LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 novembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 777 F-D
Pourvoi n° A 21-21.244
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022
1°/ M. [U] [T], domicilié [Adresse 4],
2°/ la société Mutuelle des architectes français, (MAF) dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° A 21-21.244 contre l'arrêt rendu le 27 mai 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-4), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [N] [J], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société Thébaïde, société à responsabilité limitée, dont le siège est chez Boulouris immobilier, l'Oiseau d'Or, [Adresse 5], représentée par son mandataire ad hoc la société Boulouris Immobilier,
3°/ à M. [X] [W], domicilié [Adresse 3] (Danemark), pris en sa qualité de syndic de faillite de la société Alpha Insurance,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [T], de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP Gaschignard, avocat de M. [J], après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Maunand, conseiller dyen rapporteur, M. Jacques, conseiller, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. [T] et à la Mutuelle des architectes français (la MAF) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Thébaïde et M. [W], pris en sa qualité de syndic de faillite de la société Alpha Insurance.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 mai 2021), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 14 mai 2020, pourvoi n° 19-10.921), M. [J] a acquis de la société Thébaïde, en l'état futur d'achèvement, un appartement de trois pièces et une cave dans un immeuble réalisé sous la maîtrise d'oeuvre de M. [T], assuré auprès de la MAF.
3. Se plaignant de désordres d'infiltrations d'eau dans une pièce de son appartement et d'inondations récurrentes, à la suite d'épisodes pluvieux, de la cave en rez-de-jardin qu'il avait aménagée en pièce d'habitation, M. [J] a, après expertise, assigné en réparation son vendeur, le maître d'oeuvre et l'assureur de celui-ci.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [T] et la MAF font grief à l'arrêt de condamner le premier à payer à M. [J] la somme de 106 515,50 euros en réparation du préjudice locatif et celle de 10 000 euros en réparation des préjudices moral et de jouissance, alors « que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a été tranché dans le dispositif du jugement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu, pour condamner M. [T] à payer à M. [J] les sommes de 106 515,50 euros et de 10 000 euros en réparation de ses préjudices, qu'il était irrecevable à soutenir que les désordres ne relevaient pas de l'article 1792 du code civil, comme à contester toute responsabilité de sa part dans la survenance des désordres, dès lors que le caractère décennal des désordres et la responsabilité de M. [T] avaient été retenus par le jugement du tribunal de grande instance de Draguignan du 14 février 2017, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 29 novembre 2018, et que ces points n'avaient pas été contestés dans le cadre du pourvoi formé par M. [J], la cassation ne portant que sur le rejet de ses demandes en réparation ; que pourtant, dans le dispositif de ce jugement et de cet arrêt, les juges avaient débouté M. [J] de ses demandes en paiement et l'avaient condamné à payer une indemnité de procédure et les dépens, sans évoquer le caractère décennal des désordres et la responsabilité de M. [T] ; qu'il en résulte que ni le jugement ni l'arrêt confirmatif ne pouvaient avoir autorité de la chose jugée sur ces points, de sorte que la cour d'appel a violé l'article 1355, anciennement 1351, du code civil, et l'article 480 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1351, devenu 1355, du code civil et 480 du code de procédure civile :
5. Aux termes du premier de ces textes, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
6. Selon le second, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.
7. Il en résulte que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif (Ass. plén., 13 mars 2009, pourvoi n° 08-16.033, Bull. 2009, Ass. Plén., n° 3),
8. Pour condamner M. [T] et la MAF à payer diverses sommes à M. [J] au titre des préjudices locatif, moral et de jouissance, l'arrêt retient que leurs demandes tendant à voir juger que les désordres ne relèvent pas des dispositions de l'article 1792 du code civil et à contester toute responsabilité de M. [T] dans la survenance des désordres sont irrecevables, au motif que ces points ont été définitivement jugés par le jugement du 14 février 2017, confirmé par l'arrêt du 29 novembre 2018, et que la nature des désordres et la responsabilité du maître d'oeuvre n'ont pas été contestées par le pourvoi.
9. En statuant ainsi, alors que les dispositifs de ce jugement et de cet arrêt ne comportaient aucune disposition sur le caractère décennal des désordres et la responsabilité de M. [T], la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
Casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne M. [T] à payer à M. [J] la somme de 106 515,50 euros en réparation du préjudice locatif et celle de 10 000 euros en réparation des préjudices moral et de jouissance, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel et au paiement d'une indemnité de procédure au titre des frais exposés en première instance et en appel, l'arrêt rendu le 27 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne M. [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la Mutuelle des architectes français ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour M. [T] et la société Mutuelle des architectes français
M. [T] et la Maf font grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M. [T] à payer à M. [J] la somme de 106 515,50 euros en réparation du préjudice locatif et celle de 10 000 euros en réparation des préjudices moral et de jouissance ;
1/ Alors que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a été tranché dans le dispositif du jugement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu, pour condamner M. [T] à payer à M. [J] les sommes de 106 515,50 euros et de euros en réparation de ses préjudices, qu'il était irrecevable à soutenir que les désordres ne relevaient pas de l'article 1792 du code civil, comme à contester toute responsabilité de sa part dans la survenance des désordres, dès lors que le caractère décennal des désordres et la responsabilité de M. [T] avaient été retenus par le jugement du tribunal de grande instance de Draguignan du 14 février 2017, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 29 novembre 2018, et que ces points n'avaient pas été contestés dans le cadre du pourvoi formé par M. [J], la cassation ne portant que sur le rejet de ses demandes en réparation (arrêt pp. 6 et 7) ; que pourtant, dans le dispositif de ce jugement et de cet arrêt, les juges avaient débouté M. [J] de ses demandes en paiement et l'avaient condamné à payer une indemnité de procédure et les dépens, sans évoquer le caractère décennal des désordres et la responsabilité de M. [T] ; qu'il en résulte que ni le jugement ni l'arrêt confirmatif ne pouvaient avoir autorité de la chose jugée sur ces points, de sorte que la cour d'appel a violé l'article 1355, anciennement 1351, du code civil, et l'article 480 du code de procédure civile ;
2/ Alors que dans leurs conclusions d'appel, M. [T] et la Maf ont contesté la demande formée par M. [J] au titre de son préjudice locatif en faisant valoir qu'il « ne saurait valablement prétendre ne pas être en mesure de louer son bien, dès lors que la pièce la plus affectée était à l'origine une cave non habitable » (concl. p. 5) ; qu'en condamnant M. [T] à payer à M. [J] la somme de 106 515,50 euros au titre du préjudice locatif pour la période de juillet 2009 à août 2015, sans répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3/ Alors que M. [T] et la Maf avaient également soutenu, pour s'opposer à la demande formée par M. [J] au titre de son préjudice locatif, qu'il « ne justifie pas avoir entrepris de demande pour louer son bien depuis le départ de son locataire en mai 2009 » (concl. p. 5) ; qu'en condamnant M. [T] à payer à M. [J] la somme de 106.515,50 euros au titre du préjudice locatif pour la période de juillet 2009 à août 2015, sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a derechef violé l'article 455 du code de procédure civile.