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17/11/2022 | FRANCE | N°21-18787

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 17 novembre 2022, 21-18787


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

FD

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 novembre 2022

Annulation partielle

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 1157 F-D

Pourvoi n° E 21-18.787

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 NOVEMBRE 2022

Mme [H] [W], domiciliée [Adresse 1], a formé le

pourvoi n° E 21-18.787 contre l'arrêt rendu le 2 juin 2021 par la cour d'appel de Bastia (chambre sociale), dans le litige l'opposant au Pôle e...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

FD

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 novembre 2022

Annulation partielle

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 1157 F-D

Pourvoi n° E 21-18.787

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 NOVEMBRE 2022

Mme [H] [W], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 21-18.787 contre l'arrêt rendu le 2 juin 2021 par la cour d'appel de Bastia (chambre sociale), dans le litige l'opposant au Pôle emploi, établissement public, pris en son établissement de Corse, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [W], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Pôle emploi, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 2 juin 2021), Madame [W] a saisi un conseil de prud'hommes de diverses demandes dirigées contre son employeur, l'établissement public Institution nationale publique Pôle emploi.

2. Ce dernier a relevé appel, le 6 juin 2019, du jugement du 14 mai 2019 l'ayant condamné à paiement et ayant débouté Mme [W] du surplus de ses demandes.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Mme [W] fait grief à l'arrêt de constater que la cour d'appel n'est pas saisie de son appel incident et de dire que dès lors les autres chefs du jugement rendu le 14 mai 2019 par le conseil de prud'hommes d'Ajaccio ayant débouté celle-ci du surplus de ses demandes dont celles afférentes à la discrimination, qui n'ont pas été déférés à la cour par l'appel, sont devenus irrévocables et de dire par suite n'y avoir lieu à statuer sur ses demandes devant la cour d'appel afférentes à une discrimination tendant à dire et juger qu'elle a été victime d'une discrimination sur l'évolution de sa carrière, condamner Pôle emploi à lui verser les sommes suivantes : 10.000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1132-1 du code du travail, 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi, dire et juger que Pôle emploi devait attribuer le coefficient 885 à compter de la notification de la décision à intervenir et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard, demandes rejetées précédemment par le conseil de prud'hommes alors « que, les juges, qui doivent observer le principe de la contradiction, ne peuvent fonder leur décision sur un moyen relevé d'office sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en soulevant d'office un moyen tiré de ce que lorsque l'appelant ne demande pas dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sans recueillir les observations des parties, la Cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et violé l'article 16 du code de procédure civile ».

Réponse de la Cour

4. C'est sans être tenue d'inviter les parties à présenter leurs observations, que la cour d'appel relève que dans le dispositif de ses écritures, Mme [W] n'a formé aucune demande d'annulation ni de réformation ou d'infirmation des chefs du jugement critiqué, un tel moyen, tiré de l'examen du libellé du dispositif des conclusions de l'intimé, étant nécessairement dans le débat devant la cour d'appel.

5.Le grief manque en droit.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

6. Mme [W] fait le même grief à l'arrêt alors « enfin et en tout état de cause, que seule la privation de l'accès au juge peut permettre d'écarter une disposition légale ; que pour déclarer n'avoir pas été saisie d'un appel incident de Mme [W], la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020 (Cass. Civ. II, 17 septembre 2020, n° 18-23626) qui n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit 6 juin 2019 ; qu'en statuant ainsi et en donnant une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la cour d'appel a privé Mme [W] d'un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, violant ainsi cette disposition. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

7. Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement. Cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui a été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626 ) pour la première fois dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

8. Pour dire que la cour d'appel n'est pas saisie de l'appel incident, l'arrêt retient que les dispositions des articles 542 et 954 sont applicables au litige, claires et ne nécessitent pas d'interprétation, qu'il n'y a donc pas lieu d'en reporter l'application au prononcé d'un arrêt publié par la cour de cassation et que la cour n'est pas saisie d'un appel incident par Madame [W] et ne peut se situer ultra petita sur les demandes afférentes à la discrimination.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 6 juin 2019, et appel incident par conclusions du 3 février 2020, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver Mme [W] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. L'annulation est encourue.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs du pourvoi, la Cour :

ANNULE, sauf en ce qu'il a dit recevable l'appel de l'Etablissement public Pôle emploi, l'arrêt rendu le 2 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet, sauf sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Condamne l'Etablissement public Pôle emploi aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour Mme [W].

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté que la cour d'appel n'est pas saisie d'un appel incident par Mme [H] [W] et dit que dès lors les autres chefs du jugement rendu le 14 mai 2019 par le conseil de prud'hommes d'Ajaccio ayant débouté celle-ci du surplus de ses demandes (dont celles afférentes à la discrimination) qui n'ont pas été déférés à la cour par l'appel, sont devenus irrévocables et dit par suite n'y avoir lieu à statuer sur les demandes de Mme [H] [W] devant la cour d'appel afférentes à une discrimination (tendant à dire et juger qu'elle a été victime d'une discrimination sur l'évolution de sa carrière, condamner Pôle emploi à lui verser les sommes suivantes : 10.000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1132-1 du code du travail, 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi, dire et juger que Pôle emploi devait attribuer le coefficient 885 (anciennement 350) à Madame [W] à compter de la notification de la décision à intervenir et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard), demandes rejetées précédemment par le conseil de prud'hommes ;

1/ Alors que, les juges, qui doivent observer le principe de la contradiction, ne peuvent fonder leur décision sur un moyen relevé d'office sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en soulevant d'office un moyen tiré de ce que lorsque l'appelant ne demande pas dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sans recueillir les observations des parties, la Cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2/ Alors que si les Etats peuvent réglementer les conditions d'exercice des voies de recours, notamment en instituant des délais et des prescriptions de forme afin de garantir une certaine sécurité juridique, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même ; qu'en outre ces limitations ne se concilient avec l'article 6 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens et le but visé ; que méconnaît ce principe et viole l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales la cour d'appel qui déclare n'avoir pas été saisie d'un appel principal ou incident d'une partie au procès motif pris que sa critique ne tendrait pas à l'annulation, ni à la réformation des chefs du jugement dont elle est saisie dont celui l'ayant déboutée de sa demande alors qu'au contraire dans le dispositif de ses conclusions d'appel, elle avait repris les demandes qui Page 9 sur 20 avaient été rejetées par les premiers juges, ce qui correspondait à une demande de réformation du jugement ;

3/ Alors enfin et en tout état de cause, que seule la privation de l'accès au juge peut permettre d'écarter une disposition légale ; que pour déclarer n'avoir pas été saisie d'un appel incident de Mme [W], la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020 (Cass. Civ. II, 17 septembre 2020, n° 18-23626) qui n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit 6 juin 2019 ; qu'en statuant ainsi et en donnant une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la cour d'appel a privé Mme [W] d'un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, violant ainsi cette disposition.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 21-18787
Date de la décision : 17/11/2022
Sens de l'arrêt : Annulation partielle
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia, 02 juin 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 17 nov. 2022, pourvoi n°21-18787


Composition du Tribunal
Président : M. Pireyre (président)
Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Piwnica et Molinié

Origine de la décision
Date de l'import : 29/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:21.18787
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