LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 23 novembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 811 F-B
Pourvoi n° Y 21-22.254
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 23 NOVEMBRE 2022
La société Artiliège, société de droit belge, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2] (Belgique), a formé le pourvoi n° Y 21-22.254 contre l'arrêt rendu le 23 mars 2021 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Moulins Soufflet, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société Boogaerts, société de droit belge, société personnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3] (Belgique),
3°/ à la société Cabinet Bourbon, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Artiliège, de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Moulins Soufflet, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Boogaerts, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Cabinet Bourbon, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 23 mars 2021), la société Moulins Soufflet a confié à la société Cabinet Bourbon une mission de conseil et d'assistance technique relative à la réalisation d'un moulin à blé comportant un système d'étuvage de la farine. Elle a confié le lot étuvage à la société belge Artiliège qui a sous-traité la fourniture du générateur à air chaud à la société belge Boogaerts. Le 4 février 2015, celle-ci a saisi le juge belge d'une demande de paiement de factures dirigée contre les sociétés Artiliège et Moulins Soufflet. Le 26 juillet 2017, la société Moulins Soufflet, alléguant que le dispositif d'étuvage de la farine était affecté de désordres, a assigné en responsabilité contractuelle la société Cabinet Bourbon, laquelle a appelé en intervention forcée les sociétés Artiliège et Boogaerts.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La société Artiliège fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de sursis à statuer, alors « que l'article 30.1 du règlement Bruxelles I bis prévoit que "lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d'Etats membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer" ; que suivant l'article 30.3 de ce même règlement "sont connexes, au sens du présent article, les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément" ; qu'en l'espèce, après avoir affirmé que "dans l'hypothèse où les juridictions françaises soient amenées à avoir, sur la question de l'éventuelle défectuosité du matériel et sur le lien de causalité avec les préjudices allégués par la société Soufflet, une appréciation contraire des juridictions belges, ou vice-versa, il en résulterait potentiellement un risque de contrariété entre les solutions susceptibles d'être adoptées par les juridictions des deux Etats membres de l'Union", de sorte que "la situation de connexité, au sens du Règlement, se trouve suffisamment établie" (cf. arrêt p. 9, §§ 1 et 2), la cour d'appel a néanmoins écarté l'exception de connexité soulevée par la société Artiliège et refusé de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision définitive rendue par les juridictions belges saisies en premier lieu, motif pris que "la question de la défectuosité du matériel fourni par la société Boogaerts n'occupe pas une place centrale, au vu des autres manquements contractuels allégués, ainsi que du propre comportement de la société Soufflet" (cf. arrêt p. 9, § 3) ; qu'en subordonnant ainsi le sursis à statuer au caractère central au litige de la question posée par la demande connexe, la cour d'appel a violé les articles 30.1 et 30.3 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis, par l'ajout d'une condition qu'ils ne prévoient pas. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 30 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d'Etats membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer, les demandes connexes étant celles qui sont liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
5. Ayant relevé que la société Moulins Soufflet, qui l'avait saisie d'une action en responsabilité contractuelle dirigée contre la société Cabinet Bourbon, laquelle sollicitait la garantie des sociétés Artiliège et Boogaerts, était assignée par cette dernière devant un juge belge en paiement du prix du générateur litigieux, la cour d'appel, qui en a exactement déduit que les deux affaires étaient connexes, a toutefois estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société Artiliège aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Artiliège et la condamne à payer à la société Moulin Soufflet la somme de 3 000 euros et la même somme à la société Cabinet Bourbon ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Vignes, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société Artiliège
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société Artiliège fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du 5 novembre 2019 rendu par le Tribunal de commerce de Troyes en ce qu'il a rejeté le sursis à statuer demandé (à tout le moins sur l'action incidente subsidiaire de la SA Moulins Soufflet) dans l'attente qu'une décision coulée en force de la chose jugée soit rendue dans le cadre de la procédure ayant donné lieu au jugement prononcé le 11 juillet 2019 par le Tribunal de l'entreprise de Liège ;
ALORS QUE l'article 30.1 du règlement Bruxelles I bis prévoit que «lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d'Etats membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer » ; que suivant l'article 30.3 de ce même règlement « sont connexes, au sens du présent article, les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément » ; qu'en l'espèce, après avoir affirmé que « dans l'hypothèse où les juridictions françaises soient amenées à avoir, sur la question de l'éventuelle défectuosité du matériel et sur le lien de causalité avec les préjudices allégués par la société Soufflet, une appréciation contraire des juridictions belges, ou vice-versa, il en résulterait potentiellement un risque de contrariété entre les solutions susceptibles d'être adoptées par les juridictions des deux Etats membres de l'Union », de sorte que « la situation de connexité, au sens du Règlement, se trouve suffisamment établie » (cf. arrêt p. 9, §§ 1 et 2), la cour d'appel a néanmoins écarté l'exception de connexité soulevée par la société Artiliège et refusé de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision définitive rendue par les juridictions belges saisies en premier lieu, motif pris que « la question de la défectuosité du matériel fourni par la société Boogaerts n'occupe pas une place centrale, au vu des autres manquements contractuels allégués, ainsi que du propre comportement de la société Soufflet » (cf. arrêt p. 9, §3) ; qu'en subordonnant ainsi le sursis à statuer au caractère central au litige de la question posée par la demande connexe, la cour d'appel a violé les articles 30.1 et 30.3 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis, par l'ajout d'une condition qu'ils ne prévoient pas.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
La société Artiliège fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, de l'avoir condamnée à relever et garantir la société Cabinet Bourbon à hauteur de 20% de la condamnation prononcée à sa charge en principal, intérêts, frais et dépens ;
1°/ ALORS QU'après avoir affirmé que la société Artiliège, exerçant son activité dans le secteur de la ventilation et du traitement d'air, objectait « exactement » n'avoir pas eu connaissance des contraintes spécifiques de l'industrie meunière et en particulier du risque lié aux poussières de farine (cf. arrêt p. 21, § 12), qu'elle faisait « pertinemment » valoir que le cahier des charges élaboré par la société Cabinet Bourbon ne comportait aucune norme ou indication en relation avec les risques d'explosion ou d'auto-inflammation de poussières de farine (cf. arrêt p. 21, § 14) et encore que le rapport d'expertise ne relevait aucun manquement de la société Artiliège à cet égard (cf. arrêt p. 21, § 15), de sorte qu'il ne pouvait être reproché à la société Artiliège « de n'avoir jamais donné d'indication quant à la valeur réelle de la température de contact, ni plus largement, de ne pas s'être assurée de la conformité des équipements et installations commandées à leurs conditions d'exploitation » (cf. arrêt p. 21, dernier paragraphe et p. 22, §1), ce dont il se déduisait qu'aucun manquement au devoir de conseil ne pouvait être imputé à cette dernière, notamment pour ne pas avoir averti le maitre de l'ouvrage des dangers que pouvait présenter l'installation dans ces conditions, la cour d'appel a retenu, pour entrer en voie de condamnation, que la société Artiliège n'avait pas démontré « s'être acquittée de son obligation de conseil à l'encontre de la société Soufflet »
(cf. arrêt p. 22, § 13) ; qu'en statuant ainsi, elle a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
2°/ ALORS QU'au surplus, en déduisant le manquement à l'obligation de conseil du seul défaut de conformité du générateur d'air chaud aux stipulations contractuelles, sans préciser en quoi celui-ci aurait permis à la société Artiliège – qui n'avait pas connaissance des contraintes spécifiques de l'industrie meunière et en particulier du risque lié aux poussières de farine – de déceler les dangers que le générateur d'air chaud était susceptible de présenter dans ce contexte particulier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.
3°/ ALORS QU'EN TOUTE HYPOTHESE, en présence d'une pluralité de fautes, l'auteur de l'une d'entre elles ne peut voir sa responsabilité engagée et être condamné à relever et garantir les condamnations prononcées contre l'auteur d'une autre faute jugé responsable, que si la faute qu'il a lui-même commise est en lien de causalité directe avec le préjudice subi par la victime ; que pour condamner la société Artiliège à relever et garantir la société Cabinet Bourbon à hauteur de 20 % de la condamnation prononcée à l'égard de la société Moulins Soufflet, la Cour d'appel a affirmé que le manquement de la société Artiliège à son devoir de conseil avait « contribué à l'installation et la mise en fonctionnement du générateur d'air chaud défectueux » dont le maître d'oeuvre devait répondre (cf. arrêt p. 22, § 13) ; qu'en statuant ainsi, tout en ayant relevé d'une part, que l'expert judiciaire avait retenu que l'installation ne pouvait en aucun cas être mise en fonctionnement sans risque majeur « que le générateur fasse ou non l'objet de malfaçons » (cf. arrêt p. 17, § 1) et d'autre part, que la société Bourbon avait conçu et sélectionné « une installation et des éléments d'équipements, dont ce générateur, qui n'aurait pu fonctionner sans risque » (cf. arrêt p. 17, § 3), ce dont il résultait qu'indépendamment du manquement au devoir de conseil ayant contribué à l'installation du générateur d'air chaud, l'installation projetée n'aurait pas pu fonctionner compte tenu du défaut de conception imputable à la seule société Cabinet Bourbon, de sorte qu'aucun lien de causalité n'existait entre le manquement imputé à la société Artiliège et les préjudices subis par la société Moulins Soufflet consistant essentiellement en les frais de remplacement de l'installation, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
4°/ ALORS QU'en présence d'une pluralité de fautes, l'auteur de l'une d'entre elles ne peut voir sa responsabilité engagée et être condamné à relever et garantir les condamnations prononcées contre de l'auteur d'une autre faute jugé responsable, que si la faute qu'il a lui-même commise est en lien de causalité directe avec le préjudice subi par la victime ; que pour condamner la société Artiliège à relever et garantir la société Cabinet Bourbon à hauteur de 20 % de la condamnation prononcée à l'égard de la société Moulins Soufflet, la Cour d'appel a affirmé que la société Artiliège avait manqué à son obligation de résultat consistant à fournir un équipement conforme aux prévisions contractuelles et exempt des vices intrinsèques ; qu'en statuant ainsi, tout en ayant relevé d'une part, que l'expert judiciaire avait retenu que l'installation ne pouvait en aucun cas être mise en fonctionnement sans risque majeur « que le générateur fasse ou non l'objet de malfaçons » (cf. arrêt p. 17, § 1) et d'autre part, que la société Bourbon avait conçu et sélectionné « une installation et des éléments d'équipements, dont ce générateur, qui n'aurait pu fonctionner sans risque » (cf. arrêt p. 17, § 3), ce dont il résultait qu'indépendamment du défaut de conformité et vices affectant le générateur d'air chaud, l'installation projetée n'aurait pas pu fonctionner compte tenu du défaut de conception imputable à la seule société Cabinet Bourbon, de sorte qu'aucun lien de causalité n'existait entre les manquements imputés à la société Artiliège et le préjudice subi par la société Moulins Soufflet consistant essentiellement en les frais de remplacement de l'installation, la cour d'appel a derechef méconnu les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil.