LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 novembre 2022
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1261 F-D
Pourvoi n° Y 21-15.768
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 NOVEMBRE 2022
Mme [N] [L], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 21-15.768 contre l'arrêt rendu le 10 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Rhodia opérations, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La société Rhodia opérations a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de Mme [L], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Rhodia opérations, après débats en l'audience publique du 5 octobre 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à Mme [L] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Pôle Emploi.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 mars 2021), Mme [L] a été engagée par la société Rhodia GmbH, établie en Allemagne, à compter du 1er avril 2001, en qualité de directrice de communication Allemagne.
3. Elle a été détachée du 1er mars au 31 octobre 2002, auprès de la société Rhodia Services, établie en France, pour exercer, également, les fonctions de responsable de la communication innovation. Le terme de ce détachement a été prorogé à plusieurs reprises.
4. Le 13 février 2007, la société Rhodia Acetow GmbH, établie en Allemagne, a confié à la salariée le poste de directrice des relations Media Rhodia et celui de directrice communication Allemagne.
5. Le contrat de travail de la salariée a été transféré à la société Rhodia opérations, établie en France, le 1er janvier 2011, avec une reprise d'ancienneté au 1er janvier 2001.
6. La salariée a été licenciée pour motif économique par lettre du 7 février 2017.
7. Saisie par requête du 3 mai 2017, la juridiction prud'homale a, en particulier, condamné la société Rhodia opérations au paiement de diverses sommes à titre d'indemnité de préavis et de droits à congés payés afférents ainsi que d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
8. Cette société a relevé, le 26 septembre 2018, un appel limité aux chefs du jugement relatifs à la condamnation à payer l'indemnité de préavis.
9. La salariée a relevé un appel incident limité au montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
10. La société Rhodia opérations a formé un appel provoqué.
Examen des moyens
Sur les moyens du pourvoi principal de la salariée, ci-après annexés
11. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les premier et troisième moyens du pourvoi principal qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation et sur le deuxième moyen de ce pourvoi, qui est irrecevable.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident de la société
Enoncé du moyen
12. La société Rhodia Opérations fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement à la salariée d'une certaine somme au titre de la perte de son emploi et de lui ordonner de rembourser à Pôle emploi six mois d'indemnités de chômage perçues, alors « que la limitation d'un appel principal n'interdit pas à l'appelant de former, de la même manière que le sont les demandes incidentes, un appel sur l'appel incident de l'intimé, et d'étendre ainsi sa critique du jugement ; qu'il était acquis aux débats que si la société Rhodia Opérations avait formé un appel du jugement limité au chef de dispositif relatif à l'indemnité de préavis, elle avait, sur l'appel incident de la salariée portant sur le chef de dispositif de l'arrêt lui ayant alloué 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, formé par voie de conclusions, appel incident de ce même chef de dispositif; qu'en retenant que lorsque l'appelant a formé un appel limité dans sa déclaration d'appel, il ne peut par la suite élargir par conclusions son appel à d'autres chefs que ceux qu'il a indiqués dans sa déclaration, pour en déduire que la société Rhodia Opérations ne pouvait soutenir que le licenciement reposait sur une cause réelle sérieuse et conclure au débouté de la demande de dommages et intérêts de la salariée, la cour d'appel a violé les articles 549, 550 et 551 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 549 et 550 du code de procédure civile :
13. Il résulte de ces textes que la limitation de son appel principal par une partie ne lui interdit pas de former, de la même manière que le sont les demandes incidentes, un appel provoqué par l'appel incident de l'intimé et d'étendre ainsi sa critique du jugement.
14. Pour condamner la société Rhodia opérations au paiement à la salariée d'une certaine somme au titre de la perte de son emploi et lui ordonner de rembourser à Pôle emploi six mois d'indemnités de chômage, l'arrêt retient que cette société, qui a formé un appel limité aux chefs du jugement relatifs à la condamnation à payer l'indemnité de préavis avec intérêts de droit, ne peut aller jusqu'à soutenir, dans le cadre de son appel provoqué par l'appel incident de la salariée limité au seul montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.
15. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de statuer sur la cause réelle et sérieuse du licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Rhodia opérations à payer à Mme [L] la somme de 135 000 euros au titre de la perte d'emploi et ordonne à la société Rhodia opérations le remboursement à Pôle emploi de six mois d'indemnités de chômage perçues par Mme [L], l'arrêt rendu le 10 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne Mme [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour Mme [L], demanderesse au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Mme [N] [L] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement qui l'a déboutée de sa demande d'indemnité pour violation du statut de travailleur détaché et de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé ;
ALORS DE PREMIERE PART QUE la notion de résidence, au sens du règlement n°883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, s'entend du lieu où une personne réside habituellement ; que la résidence se distingue ainsi tant du domicile familial que du lieu de séjour temporaire, pour désigner le lieu où le salarié demeure -vit, loge et localise ses intérêts- de la manière la plus stable et régulière ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que Mme [L] exerçait une part substantielle de son activité en France, qu'elle y bénéficiait de la location d'un logement et que la France était bien le pays où elle « vivait habituellement », fut-ce sans sa famille et nonobstant un simple aller-retour, tous les quinze jours, pour un séjour temporaire en Allemagne ; qu'en jugeant néanmoins que les cotisations de retraite de la salariée devaient être réglées en Allemagne conformément à la législation allemande, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des dispositions de l'article 13 §1 du Règlement (CE) 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ;
ALORS DE DEUXIEME PART QUE la notion de résidence, au sens du règlement n°883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, s'entend du lieu où une personne réside habituellement, peu important qu'elle y vive seule et que sa famille n'ait pas déménagé pour vivre avec elle ; qu'en considérant que la résidence de Mme [L] se trouvait, non sur le territoire de l'Etat où elle vivait habituellement mais sur celui où était implantée sa famille dès lors que son conjoint et ses enfants n'avaient pas déménagé pour vivre avec elle, la cour d'appel a ajouté aux dispositions des articles 1 et 13 du règlement (CE) 883/2004, une condition qui n'y figure pas et a ainsi violé ces dispositions ;
ALORS DE TROISIEME PART QUE la cour d'appel ne pouvait fixer en Allemagne le lieu de résidence de la salariée tout en constatant qu'elle vivait habituellement en France, au seul motif que sa famille demeurait à cette époque en Allemagne, sans rechercher, comme l'y invitaient les conclusions de Mme [L], dans lequel de ces deux pays elle avait localisé le centre principal de ses intérêts, lesquels ne sauraient être exclusivement relatifs à sa vie familiale ; qu'ainsi la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 11 à 13 du Règlement (CE) n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ;
ALORS DE QUATRIEME PART QUE la salariée indiquait dans ses conclusions avoir été embauchée en France par le groupe français bien qu'elle ait formellement conclu un contrat de travail avec la société filiale allemande -conclusion qui a été suivie d'un détachement immédiat et de longue durée en France- et avoir travaillé au profit du groupe français et de ses différentes entités françaises, auxquelles elle rendait compte et qui lui donnaient des directives ; qu'en jugeant applicable la législation sociale allemande sans rechercher si la société mère Rhodia France et ses entités françaises n'étaient pas le véritable employeur ou les co-employeurs de la salariée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des dispositions des articles 11 à 13 du Règlement (CE) n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ;
ALORS DE CINQUIEME ET DERNIERE PART QUE par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le fondement de l'une ou /et l'autres des quatre premières banches, justifiera, par voie de conséquence, la censure de cet arrêt en ce qu'il a confirmé le jugement qui a débouté Mme [L] de sa demande d'indemnité au titre du travail dissimulé.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Mme [N] [L] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la société Rhodia Opérations à lui verser la somme de 135 000 euros au titre de la perte de son emploi ;
ALORS QUE l'intimé à un appel incident dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande formée à son encontre lui a été notifiée pour remettre ses conclusions en réponse ; qu'il résulte des pièces de la procédure que c'est par des conclusions d'intimée à l'appel incident adressées au greffe le 11 juillet 2019 que la société Rhodia Opérations a remis en cause le montant des dommages et intérêts auxquels elle avait été condamnée par le jugement entrepris au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors qu'elle n'avait pas contesté cette condamnation dans ses conclusions d'appelante, pas plus dans son principe que dans son montant, et que l'appel incident de Mme [L] lui avait été notifié le 5 février 2019 de telle sorte qu'elle n'était plus recevable à y répondre après l'expiration du délai de trois mois de l'article 910 du code de procédure civile, soit postérieurement à la date du 5 mai 2019 ; qu'en n'ayant pas soulevé d'office l'irrecevabilité des conclusions déposées par la société Rhodia Opérations le 11 juillet 2019 et en ayant fait droit à la demande de réduction du montant des dommages et intérêts prononcés au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 910 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Mme [N] [L] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Rhodia Opérations à lui verser la somme de 135 000 euros au titre de la perte de son emploi ;
ALORS QUE le jugement entrepris avait fixé le montant du salaire moyen des trois derniers mois perçu par Mme [L] à la somme de 13 520 euros ; que ce montant n'était pas contesté par la société appelante ; que, dès lors, la cour d'appel, en retenant un montant de « rémunération moyenne mensuelle brute de 13 378, 33 euros », a méconnu les limites de sa saisine et violé les articles 4 et 562 du code de procédure civile
Moyen produit par la SCP la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Rhodia opérations, demanderesse au pourvoi incident
La société Rhodia Opérations fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée au paiement à Mme [L] de la somme de 135 000 euros au titre de la perte de son emploi de lui AVOIR, par confirmation du jugement entrepris, ordonné de rembourser à pôle emploi six mois d'indemnités chômage perçues par Mme [L]
1/ ALORS QUE la limitation d'un appel principal n'interdit pas à l'appelant de former, de la même manière que le sont les demandes incidentes, un appel sur l'appel incident de l'intimé, et d'étendre ainsi sa critique du jugement ; qu'il était acquis aux débats que si la société Rhodia Opérations avait formé un appel du jugement limité au chef de dispositif relatif à l'indemnité de préavis, elle avait, sur l'appel incident de la salariée portant sur le chef de dispositif de l'arrêt lui ayant alloué 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, formé par voie de conclusions, appel incident de ce même chef de dispositif; qu'en retenant que lorsque l'appelant a formé un appel limité dans sa déclaration d'appel, il ne peut par la suite élargir par conclusions son appel à d'autres chefs que ceux qu'il a indiqués dans sa déclaration, pour en déduire que la société Rhodia Opérations ne pouvait soutenir que le licenciement reposait sur une cause réelle sérieuse et conclure au débouté de la demande de dommages et intérêts de la salariée, la cour d'appel a violé les articles 549, 550 et 551 du code de procédure civile ;
2/ ALORS QUE l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent ; que dans ses conclusions d'appel incident, la salariée critiquait le chef de dispositif du jugement ayant condamné la société Rhodia Opérations à lui verser la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que le jugement critiqué comportait un unique chef de dispositif relatif au licenciement, condamnant la société Rhodia Opérations au paiement de la somme de 200 000 euros ; qu'en retenant que la salariée n'avait fait appel incident que sur le quantum de cette condamnation, pour en déduire que la société Rhodia Opérations ne pouvait remettre en cause le principe même de l'absence de cause réelle et sérieuse, lorsque l'appel incident de la salariée avait déféré à la cour d'appel tant le principe que le montant de cette condamnation en raison de l'unicité du chef de dispositif critiqué par l'appel incident, si bien que la cour d'appel devait se prononcer sur le principe même de la condamnation en recherchant si le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a méconnu son office en violation de l'article 562 du code de procédure civile