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06/12/2022 | FRANCE | N°21-87526

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 06 décembre 2022, 21-87526


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° W 21-87.526 F-D

N° 01518

MAS2
6 DÉCEMBRE 2022

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 DÉCEMBRE 2022

Mmes [O] [H], [G] [I] épouse [U], [V] [U], MM. [W] [U], [N] [U], [Z] [B], [X] [B] et l'association Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents c

ollectifs, parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-P...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° W 21-87.526 F-D

N° 01518

MAS2
6 DÉCEMBRE 2022

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 DÉCEMBRE 2022

Mmes [O] [H], [G] [I] épouse [U], [V] [U], MM. [W] [U], [N] [U], [Z] [B], [X] [B] et l'association Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs, parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 19 octobre 2021, qui, dans l'information suivie contre personne non dénommée du chef d'homicide involontaire, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par les juges d'instruction.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mmes [O] [H], [G] [I] et [V] [U] et de MM. [W] et [N] [U], les observations de la SCP Spinosi, avocat de MM. [F] [R] et [C] [OB] et de la société [1], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Lors d'un vol d'essai effectué dans les gorges du Verdon, un hélicoptère militaire de type « Cougar » a percuté un câble électrique et s'est écrasé, entraînant la mort du pilote, [F] [T], et des cinq passagers, tous salariés de la société [4], depuis devenue [1].

3. Une information judiciaire a été ouverte contre personne non dénommée du chef d'homicide involontaire.

4. Au terme de l'information, les juges d'instruction ont rendu une ordonnance de non-lieu dont onze parties civiles ont relevé appel.

Déchéance des pourvois formés par MM. [X] et [Z] [B] et l'association Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs

5. MM. [X] et [Z] [B] et l'association Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs n'ont pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par leur avocat, un mémoire exposant leurs moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de les déclarer déchus de leurs pourvois par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens

Enoncé des moyens

6. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance qui a dit qu'il ne résulte pas de l'information des charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis l'infraction d'homicide involontaire dans le cadre du travail faits commis le 25 juillet 2012 à La Palud sur Verdon et ayant causé le décès dans l'hélicoptère Cougar des victimes employées par la société [4] devenue [1], [E] [B], [M] [U], [F] [T], [P] [T], [P] [H], [J] [L], [S] [K], alors :

« 1°/ que constitue un obstacle à la circulation aérienne devant comme tel faire l'objet d'un balisage « tout ou partie d'un objet fixe (temporaire ou permanent) : i) qui est situé sur une aire destinée à la circulation des aéronefs à la surface ; ou ii) qui fait saillie au-dessus d'une surface définie destinée à protéger les aéronefs en vol ; ou iii) qui se trouve à l'extérieur d'une telle surface définie et qui est jugé être un danger pour la navigation aérienne » ; que la chambre de l'instruction, qui après avoir constaté que le câble électrique, qu'avait heurté l'hélicoptère à 112 mètres de hauteur, en dehors d'une aire destinée à la circulation, et qui avait entrainé sa chute, était pratiquement indétectable, que le lieu de l'accident était une zone particulièrement accidentée qui imposait à tout pilote qui évolue dans cet environnement une vigilance toute particulière et une vitesse de vol adaptée à la configuration des lieux, s'est fondée sur la circonstance inopérante que [2]/[3], propriétaire du câble en cause, qui n'a pas connaissance des couloirs aériens et ne peut anticiper la présence d'aéronefs évoluant à cette altitude en violation de la règlementation aérienne, pour en déduire que l'absence de balisage ne peut lui être imputable, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait que le câble se trouvait à l'extérieur d'une surface destinée à protéger les aéronefs en vol et était dangereux pour la navigation aérienne, et ainsi violé les articles 121-3, 221-6 du code pénal, l'arrêté du 7 décembre 2010 relatif à la réalisation du balisage des obstacles à la navigation aérienne, ensemble les articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en tout état de cause, l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en relevant d'abord que l'accident se situe au coeur des gorges du Verdon dans un espace sensible en raison du caractère très accidenté de cette zone, que l'étroitesse des gorges impose à tout pilote dans cet environnement une vigilance et, le cas échéant, une vitesse de vol adaptée à la configuration des lieux et à l'aérologie particulière qui peut être rencontrée et que les gorges du Verdon étaient considérées, sans être une zone de restriction, comme un milieu hostile pour l'aéronautique en raison de la forte proximité latérale des reliefs (pages 49 et 50), la chambre de l'instruction qui a ensuite jugé que le câble heurté n'est pas localisé dans un espace jugé dangereux pour la circulation aérienne s'est contredite en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »

7. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance qui a dit qu'il ne résulte pas de l'information des charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis l'infraction d'homicide involontaire dans le cadre du travail faits commis le 25 juillet 2012 à La Palud sur Verdon et ayant causé le décès dans l'hélicoptère Cougar des victimes employées par la société [4] devenu [1], [E] [B], [M] [U], [F] [T], [P] [T], [P] [H], [J] [L], [S] [K], alors :

« 1°/ que le délit d'homicide involontaire est caractérisé s'il est établi que la faute d'imprudence, de négligence a causé la mort de la victime en sorte qu'il appartenait en conséquence à la société [4] d'établir des documents recensant les zones utilisables en fonction de leur adéquation avec les besoins des essais et comportant les obstacles les plus dangereux lors d'essais en vol et de fournir aux salariés, constituant l'équipage du vol d'essai, une carte précise incluant les obstacles et les zones dangereuses ; qu'en jugeant pourtant l'inverse aux motifs inopérants tirés de ce que le pilote était un ancien pilote de l'aviation légère de l'armée de terre formé comme tel à la détection et au franchissement des lignes électriques (pages 53 et 54) et qu'aucune règle en matière de sécurité aérienne n'imposait à l'employeur une telle information des pilotes (page 62), la chambre de l'instruction a violé les articles 121-3 et 221-6 du code pénal, ensemble les articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale ;

2°/ que le délit d'homicide involontaire est caractérisé s'il est établi que la faute d'imprudence, de négligence a causé la mort de la victime ; que dès lors, la chambre de l'instruction qui a constaté que les gorges du Verdon constituent un espace sensible en raison du caractère très accidenté de cette zone, que l'étroitesse des gorges impose à tout pilote dans cet environnement une vigilance et, le cas échéant, une vitesse de vol adaptée à la configuration des lieux et à l'aérologie particulière qui peut être rencontrée, qu'elles étaient, au jour de l'accident, considérées, sans être une zone de restriction, comme un milieu hostile pour l'aéronautique en raison de la forte proximité latérale des reliefs (pages 49 et 50) qu'une note de l'Etat major de l'armée de l'air en date du 2 mai 2012 précisait d'éviter le survol des zones montagneuses, en écartant toute faute de la société [4], n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résulte que cette dernière aurait dû interdire le survol de cette zone pour des essais ou à tout le moins fournir une carte précise de la zone à ses équipages, en violation des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, ensemble les articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en jugeant que la présence du câble, seul obstacle spécifique dans ce défilé naturel, installé depuis plus de 40 ans, ne pouvait être ignoré d'un pilote particulièrement expérimenté et formé à ce type de danger, même s'il peut avoir été oublié (page 50) tout en retenant, ensuite que la détection du câble a été très tardive, que le pilote en fonction a été surpris engageant alors une manoeuvre réflexe inadaptée (page 55), la chambre de l'instruction s'est prononcée par des motifs entachés de contradiction privant ainsi sa décision de motivation en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »

8. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance qui a dit qu'il ne résulte pas de l'information des charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis l'infraction d'homicide involontaire dans le cadre du travail faits commis le 25 juillet 2012 à La Palud sur Verdon et ayant causé le décès dans l'hélicoptère Cougar des victimes employées par la société [4] devenu [1], [E] [B], [M] [U], [F] [T], [P] [T], [P] [H], [J] [L], [S] [K], alors « que le délit d'homicide involontaire est caractérisé s'il est établi que la faute d'imprudence, de négligence a causé la mort de la victime en sorte qu'il appartenait en conséquence à la société [4] d'entrainer les pilotes salariés au vol à très basse altitude et à la procédure d'évitement d'obstacles, notamment de câbles électriques ; qu'en jugeant pourtant l'inverse aux motifs inopérants tirés de ce que le pilote était un ancien pilote de l'aviation légère de l'armée de terre formé comme tel à la détection et au franchissement des lignes électriques (pages 53 et 54) et qu'aucune règle en matière de sécurité aérienne n'imposait à l'employeur une telle information des pilotes (page 62), la chambre de l'instruction a violé les articles 121-3 et 221-6 du code pénal, ensemble les articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale. »

9. Le quatrième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance qui a dit qu'il ne résulte pas de l'information des charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis l'infraction d'homicide involontaire dans le cadre du travail faits commis le 25 juillet 2012 à La Palud sur Verdon et ayant causé le décès dans l'hélicoptère Cougar des victimes employées par la société [4] devenu [1], [E] [B], [M] [U], [F] [T], [P] [T], [P] [H], [J] [L], [S] [K], alors :

« 1°/ que le délit d'homicide involontaire est caractérisé s'il est établi que la faute d'imprudence, de négligence a causé la mort de la victime en sorte qu'il appartenait en conséquence à la société [4] de définir les missions- notamment d'essai- en précisant en amont les règles d'action auquel les équipages étaient tenus de se conformer, de définir un plan sur l'exécution des missions en termes de sécurité aérienne, peu important la latitude laissée au pilote ; qu'en se fondant en l'espèce sur la circonstance que l'équipage de pilotage et notamment le commandement de bord avaient décidé, en fonction du cahier des travaux et des points à vérifier, de la zone d'évolution et des manoeuvres à réaliser (page 57) pour en déduire que la procédure en cause avait respecté les procédures en oeuvre au sein d'Eurocopter au moment des faits, la chambre de l'instruction, qui a pourtant constaté que le bureau d'enquête accident défense air avait relevé que les aspects en lien avec la sécurité aérienne n'étaient pas détaillés et que la mission n'était pas définie en termes de règles d'action auxquelles les équipages étaient tenus de se conformer mais exclusivement en termes d'objectifs à atteindre, a violé les articles 121-3 et 221-6 du code pénal, ensemble les articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'existence même d'un contrôle des vols tant au départ qu'au fur et à mesure de celui est de nature à encadrer le pilote lequel, eu égard à l'extrême latitude dont il jouit, sait dès lors qu'il doit rendre des comptes ; que dès lors, l'employeur doit, eu égard aux dangers induits, pour ses salariés, par les vols d'essai, notamment en zone montagne, quelles que soient les compétences et la latitude du pilote, imposer un contrôle en amont et tout le long du vol, afin de s'assurer du respect, par ce dernier, des règles de sécurité aérienne ; qu'en se fondant sur les circonstances que le vol en cause avait été autorisé par la société [4], que son autorisation était formalisée par la rédaction du plan de vol dans le logiciel Focus, seul document exigé dans la préparation du vol et que si cette dernière n'a pas vérifié au fur et à mesure la destination réelle de l'hélicoptère lors du vol, une telle vérification n'est imposée par aucune réglementation et n'aurait pu en aucun cas faire dévier le pilote de la zone dans laquelle il évoluait, compte tenu de la latitude qui lui est laissée, pour choisir le secteur de vol, la chambre de l'instruction qui s'est prononcée par des motifs inopérants a, une fois encore, violé les articles 121-3 et 221-6 du code pénal, ensemble les articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale ;

3°/ que l'existence même d'un contrôle des vols tant au départ qu'au fur et à mesure de celui est de nature à encadrer le pilote lequel, eu égard à l'extrême latitude dont il jouit, sait dès lors qu'il doit rendre des comptes, en sorte qu'il appartenait à la société [4] de s'assurer du contrôle du plan de vol et de la communication radio avec les pilotes, par une personne ayant les compétences requises pour assurer ces missions ; qu'en jugeant que si Mme [D], âgée de 18 ans, avait été embauchée en qualité de saisonnière en juillet 2012 aux fins de communication radio avec les pilotes, de remplissage de la fiche « focus » et que sa compétence technique n'est pas rapportée, elle ne peut en déduire un lien avec l'accident en l'absence de tout rôle décisionnel dans les processus conduisant au vol tant au niveau de sa préparation que de son déroulement, la chambre de l'instruction a violé les articles 121-3 et 221-6 du code pénal, ensemble les articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale ;

4°/ que le dépôt préalable du plan de vol de l'équipage s'impose avant le décollage de l'appareil, afin de permettre à l'employeur de le contrôler ; qu'en se fondant sur la circonstance que le vol en cause, réalisé selon les règles de la circulation aérienne générale en vol à vue, ne nécessitait pas de plan de vol préalable et que le compte rendu fait par l'équipage au contrôle de l'aéroport de [Localité 5] sur la fréquence sol par lequel il lui avait demandé l'autorisation d'un décollage pour un vol d'une heure dans le Nord tenait lieu de plan de vol pour en déduire que l'appareil avait décollé conformément à la réglementation aérienne la chambre de l'instruction qui s'est fondée sur une circonstance inopérante a violé les articles 121-3 et 221-6 du code pénal, ensemble les articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale ;

5°/ que l'employeur doit fournir à ses salariés, membres de l'équipage et notamment au pilote un manuel d'exploitation de vol dénué de toute ambiguïté et d'en s'assurer la précision des termes, quelle que soit la compétence de son personnel, par principe professionnel de la navigation ; que la chambre de l'instruction qui, après avoir relevé que le manuel d'exploitation en vol ED 008G rappelait que pour les essais en vol en France, l'altitude minimale est de 170 pieds alors qu'il ne s'agit que d'une autorisation spécifique donnée au pilote dans le cadre de certains vols effectués sous le régime de la circulation aérienne militaire ou d'essais de réception nécessitant un passage à très basse altitude, mais qu'elle ne dispense pas le pilote de se confirmer aux règles de la circulation aérienne générale qui interdit le vol à une hauteur inférieure à 500 pieds et qu'un tel « raccourci » relatif à une hauteur de 170 pieds dans certains types de vol pourrait être une source de confusion pour un naviguant inexpérimenté, a néanmoins jugé qu'il ne peut avoir eu pour conséquence d'induire en erreur un pilote d'une expérience telle que celle de [F] [T] qui connaissait la réglementation aérienne comme le manuel d'exploitation en vol de son employeur, a violé les articles 121-3 et 221-6 du code pénal, ensemble les articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale ;

6°/ que les consorts [U] (mémoire pages 41 et 42) et Mme [H] (mémoire page 9) faisaient respectivement valoir que la société [4] avait commis une faute en prévoyant dans son manuel des opérations aériennes que lorsque l'appareil est équipé d'une radio sonde, l'index doit être réglé à une hauteur adaptée de 330 pieds (100 m) ; qu'en se bornant à énoncer que lors du vol de l'évènement, le réglage de la sonde à 300 pieds, n'aurait pas généré l'alarme puisque l'appareil a heurté le câble à une hauteur au-dessus du sol d'environ 120 m (soit environ 400 pieds) en sorte que le réglage de la radio sonde précisée dans le manuel des opérations aérienne d'Eurocopter ne permettait pas à l'équipage d'être alerté du passage sous la hauteur de 300 pieds, la chambre de l'instruction n'a pas recherché, comme il le lui incombait, si la préconisation relative à la radiosonde n'offrait pas une protection et une sécurité suffisante, a privé sa décision de base légale au regard des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, ensemble des articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale ;

7°/ que les consorts [U] (mémoire page 43) faisaient valoir qu'il n'était pas établi que le commandant ait bien prévu, avec son équipage, du programme du vol avant le décollage ; qu'en déduisant de l'existence des règles applicables au sein de la société [4], en cas de vol d'essai, la manière dont la zone avait été choisie et les manoeuvres opérées sans rechercher, in concreto, si le jour du vol, le commandant avait bien « debriefé » avec les membres de l'équipage, du programme du jour, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, ensemble des articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale ;

8°/ que le délit d'homicide involontaire est caractérisé s'il est établi que la faute d'imprudence, de négligence a causé la mort de la victime en sorte qu'il appartenait en conséquence à la société [4] de prévoir la mise en oeuvre de règles plus strictes définissant le membre de l'équipage qui doit systématiquement garder les yeux vers l'extérieur durant une phase d'essai ; qu'en se fondant sur la circonstance que cette règle ne faisait l'objet d'aucune obligation réglementaire au jour du vol laquelle n'était pas de nature à exclure l'existence d'une faute simple constituée en l'occurrence par le manquement à une règle de prudence et de diligence incombant à l'employeur, lors d'un ultime essai en zone montagneuse, la chambre de l'instruction a violé les articles 121-3 et 221-6 du code pénal, ensemble les articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale ;

9°/ que le fait pour l'employeur de laisser le pilote cumuler les fonctions de décideur, d'exécutant et de contrôleur constitue une faute d'imprudence et de négligence dès lors qu'un tel cumul rend possibles les dérives du pilote qui agit sans aucun contrôle hiérarchique ; qu'en se fondant sur les circonstances inopérantes que la pratique d'« auto désignation » ayant conduit à désigner, le jour de l'accident, [F] [T], chef des essais en vol, était très fréquente au sein de la société [4], qu'au surplus le rôle du chef des essais en vol était limité à la désignation de l'équipage de pilotage (page 67), et que la dissociation entre la validation et la composition du personnel navigant de nature à améliorer la sécurité des vols ne faisait pas l'objet d'une obligation réglementaire au jour du vol (page 65), lesquelles n'étaient pas de nature à exclure l'existence de la faute d'imprudence commise par la société [4] qui avait rendu possible un tel cumul de fonctions exclusif de tout contrôle, la chambre de l'instruction a violé les articles 121-3 et 221-6 du code pénal, ensemble les articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale ;

10°/ que les règles de prudence de nature à assurer la sécurité des salariés membres de l'équipage et relatives à l'information des pilotes, à leur formation, à leur supervision et à leur contrôle, en amont et pendant le vol, sont de nature à éviter les dérives induites par la latitude dont jouit le pilote, commandant de bord, dès lors que ce dernier sait qu'il doit rendre des comptes ; qu'en jugeant que les nouvelles mesures prises par la société [1], si elles avaient été en vigueur le jour de l'accident, n'auraient pas empêché le pilote de modifier la destination de l'hélicoptère ni de prendre des décisions personnelles liées à l'exécution du vol la chambre de l'instruction a violé les articles 121-3 et 221-6 du code pénal, ensemble les articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale. »

10. Le cinquième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance qui a dit qu'il ne résulte pas de l'information des charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis l'infraction d'homicide involontaire dans le cadre du travail faits commis le 25 juillet 2012 à La Palud sur Verdon et ayant causé le décès dans l'hélicoptère Cougar des victimes employées par la société [4] devenu [1], [E] [B], [M] [U], [F] [T], [P] [T], [P] [H], [J] [L], [S] [K], alors :

« 1°/ que la responsabilité d'une personne morale ne peut être engagée que si l'infraction a été commise pour son compte par leurs organes ou représentants ; qu'en jugeant que [F] [T], pilote d'essais au sein de la division technique des essais en vol ne disposait d'aucune prérogative d'autorité ou de direction au sein de la société [4] en sorte qu'il n'en était ni le représentant ni l'organe (page 68) après avoir pourtant expressément constaté que M. [Y] [A] lui avait verbalement confié sa fonction de chef des essais en vol de production, en charge de la désignation des équipages (page 67) et que ce dernier assurait, selon la procédure mise en place au sein de la société [4], la fonction de responsable de la production/essais en vol de toute la gamme d'appareil d'Eurocopter (page 60), la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations dont il résultait que [F] [T] avait reçu par délégation verbale les prérogatives du responsable de la production/essai et notamment celle de désigner l'équipage ce qui en impliquait qu'il agissait en qualité de représentant de la société, violant ainsi les articles 121-2 et 221-6 du code pénal, ensemble les articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en tout état de cause, le commandant de bord qui assure le commandement de l'appareil, choisit l'itinéraire, l'altitude de vol, qui peut différer le départ, changer de destination et qui cumule les fonctions de décideur, d'exécutant et de contrôleur dispose d'une délégation de pouvoirs de fait qui le rend responsable de la sécurité pendant les vols ou, dans tous les cas, des pouvoirs de représentation de la société dont il est salarié ; qu'en jugeant que [F] [T], pilote d'essais au sein de la division technique des essais en vol ne disposait d'aucune prérogative d'autorité ou de direction au sein de la société [4] en sorte qu'il n'en était ni le représentant ni l'organe, la chambre de l'instruction a violé les articles 121-2 et 221-6 du code pénal, ensemble les articles 177, 179 et 186 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

11. Les moyens sont réunis.

12. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu, l'arrêt attaqué énonce que la cause directe et immédiate de l'accident est l'impact de l'hélicoptère avec un câble électrique situé à une hauteur de 112 mètres, que le pilote a tenté en vain d'éviter par une manoeuvre réflexe inadaptée.

13. Les juges relèvent que s'il n'est pas possible d'identifier le membre d'équipage ayant repéré le câble et conduit à l'amorce d'une manoeuvre d'évitement, la formation reçue et la pratique des essais en vol au sein de la société [4] prévoyaient que l'expérimentateur navigant placé à gauche participait à la détection des obstacles.

14. Ils retiennent que bien qu'impliquant un appareil militaire, le vol en cause, qui consistait en un dernier essai avant livraison au client, réalisé en espace non contrôlé et ne nécessitant pas de s'inscrire dans un régime dérogatoire, relevait de la circulation aérienne générale en vol à vue et était à ce titre soumis, par l'arrêté du 3 mars 2006 relatif aux règles de l'air, à une hauteur de vol minimale de 150 mètres, soit 500 pieds, dont le non-respect par le pilote est à l'origine de l'accident.

15. Ils ajoutent que du fait de la présence de nombreux touristes, les gorges du Verdon pouvaient être assimilées au moment des faits à une zone de rassemblement de personnes en plein air, pour laquelle la hauteur minimale de survol est portée de manière dérogatoire à 300 mètres, soit 1 000 pieds.

16. Les juges constatent que si le manuel des opérations de vol évoquait notamment une hauteur minimale de 170 pieds applicable en circulation aérienne militaire, ce document indiquait également qu'il ne dérogeait pas à la réglementation applicable et réservait par ailleurs tout vol en dessous d'une hauteur de 500 pieds à des motifs particuliers, non caractérisés en l'espèce.

17. Ils ajoutent que ce document n'a pas pu induire en erreur [F] [T], pilote expérimenté et hautement qualifié qui ne pouvait ignorer qu'il volait en circulation aérienne générale ni, en tout état de cause, que la limite minimale de 170 pieds applicable en circulation aérienne militaire, déterminée à partir de l'obstacle le plus élevé dans un rayon égal à la distance parcourue par l'aéronef en dix secondes, était elle aussi largement méconnue.
18. Les juges relèvent, après avoir exclu toute défaillance technique, que si une inattention passagère ou une faute de pilotage ne peuvent être formellement exclues, l'hypothèse la plus probable, compte tenu de l'expérience de l'équipage et des témoignages concordants attestant d'un survol à une altitude anormalement basse très en amont de l'impact, est celle d'une violation délibérée des règles de sécurité par le pilote, dans le but, soit de tester l'appareil dans des conditions inutilement dégradées, soit de profiter au mieux du paysage exceptionnel des gorges du Verdon.

19. Ils retiennent que le réglage de la radiosonde demeure inconnu en raison de l'état de l'épave mais que cet instrument, destiné à avertir l'équipage d'une réduction de la marge de hauteur par rapport au sol, n'aurait dès lors permis ni d'éviter l'accident ni, s'il avait été réglé à 300 pieds comme préconisé par le manuel des opérations de vol, de détecter un obstacle situé à une hauteur de 112 mètres, soit 400 pieds environ.

20. Les juges constatent que le câble électrique heurté, situé à une hauteur inférieure aux hauteurs minimales de vol réglementées, n'était pas sur une aire destinée à la circulation des aéronefs, qu'il ne faisait pas saillie au dessus d'une surface destinée à protéger les aéronefs en vol, qu'il ne se trouvait pas dans une zone jugée comme présentant un danger pour la circulation aérienne et que son balisage diurne ne s'imposait donc pas en application de l'arrêté du 7 décembre 2010 du ministre des transports relatif à la réalisation du balisage des obstacles à la navigation aérienne.

21. Ils ajoutent que la société [3], propriétaire du câble, n'avait pas connaissance des couloirs aériens et ne pouvait anticiper la présence d'un aéronef évoluant à cette hauteur en violation de la réglementation, d'autant plus que l'administration, consultée à l'époque de l'installation de la ligne dans les années 1960, n'a jamais recommandé ni ordonné son balisage.

22. Ils soulignent que le relief et l'étroitesse des gorges du Verdon imposaient une particulière vigilance en vol et que la présence de ce câble, seul obstacle sur le site, en place depuis plus de quarante ans, ne pouvait être ignorée d'un pilote expérimenté connaissant parfaitement les lieux, quand bien même il aurait pu l'oublier pendant quelques instants.

23. Les juges constatent que l'annonce par le pilote au contrôle de l'aéroport de [Localité 5] Provence d'un vol vers le nord, conforme à la fiche renseignée la veille dans le logiciel « Focus », seul document exigé dans la préparation du vol, tenait lieu de plan de vol réduit selon les règles applicables de la circulation aérienne générale en vol à vue.

24. Ils relèvent qu'après avoir quitté la zone de contrôle de [Localité 5] par le nord, l'appareil a bifurqué vers l'est en direction des gorges du Verdon, zone qui, bien que considérée comme un milieu hostile à l'aéronautique en raison de la forte proximité latérale des reliefs, était référencée sans restriction pour les vols d'essai.

25. Ils retiennent que [F] [T], ancien pilote de l'aviation légère de l'armée de terre, spécialement formé à la détection d'obstacles et au franchissement des lignes électriques, était le plus à même de définir la zone la plus adaptée à sa mission compte tenu notamment de l'encombrement des espaces aériens et que même dans l'hypothèse où la société [4] aurait eu connaissance du changement de zone de vol, elle n'était en mesure ni d'en apprécier en temps réel l'opportunité, ni de revenir sur ce choix incombant au seul pilote.

26. Les juges ajoutent que la société [4] n'avait aucune obligation d'assurer un suivi constant de la position et de la destination de l'appareil et que celui-ci n'était pas équipé d'un système de géolocalisation qui, compte tenu son incapacité à transmettre l'altitude en temps réel, n'aurait en tout état de cause pas permis de prévenir un accident aussi soudain.

27. Ils relèvent que la salariée saisonnière âgée de dix-huit ans recrutée aux fins de communication radio, saisie et classement de documents n'a eu aucun rôle décisionnel dans la préparation et le déroulement du vol et que son éventuelle insuffisance de compétence technique n'est pas intervenue dans la causalité ayant conduit à l'accident.

28. Ils soulignent que l'équipage disposait des cartes officielles nécessaires à l'organisation et à l'exécution d'un vol de cette nature et que si l'établissement d'une cartographie officieuse plus exhaustive mentionnant le câble en cause aurait pu être souhaitable, cette mesure se heurte à la difficulté de répertorier des obstacles innombrables dont la société [4] n'avait pas nécessairement connaissance, notamment situés dans des zones ou à des hauteurs interdites de vol.

29. Les juges constatent que pour le vol en cause, [F] [T] a exercé, outre ses fonctions de commandant de bord, les fonctions de chef des essais en vol, pour lesquelles il a été désigné en remplacement du titulaire, alors en congés.

30. Ils retiennent toutefois que le rôle du chef des essais en vol est limité à la désignation de l'équipage, qu'il n'intervient pas dans l'exécution du vol, que ce cumul n'était prohibé par aucune norme et que le titulaire de la fonction se désignait lui-même habituellement en tant que pilote.

31. Ils ajoutent que pendant le vol, [F] [T] n'a pas exercé d'autres fonctions que celles de commandant de bord et en déduisent que ce cumul n'a eu aucune incidence sur la survenance de l'accident.

32. Les juges soulignent qu'à la suite de l'accident, une stratégie spécifique de prévention a été mise en oeuvre, incluant notamment la création d'un poste de contrôleur du trafic des essais en vol, le renforcement du rôle de l'officier de la sécurité des vols, la définition d'un membre d'équipage tenu de garder le regard vers l'extérieur et un suivi en temps réel de la position des appareils.

33. Ils retiennent toutefois que ces mesures ne faisaient l'objet d'aucune obligation réglementaire au jour du vol et n'auraient, si elles avaient été alors en vigueur, pas empêché le pilote de modifier la zone de vol ni de prendre des décisions personnelles quant à la hauteur de vol.

34. Les juges relèvent que [F] [T], à l'encontre duquel l'action publique est éteinte, ne disposait d'aucune prérogative d'autorité ou de direction au sein de la société [4], qu'il n'agissait en aucun cas en tant qu'organe ou représentant de celle-ci et qu'il disposait, en application de l'article L. 6522-2 du code des transports, d'une totale autonomie dans la conduite de l'appareil.

35. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

36. En effet, elle a constaté l'absence de charges suffisantes à l'encontre de quiconque par des motifs relevant de son appréciation souveraine, dépourvus d'insuffisances ou de contradiction, d'où il résulte que, d'une part, aucune faute dans l'organisation et la supervision du vol, l'information et la formation de l'équipage ou le balisage de l'obstacle n'a contribué à la réalisation de l'accident, d'autre part, les fautes commises par le pilote ne sont pas de nature à engager la responsabilité pénale de son employeur.

37. Dès lors, les moyens doivent être écartés.

38. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur les pourvois formés par MM. [X] et [Z] [B] et l'association Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs :

En CONSTATE la déchéance ;

Sur les pourvois formés par Mmes [O] [H], [G] [I], et [V] [U], et MM. [W] et [N] [U] :

Les REJETTE ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mmes [O] [H], [G] [I] et [V] [U] et MM. [W] et [N] [U], devront payer aux parties représentées par la SCP Spinosi, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six décembre deux mille vingt-deux.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 21-87526
Date de la décision : 06/12/2022
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-En-Provence, 19 octobre 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 06 déc. 2022, pourvoi n°21-87526


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SAS Buk Lament-Robillot, SCP Spinosi

Origine de la décision
Date de l'import : 13/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:21.87526
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