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30/11/2022 | FRANCE | N°21-19592

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 30 novembre 2022, 21-19592


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

BD4

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 30 novembre 2022

Cassation partielle

Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1283 F-D

Pourvoi n° E 21-19.592

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 30 NOVEMBRE 2022

M. [I] [G], domicilié [Adres

se 2], a formé le pourvoi n° E 21-19.592 contre l'arrêt rendu le 30 mars 2021 par la cour d'appel de Metz (chambre sociale, section 1), dans le ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

BD4

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 30 novembre 2022

Cassation partielle

Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1283 F-D

Pourvoi n° E 21-19.592

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 30 NOVEMBRE 2022

M. [I] [G], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-19.592 contre l'arrêt rendu le 30 mars 2021 par la cour d'appel de Metz (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant à la société Messer France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Monge, conseiller doyen, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [G], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Messer France, après débats en l'audience publique du 12 octobre 2022 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président et rapporteur, M. Rouchayrole, Mme Lecaplain-Morel, conseillers, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 30 mars 2021), M. [G] a été engagé, à compter du 9 juin 2008, en qualité de dispatcheur conditionné, statut agent de maîtrise par la société Messer France (la société) suivant contrat à durée indéterminée.

2. Le 1er janvier 2012, il a été promu cadre autonome avec application d'un forfait annuel de 217 jours travaillés. Le 1er janvier 2017, il a signé une nouvelle convention de forfait annuel de 214 jours travaillés, en application du nouvel accord d'entreprise sur le temps de travail applicable au 1er janvier 2017. Le 31 mars 2017, il a fait valoir ses droits à la retraite.

3. Le 22 septembre 2017, il a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir paiement de diverses sommes au titre d'heures supplémentaires, outre congés payés afférents, et de repos compensateurs non pris.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes au titre des heures supplémentaires, des congés payés afférents et du repos compensateur pour la période antérieure au 1er janvier 2017, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences légales et réglementaires pesant sur l'employeur ; que pour débouter le salarié de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires pour la période antérieure au 1er janvier 2017, après avoir retenu que la convention individuelle de forfait était privée d'effet pendant cette période, la cour d'appel a estimé que le tableau produit par le salarié "indiquant jour après jour, mois après mois, du 28 juillet 2014 au vendredi 31 mars 2017, une heure de début et de fin de travail le matin et la même chose l'après-midi, et la durée quotidienne de travail, à partir de laquelle il a calculé une durée hebdomadaire, en imputant selon le cas des heures supplémentaires au taux de 25 et 50 % [et déterminant] ensuite le montant des heures supplémentaires dû mensuellement et le repos compensateur dû annuellement, au-delà du contingent de 130 heures prévu par la convention collective applicable" était "insuffisant à étayer sa demande, tant sur l'existence de ces heures que sur leur quantum, à défaut de tout autre élément extérieur au salarié ou même émanant de l'entreprise" motifs pris que "nul ne peut se constituer de preuve à soi-même" et que le salarié ne justifiait pas comment il "aurait pu, après son départ à la retraite, retracer aussi précisément tous ses horaires journaliers", que son autonomie lui conférait "une totale liberté pour décider de l'organisation de ses tâches et de son temps de travail [?] sans que l'employeur ne dispose de contrôle des heures effectuées" et qu'il n'avait "jamais revendiqué la moindre heure supplémentaire [mais] au contraire indiqué dans le document sur le suivi de la convention de forfait du 6 mars 2017 que l'organisation de son travail était tout à fait compatible avec les amplitudes horaires prévues par le code du travail et préservait sa vie personnelle", ce que confirmaient les témoignages de ses deux supérieurs hiérarchiques qui précisaient que l'activité ne nécessitait pas des horaires "au-delà de la norme" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés du caractère unilatéral des décomptes produits par le salarié, de son autonomie et de son absence de demande en paiement d'heures supplémentaires au cours de la relation de travail, ou relevant d'une confusion entre le respect des durées maximales de travail et l'existence d'heures supplémentaires, quand il ressortait de ses propres constatations que les décomptes produits par le salarié constituaient des éléments suffisamment précis quant aux horaires accomplis pour permettre à l'employeur d'y répondre en produisant ses propres éléments, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

5. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition des membres compétents de l'inspection du travail, les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

6. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

7. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

8. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre des heures supplémentaires, des congés payés afférents et de l'indemnisation des repos compensateurs subséquents, l'arrêt relève que l'intéressé produit un unique document, un tableau excel indiquant jour après jour, mois après mois, du 28 juillet 2014 au vendredi 31 mars 2017, une heure de début et de fin de travail le matin et la même chose l'après-midi, et la durée quotidienne de travail, à partir de laquelle il a calculé une durée hebdomadaire, en imputant selon le cas des heures supplémentaires aux taux de 25 et 50 %. Il retient que ce document est notoirement insuffisant à étayer sa demande, tant sur l'existence de ces heures que sur leur quantum, à défaut de tous autres éléments extérieurs ou même émanant de l'entreprise, tels des agendas, plannings de travail ou échange de mails par exemple, pouvant le rendre vraisemblable, notamment justifier comment le salarié aurait pu, après son départ à la retraite, retracer aussi précisément tous ses horaires journaliers, cette seule précision ne suffisant pas en elle-même à fournir la preuve préalable qui lui incombe.

9. Il ajoute que le salarié, responsable de l'unité de production où il était affecté, avait une totale liberté pour décider de l'organisation de ses tâches et de son temps de travail, en sa qualité de cadre et pas seulement en raison de la convention de forfait, sans que l'employeur ne dispose de moyen de contrôle des heures effectuées et observe qu'à défaut de tout élément extrinsèque au salarié venant conforter le seul document qu'il s'est établi à lui-même, il est impossible pour la société d'apporter des éléments contraires.

10. Il constate encore que l'employeur fait valoir à juste titre que le salarié n'a jamais revendiqué la moindre heure supplémentaire, a au contraire indiqué dans le document sur le suivi de la convention de forfait du 6 mars 2017 que l'organisation de son travail était tout à fait compatible avec les amplitudes horaires prévues par le code du travail et préservait sa vie personnelle, et que le témoignage des deux supérieurs hiérarchiques du salarié confirme ces constatations, le premier indiquant que le salarié n'a jamais lors des échanges entre eux émis de remarques ou de commentaires quant à sa charge de travail et/ou ses horaires de travail et précisant que le site de [Localité 3] est un petit site avec une activité régulière ne nécessitant pas des horaires au-delà de la norme.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre et, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [G] de ses demandes au titre des heures supplémentaires, des congés payés afférents, et du repos compensateur pour la période antérieure au 1er janvier 2017, l'arrêt rendu le 30 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;

Condamne la société Messer France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Messer France et la condamne à payer à M. [G] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [G]

M. [G] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de ses demandes au titre des heures supplémentaires, des congés payés afférents et du repos compensateur pour la période antérieure au 1er janvier 2017 en raison de leur caractère infondé.

ALORS QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences légales et réglementaires pesant sur l'employeur ; que pour débouter le salarié de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires pour la période antérieure au 1er janvier 2017, après avoir retenu que la convention individuelle de forfait était privée d'effet pendant cette période, la cour d'appel a estimé que le tableau produit par le salarié « indiquant jour après jour, mois après mois, du 28 juillet 2014 au vendredi 31 mars 2017, une heure de début et de fin de travail le matin et la même chose l'après-midi, et la durée quotidienne de travail, à partir de laquelle il a calculé une durée hebdomadaire, en imputant selon le cas des heures supplémentaires au taux de 25 et 50 % [et déterminant] ensuite le montant des heures supplémentaires dû mensuellement et le repos compensateur dû annuellement, au-delà du contingent de 130 heures prévu par la convention collective applicable » était « insuffisant à étayer sa demande, tant sur l'existence de ces heures que sur leur quantum, à défaut de tout autre élément extérieur au salarié ou même émanant de l'entreprise » motifs pris que « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même » et que le salarié ne justifiait pas comment il « aurait pu, après son départ à la retraite, retracer aussi précisément tous ses horaires journaliers », que son autonomie lui conférait « une totale liberté pour décider de l'organisation de ses tâches et de son temps de travail [?] sans que l'employeur ne dispose de contrôle des heures effectuées » et qu'il n'avait « jamais revendiqué la moindre heure supplémentaire [mais] au contraire indiqué dans le document sur le suivi de la convention de forfait du 6 mars 2017 que l'organisation de son travail était tout à fait compatible avec les amplitudes horaires prévues par le code du travail et préservait sa vie personnelle », ce que confirmaient les témoignages de ses deux supérieurs hiérarchiques qui précisaient que l'activité ne nécessitait pas des horaires « au-delà de la norme » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés du caractère unilatéral des décomptes produits par le salarié, de son autonomie et de son absence de demande en paiement d'heures supplémentaires au cours de la relation de travail, ou relevant d'une confusion entre le respect des durées maximales de travail et l'existence d'heures supplémentaires, quand il ressortait de ses propres constatations que les décomptes produits par le salarié constituaient des éléments suffisamment précis quant aux horaires accomplis pour permettre à l'employeur d'y répondre en produisant ses propres éléments, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21-19592
Date de la décision : 30/11/2022
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Metz, 30 mars 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 30 nov. 2022, pourvoi n°21-19592


Composition du Tribunal
Président : Mme Monge (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Origine de la décision
Date de l'import : 06/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:21.19592
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