LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 décembre 2022
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 888 F-D
Pourvoi n° X 18-15.985
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
M. [S] [H], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 18-15.985 contre l'arrêt rendu le 1er mars 2018 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile A), dans le litige l'opposant à la société Lyonnaise de banque, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [H], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Lyonnaise de banque, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 1er mars 2018), par acte du 6 juin 2007, la société Lyonnaise de banque (la banque) a consenti à la société [Localité 3] EC un prêt professionnel garanti par le cautionnement de son gérant, M. [H] (la caution).
2. La société [Localité 3] EC ayant été placée en liquidation judiciaire, la banque a déclaré sa créance au passif, mis la caution en demeure d'en régler le montant et accepté son offre de paiement échelonné.
3. Faute de règlement des échéances convenues, elle a assigné la caution en paiement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. La caution fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à la banque avec intérêts au taux contractuel et capitalisation de ceux-ci, alors « qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ; qu'en l'espèce, la caution, demandant la confirmation du jugement, faisait valoir que lors de la conclusion du contrat de cautionnement, son engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus, et que son patrimoine, au moment où il avait été appelé, ne lui permettait pas de faire face à son obligation ; qu'en jugeant, pour le condamner à paiement, qu'il ne pouvait tirer argument de la disproportion manifeste de son engagement quand dans son mail, il faisait état de sa situation financière, la cour d'appel, qui a statué par une motivation inopérante à faire échec à ce moyen, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
5. Aux termes de ce texte, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
6. Pour condamner la caution à payer à la banque la somme demandée par celle-ci, l'arrêt retient qu'après avoir exposé sa situation financière, la caution a reconnu sa dette en offrant, sans condition, de la payer par mensualités de deux cents euros.
7. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à écarter le moyen, invoqué par la caution, tiré de la disproportion de son engagement, lors de sa conclusion, à ses biens et revenus, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen, pris en sa dernière branche
Enoncé du moyen
8. La caution fait le même grief à l'arrêt, alors « que la banque est tenue de délivrer à la caution une information annuelle sur l'étendue de son engagement sous peine de déchéance des intérêts conventionnels ; qu'en se bornant à relever, pour condamner la caution à paiement des intérêts conventionnels, que la mise en demeure du 14 décembre 2012 comportait le montant des intérêts et leur taux, la cour d'appel, qui n'a pas contesté [constaté] que la société Lyonnaise des banques avait délivré à la caution une information annuelle sur l'étendue de son engagement, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier dans sa rédaction applicable. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, alors en vigueur :
9. Selon ce texte, lorsqu'un établissement de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, ne fait pas connaître à la caution au plus tard avant le 31 mars de chaque année le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement, ce dernier est déchu, dans ses rapports avec la caution, des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information et que les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.
10. Pour condamner la caution à payer à la banque la somme demandée par celle-ci, l'arrêt retient encore qu'après avoir exposé sa situation financière, la caution a reconnu sa dette en offrant, sans condition, de la payer par mensualités de deux cents euros et ajoute que la mise en demeure adressée avant cet engagement de payer mentionnait le montant de la somme due, des intérêts et de leur taux.
11. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la banque démontrait avoir satisfait à son obligation d'information annuelle de la caution, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne la société Lyonnaise de banque aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lyonnaise de banque et la condamne à payer à M. [H] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour M. [H]
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'Avoir condamné M. [H] à payer à la société Lyonnaise de banque la somme de 42 486, 92 € avec intérêts au taux contractuel de 4, 80% à compter du 14 décembre 2012 dans la limite de l'engagement souscrit de 78 000 € avec capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
Aux motifs que, à la mise en demeure adressée par la banque le 14 décembre 2012 d'honorer son engagement de caution, M. [H] a répondu par un mail du 12 mars 2013 dans lequel il s'excuse pour le retard apporté à la réponse et, faisant référence à une conversation téléphonique, donne des éléments sur sa situation financière ; qu'il offre de rembourser la banque au titre de son engagement de caution à raison de 200 euros par mois et précise qu'il augmentera ces remboursements dès que possible au vu de l'amélioration de la situation financière du couple ; qu'au regard de ce mail qui fait explicitement référence à sa situation financière et qui propose de rembourser les sommes dues au titre de l'engagement de caution souscrit ainsi qu'au commencement d'exécution du dit engagement, la banque conclut à juste titre que M. [H] a reconnu son obligation d'honorer son engagement de caution qu'il a confirmé en toute connaissance de cause ; que M. [H] ne peut soutenir qu'il ne souhaitait dans le mail précité que demander des délais de paiement sans reconnaissance de son engagement de caution, son offre de payer étant sans condition ; qu'il ne peut davantage tirer argument de la disproportion manifeste de son engagement alors que dans le mail précité, il fait état de sa situation financière ; qu'en conséquence, il sera fait droit à la demande en paiement de la banque à hauteur de 42 846, 92 € avec intérêt au taux contractuel de 4, 80% à compter du 14 décembre 2012 dans la limite de l'engagement souscrit de 78 000 €, la cour observant que la mise en demeure adressée à M. [H] antérieure à son engagement de payer reprenait le montant de la somme due et faisait mention du montant des intérêts et de leur taux, que la décision déférée sera infirmée ;
1°) Alors que, la renonciation à un droit ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; que la reconnaissance d'une obligation d'honorer un engagement de caution ne vaut pas renonciation à en contester la validité ; qu'en relevant, pour condamner à paiement M. [H] en qualité de caution de la société Lyonnaise de banque, que par son mail du 12 mars 2013, il avait reconnu son obligation d'honorer son engagement de caution qu'il avait confirmé en toute connaissance de cause, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une renonciation de la caution à contester la validité de son engagement, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable ;
2°) Alors que, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ; qu'en l'espèce, M. [H], demandant la confirmation du jugement, faisait valoir que lors de la conclusion du contrat de cautionnement, son engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus, et que son patrimoine, au moment où il avait été appelé, ne lui permettait pas de faire face à son obligation ; qu'en jugeant, pour le condamner à paiement, qu'il ne pouvait tirer argument de la disproportion manifeste de son engagement quand dans son mail, il faisait état de sa situation financière, la cour d'appel, qui a statué par une motivation inopérante à faire échec à ce moyen, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L.341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ;
3°) Alors que, en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a refusé de rechercher, comme elle y était invitée par M. [H] (conclusions, p.7), si, lors de la conclusion du contrat de cautionnement, son engagement n'était pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus, et, au moment où il avait été appelé, si son patrimoine ne lui permettait pas de faire face à son obligation, la cour d'appel a derechef privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L.341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ;
4°) Alors subsidiairement que, la banque est tenue de délivrer à la caution une information annuelle sur l'étendue de son engagement sous peine de déchéance des intérêts conventionnels ; qu'en se bornant à relever, pour condamner M. [H] à paiement des intérêts conventionnels, que la mise en demeure du 14 décembre 2012 comportait le montant des intérêts et leur taux, la cour d'appel, qui n'a pas contesté que la société Lyonnaise des banques avait délivré à M. [H] une information annuelle sur l'étendue de son engagement, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier dans sa rédaction applicable.