justifiant la rupture du contrat de travail ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que les faits d'insubordination et d'altercation verbale et physique avec un usager reprochés au salarié ont été commis le 15 juin 2018 et que l'employeur l'avait convoqué à un entretien préalable en vue d'une éventuelle sanction disciplinaire le 18 juin 2018, de sorte que la procédure disciplinaire avait été engagée dans un délai restreint à compter de la connaissance des faits par l'employeur ; qu'en se fondant sur la durée de la procédure conventionnelle de licenciement et sur la poursuite par le salarié de son activité professionnelle au cours de cette période pour écarter l'existence d'une faute grave, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants en violation des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
2°/ qu'il ne peut être reproché à l'employeur d'avoir tardé à notifier un licenciement lorsqu'il est tenu, en vertu de règles statutaires ou conventionnelles, à compter de l'entretien préalable, de mettre en oeuvre un entretien d'instruction, de faire déférer le cas à un conseil de discipline, de convoquer un tel organe disciplinaire et d'attendre l'avis émis par cet organe avant de prononcer le licenciement, de sorte que la durée de la procédure a exclusivement pour objet de permettre au salarié de bénéficier des garanties de fond prévues par le statut ou la convention collective ; qu'au cas présent, l'employeur exposait qu'il avait dû, à la suite de l'entretien préalable du 29 juin 2018 et préalablement au prononcé du licenciement disciplinaire respecter les garanties de fond prévues par la convention collective nationale des réseaux de transports urbains de voyageurs et qu'il avait donc, par courrier du 12 juillet, convoqué le salarié à un entretien d'instruction qui s'est déroulé le 25 juillet puis qu'à la suite de cet entretien, il l'avait, le 2 août 2018, convoqué devant un conseil de discipline, qui s'est tenu le 3 septembre 2018, avant de notifier au salarié son licenciement pour faute grave le 18 septembre 2018 ; que l'exposant démontrait, par ailleurs, que les délais de mise en oeuvre de l'entretien d'instruction et de convocation du conseil de discipline s'expliquaient par les absences du salarié au mois de juillet 2018 et par l'impossibilité de réunir au complet la commission de discipline pendant la période estivale ; que, pour écarter l'existence d'une faute grave, la cour d'appel a relevé que la durée séparant le fait fautif et le prononcé du licenciement n'était pas justifiée, alors que la convention collective prévoyait une procédure d'urgence, applicable en cas de suspension du salarié, tandis que le salarié avait poursuivi son activité professionnelle sur la période ; qu'en statuant de la sorte, cependant que la durée de la procédure avait exclusivement pour objet de permettre au salarié de bénéficier des garanties prévues par la convention collective et que l'employeur n'était nullement tenu de le suspendre pendant la durée de la procédure, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à écarter l'existence d'une faute grave et a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ensemble les articles 49 et suivants de la convention collective nationale des réseaux de transports urbains de voyageurs. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1332-2 alinéa 4 du code du travail, et les articles 49 et suivants de la convention collective nationale des réseaux de transports urbains de voyageurs, relatifs au rôle du conseil de discipline :
5. Si selon l'article L. 1332-2 du code du travail, la sanction disciplinaire ne peut intervenir plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien préalable, ce dernier délai peut être dépassé lorsque l'employeur est tenu, en vertu de règles conventionnelles, de recueillir l'avis d'un organisme de discipline dès lors qu'avant l'expiration de ce délai, l'employeur a saisi cet organisme et en a informé le salarié. Ce n'est qu'à compter de l'avis donné par cet organisme que le délai recommence à courir.
6. Pour requalifier le licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et sérieuse, l'arrêt, après avoir rappelé les dispositions du règlement intérieur lui faisant obligation, au regard de la sanction envisagée, de recueillir l'avis de la commission de discipline, retient que s'il ne peut être fait grief à l'employeur d'avoir voulu réunir au complet la commission de discipline pour recueillir son avis sur la situation du salarié, la proximité de la faute commise avec la période estivale est insuffisante à justifier la durée séparant le fait fautif de l'entretien de l'instruction (15 juin - 25 juillet), la durée, supérieure à deux mois, séparant le fait fautif de la réunion du conseil de discipline (3 septembre 2018), puis cette date de celle de la sanction prononcée, alors qu'une procédure d'urgence existait (article 54 de la convention collective auquel renvoyait l'annexe I du règlement intérieur), tandis que le salarié a poursuivi son activité professionnelle sur la période.
7. En statuant ainsi, par des motifs impropres à exclure la faute grave, alors, d'une part, que l'employeur qui entend engager une procédure de licenciement pour faute grave n'est pas tenu de prononcer une mise à pied conservatoire privant le salarié de service et, d'autre part, qu'il résultait de ses constatations, d'abord, que la procédure conventionnelle propre à la mise en place du conseil de discipline, avait été engagée le 12 juillet 2018, soit avant l'expiration du délai d'un mois après l'entretien préalable, par la convocation à l'entretien d'instruction fixé au 25 juillet 2018, suivie de sa convocation devant le conseil de discipline réuni le 3 septembre 2018, et ensuite que le licenciement avait été notifié dans le délai d'un mois de l'avis émis, en sorte que la durée de la procédure de licenciement qui avait été régulièrement menée, avait exclusivement pour objet de permettre au salarié de bénéficier des garanties prévues par la convention collective, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne M. [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé par le président en l'audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux, et signé par M. Seguy, conseiller en ayant délibéré en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 1021 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour l'établissement public Transports en commun de l'agglomération Troyenne
L'établissement public Transports en commun de l'agglomération troyenne (TCAT) reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit M. [M] [N] partiellement fondé en ses réclamations, d'avoir requalifié le licenciement pour faute grave de M. [M] [N] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et de l'avoir condamné au paiement de sommes de 4 761,56 € au titre de l'indemnité de préavis, 476,16 € au titre des congés payés sur préavis et 9 126,27 € au titre de l'indemnité de licenciement ;
1. ALORS QUE si la faute grave implique que la mise en oeuvre de la procédure de licenciement intervienne dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués, l'engagement d'une procédure de licenciement pour faute grave n'est pas subordonné au prononcé d'une mise à pied conservatoire et le maintien du salarié dans l'entreprise pendant le temps nécessaire à l'accomplissement de la procédure de licenciement, n'est pas exclusif du droit pour l'employeur d'invoquer l'existence d'une faute grave justifiant la rupture du contrat de travail ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que les faits d'insubordination et d'altercation verbale et physique avec un usager reprochés au salarié ont été commis le 15 juin 2018 et que l'employeur l'avait convoqué à un entretien préalable en vue d'une éventuelle sanction disciplinaire le 18 juin 2018, de sorte que la procédure disciplinaire avait été engagée dans un délai restreint à compter de la connaissance des faits par l'employeur ; qu'en se fondant sur la durée de la procédure conventionnelle de licenciement et sur la poursuite par le salarié de son activité professionnelle au cours de cette période pour écarter l'existence d'une faute grave, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants en violation des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
2. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QU'il ne peut être reproché à l'employeur d'avoir tardé à notifier un licenciement lorsqu'il est tenu, en vertu de règles statutaires ou conventionnelles, à compter de l'entretien préalable, de mettre en oeuvre un entretien d'instruction, de faire déférer le cas à un conseil de discipline, de convoquer un tel organe disciplinaire et d'attendre l'avis émis par cet organe avant de prononcer le licenciement, de sorte que la durée de la procédure a exclusivement pour objet de permettre au salarié de bénéficier des garanties de fond prévues par le statut ou la convention collective ; qu'au cas présent, l'établissement public TCAT exposait qu'il avait dû, à la suite de l'entretien préalable du 29 juin 2018 et préalablement au prononcé du licenciement disciplinaire respecter les garanties de fond prévues par la convention collective nationale des réseaux de transports urbains de voyageurs et qu'il avait donc, par courrier du 12 juillet, convoqué M. [N] à un entretien d'instruction qui s'est déroulé le 25 juillet puis qu'à la suite de cet entretien, il l'avait, le 2 août 2018, convoqué devant un conseil de discipline, qui s'est tenu le 3 septembre 2018, avant de notifier au salarié son licenciement pour faute grave le 18 septembre 2018 ; que l'exposant démontrait, par ailleurs, que les délais de mise en oeuvre de l'entretien d'instruction et de convocation du conseil de discipline s'expliquaient par les absences de M. [N] au mois de juillet 2018 et par l'impossibilité de réunir au complet la commission de discipline pendant la période estivale ; que, pour écarter l'existence d'une faute grave, la cour d'appel a relevé que la durée séparant le fait fautif et le prononcé du licenciement n'était pas justifiée, alors que la convention collective prévoyait une procédure d'urgence, applicable en cas de suspension du salarié, tandis que le salarié avait poursuivi son activité professionnelle sur la période ; qu'en statuant de la sorte, cependant que la durée de la procédure avait exclusivement pour objet de permettre au salarié de bénéficier des garanties prévues par la convention collective et que l'employeur n'était nullement tenu de le suspendre pendant la durée de la procédure, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à écarter l'existence d'une faute grave et a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ensemble les articles 49 et suivants de la convention collective nationale des réseaux de transports urbains de voyageurs.