LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 novembre 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 834 F-D
Pourvoi n° Z 21-22.163
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 NOVEMBRE 2022
1°/ M. [G] [U],
2°/ Mme [H] [W], épouse [U],
domiciliés tous deux [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° Z 21-22.163 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2021 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige les opposant à la société Morel, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. et Mme [U], de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Morel, après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 6 juillet 2021), suivant devis du 12 mai 2016, M. et Mme [U] ont confié à la société Morel des travaux de peinture dans leur appartement, qui ont été exécutés du 4 au 13 juillet suivant.
2. Se plaignant, lors de leur retour au domicile le 16 juillet, de fortes odeurs provoquant des céphalées et des brûlures dans la gorge et les voies respiratoires, M. et Mme [U] ont quitté leur logement le 20 juillet suivant et ont assigné, après expertise, la société Morel en réparation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. M. et Mme [U] font grief à l'arrêt de limiter à certaines sommes l'indemnisation de leurs frais de relogement et de leur préjudice moral, alors :
« 1°/ qu'aucune des parties n'ayant, pas plus que l'expert, demandé ni même évoqué la date du mois d'avril 2017 comme marquant la fin du préjudice réparable des époux [U], la cour d'appel ne pouvait statuer ainsi sans méconnaître les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en énonçant que cette date est « celle à partir de laquelle M. et Mme [U] ne pouvaient plus ignorer la nécessité absolue de renouveler l'air de leur appartement en l'aérant », après avoir pourtant déduit cette nécessité du rapport de l'expert [X] déposé seulement le 26 janvier 2018, la cour d'appel s'est contredite, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
3°/ qu'en s'abstenant de toute explication sur la conclusion du rapport d'expertise du 26 janvier 2018 relatant que « depuis 17 mois, nous interdisons aux époux [U] de rejoindre leur appartement » et sur le constat consécutif du jugement infirmé selon lequel « il est amplement établi tant par l'expertise judiciaire que par les rapports d'analyses de l'air intérieur de leur appartement qu'il est radicalement inhabitable depuis les travaux de l'entreprise Morel, sauf à mettre la santé des occupants en danger », la cour d'appel a privé sa décision de motifs suffisants, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences sans que la victime soit tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ; qu'en arrêtant au mois d'avril 2017 le préjudice indemnisable des époux [U], motif pris « de l'insuffisance de ventilation et d'aération des locaux pendant la durée de leur éloignement » et de ce qu'ils « ne pouvaient plus ignorer la nécessité absolue de renouveler l'air de leur appartement en l'aérant », la cour d'appel a violé le principe susvisé et l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
4. La cour d'appel a souverainement retenu que les analyses de l'air réalisées lors de l'expertise judiciaire en décembre 2016, cinq mois après les travaux de peinture, attestaient de valeurs critiques pour le benzène, plus particulièrement dans une petite chambre, les valeurs mesurées des autres solvants aromatiques étant dans toutes les pièces inférieures aux valeurs de référence ou, s'agissant des composés organiques volatils totaux, proches du niveau 2, c'est-à-dire sans impact significatif et avec recommandation d'augmenter la ventilation, et qu'aucune analyse contradictoire ultérieure n'avait été effectuée.
5. Elle a encore constaté que la question de la ventilation de l'appartement était en débat depuis le début des opérations d'expertise, et notamment la visite de l'appartement le 28 septembre 2016, que l'expert avait relevé, dans ses notes aux parties n° 2 et 3 des mois de novembre 2016 et mars 2017, que l'appartement fonctionnait en dépression dans le séjour et la grande chambre du fond, qu'aucune fenêtre ne disposait d'arrivée d'air extérieur, que le système de renouvellement de l'air était incomplet et que l'ouverture des fenêtres chaque jour n'avait pas eu lieu, l'appartement ayant été inoccupé pendant huit mois.
6. Elle a, enfin, relevé que, dans un dire à l'expert du 3 février 2017, la société Morel avait souligné que l'élimination des composés organiques volatils liés aux travaux de peinture requerrait une bonne ventilation de manière continue durant plusieurs jours que n'assurait pas la seule ouverture ponctuelle des fenêtres et que, dans sa note d'interprétation d'avril 2017, l'expert officieux de M. et Mme [U] avait noté que, depuis le départ des occupants, le logement n'avait été aéré en continu que du 16 au 20 juillet 2016 et ne l'avait pas été ultérieurement.
7. Elle a, par une décision motivée, pu déduire de ces constatations, sans se contredire ni modifier l'objet du litige ni encore limiter le préjudice des maîtres de l'ouvrage dans l'intérêt du responsable, qu'eu égard à l'insuffisance de ventilation et d'aération des locaux après les travaux, seule la période d'inoccupation de l'appartement depuis leur date d'exécution jusqu'au mois d'avril 2017 inclus, soit neuf mois, était imputable à ceux-ci, le lien de causalité entre la faute de l'entreprise et la pollution persistante après cette date n'étant pas établi.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. M. et Mme [U] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes au titre des travaux de dépollution et des indemnités accessoires, alors :
« 1°/ que les premiers juges avaient écarté la première méthode suggérée par l'expert en relevant qu' « outre le fait qu'une aération toutes fenêtres ouvertes ne peut se concevoir pour une occupation permanente des lieux, elle n'est pas compatible en période hivernale avec un chauffage mis au maximum et a de toute façon été testée par les époux [U] pendant environ trois mois, sans succès » et qu' « une telle méthode ne saurait être retenue puisqu'elle contraindrait les époux [U] à ne pas habiter leur appartement pendant encore deux ans ou plus tout en les obligeant à s'y rendre très régulièrement pour aérer, ce qui est particulièrement lourds, et à faire face à une facture de chauffage particulièrement élevée, sans pour autant occuper les lieux », ce qui avait conduit les époux [U] à opter « à juste titre pour la seconde méthode préconisée par l'expert », à savoir la dépollution de l'appartement ; qu'en infirmant le jugement pour retenir qu'il n'était pas « nécessaire d'entreprendre des travaux et en particulier des travaux de dépollution », sans réfuter sur ce point les motifs du jugement infirmé, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences sans que la victime soit tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ; qu'en privant les époux [U] de toute indemnisation pour les travaux de dépollution engagés qui leur avaient en définitive seuls permis de réintégrer leur appartement pour la seule raison que l'expert préconisait de « n'y procéder qu'en fonction d'une analyse à dix-huit mois » prolongeant d'autant, et sans résultat certain, le caractère inhabitable de leur logement, la cour d'appel a violé le principe susvisé et l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause. » Réponse de la Cour
10. La cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre l'avis de l'expert, a souverainement retenu, par une décision motivée, qu'eu égard à l'absence de ventilation et d'aération de l'appartement durant la période de l'éloignement de M. et Mme [U], les nuisances liées à la pollution par solvants aromatiques utilisés par la société Morel n'étaient imputables à cette dernière que jusqu'au mois d'avril 2017 inclus.
11. Elle en a déduit, sans limiter le préjudice des maîtres de l'ouvrage dans l'intérêt du responsable, que les travaux de dépollution entrepris par ceux-ci en 2018, et dont elle a relevé qu'une grande partie était liée à la présence de plomb dans leur appartement, étaient sans lien direct avec les fautes retenues à la charge de la société Morel et a pu, en conséquence, rejeter leurs demandes au titre de la dépollution et des autres frais accessoires engagés.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme [U] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [U]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Les époux [U] font grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ces chefs, d'avoir limité aux sommes de 21 600 euros et 5 000 euros correspondant à la période du « 20 juillet 2016, date du départ du logement, au mois d'avril 2017 inclus » l'indemnisation de leurs frais de relogement et de leur préjudice moral ;
AU MOTIF ESSENTIEL QU' « en définitive, au vu de l'ensemble de ces éléments, la cour considère :
1/ que le départ de M. et Mme [U] de leur appartement le 20 juillet 2016 est imputable aux travaux de peinture réalisés par la société Morel mais qu'il n'est pas établi que l'intégralité de la durée de leur absence soit imputable à ces travaux, ne serait-ce que compte tenu de l'insuffisance de ventilation et d'aération des locaux pendant la durée de leur éloignement ;
2/ qu'il n'est nullement établi que, pour remédier aux désordres liés aux travaux de peinture réalisés par la société Morel en juillet 2016, il était nécessaire d'entreprendre des travaux et en particulier des travaux de dépollution de l'appartement de M. et Mme [U].
Aussi convient-il de faire partiellement droit à leur demande d'indemnisation, l'existence d'un préjudice en lien de causalité direct et certain avec les travaux litigieux n'étant établi que pour les frais de relogement et le préjudice moral subi et ce, du 20 juillet 2016, date du départ du logement, au mois d'avril 2017 inclus ; que cette dernière date coïncide en outre avec celle à partir de laquelle M. et Mme [U] ne pouvaient plus ignorer la nécessité absolue de renouveler l'air de leur appartement en l'aérant » ;
1°/ ALORS QU'aucune des parties n'ayant, pas plus que l'expert, demandé ni même évoqué la date du mois d'avril 2017 comme marquant la fin du préjudice réparable des époux [U], la cour d'appel ne pouvait statuer ainsi sans méconnaître les termes du litige, en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ;
2°/ ALORS QU'en outre, en énonçant que cette date est « celle à partir de laquelle M. et Mme [U] ne pouvaient plus ignorer la nécessité absolue de renouveler l'air de leur appartement en l'aérant », après avoir pourtant déduit cette nécessité du rapport de l'expert [X] déposé seulement le 26 janvier 2018, la cour d'appel s'est contredite, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
3°/ ALORS EN OUTRE QU'en s'abstenant de toute explication sur la conclusion du rapport d'expertise du 26 janvier 2018 relatant que « depuis 17 mois, nous interdisons aux époux [U] de rejoindre leur appartement » et sur le constat consécutif du jugement infirmé selon lequel « il est amplement établi tant par l'expertise judiciaire que par les rapports d'analyses de l'air intérieur de leur appartement qu'il est radicalement inhabitable depuis les travaux de l'entreprise Morel, sauf à mettre la santé des occupants en danger », la cour d'appel a privé sa décision de motifs suffisants, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
4°/ ALORS ENFIN ET SURTOUT QUE l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences sans que la victime soit tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ; qu'en arrêtant au mois d'avril 2017 le préjudice indemnisable des époux [U], motif pris « de l'insuffisance de ventilation et d'aération des locaux pendant la durée de leur éloignement » et de ce qu'ils « ne pouvaient plus ignorer la nécessité absolue de renouveler l'air de leur appartement en l'aérant », la cour d'appel a violé le principe susvisé et l'article 1147 du Code civil dans sa rédaction applicable à la cause.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Les époux [U] font grief à l'arrêt infirmatif attaqué de les avoir déboutés de leurs demandes en paiement d'une indemnité au titre des travaux de dépollution, outre des indemnités accessoires ;
AUX MOTIFS ESSENTIELS QUE « l'expert ajoute que « si la deuxième analyse de l'air intérieur qui sera faite 18 mois après les travaux de peinture » montre encore la présence de solvants aromatiques, il faudra dépolluer l'appartement et faire appel à un maître d'oeuvre ; que c'est donc à tort que M. et Mme [U] prétendent que l'expert a affirmé qu'il convenait de faire intervenir une société pour dépolluer l'appartement ; qu'il ressort en effet clairement des termes du rapport précité que l'expert judiciaire préconisait de ne pas faire ces travaux de dépollution dans l'immédiat et de n'y procéder qu'en fonction des résultats d'une deuxième analyse à dix-huit mois ; que l'expert préconisait un processus d'action avec des conditions propres à chacune des étapes ; que M. et Mme [U] ne l'ont pas respecté » ;
1°/ ALORS QUE les premiers juges avaient écarté la première méthode suggérée par l'expert en relevant qu' « outre le fait qu'une aération toutes fenêtres ouvertes ne peut se concevoir pour une occupation permanente des lieux, elle n'est pas compatible en période hivernale avec un chauffage mis au maximum et a de toute façon été testée par les époux [U] pendant environ trois mois, sans succès » et qu' « une telle méthode ne saurait être retenue puisqu'elle contraindrait les époux [U] à ne pas habiter leur appartement pendant encore deux ans ou plus tout en les obligeant à s'y rendre très régulièrement pour aérer, ce qui est particulièrement lourds, et à faire face à une facture de chauffage particulièrement élevée, sans pour autant occuper les lieux », ce qui avait conduit les époux [U] à opter « à juste titre pour la seconde méthode préconisée par l'expert », à savoir la dépollution de l'appartement ; qu'en infirmant le jugement pour retenir qu'il n'était pas « nécessaire d'entreprendre des travaux et en particulier des travaux de dépollution », sans réfuter sur ce point les motifs du jugement infirmé, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
2°/ ALORS QUE l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences sans que la victime soit tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ; qu'en privant les époux [U] de toute indemnisation pour les travaux de dépollution engagés qui leur avaient en définitive seuls permis de réintégrer leur appartement pour la seule raison que l'expert préconisait de « n'y procéder qu'en fonction d'une analyse à dix-huit mois » prolongeant d'autant, et sans résultat certain, le caractère inhabitable de leur logement, la cour d'appel a violé le principe susvisé et l'article 1147 du Code civil dans sa rédaction applicable à la cause.