LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 novembre 2022
Cassation partielle
M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1223 F-D
Pourvoi n° R 20-23.301
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 NOVEMBRE 2022
M. [T] [Z], domicilié [Adresse 3], [Localité 1], a formé le pourvoi n° R 20-23.301 contre l'arrêt rendu le 4 décembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-2), dans le litige l'opposant à la société Konica Minolta Business Solutions France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 4], défenderesse à la cassation.
La société Konika Minolta Business Solutions France a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Monge, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [Z], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Konica Minolta Business Solutions France, après débats en l'audience publique du 28 septembre 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Monge, conseiller rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, M. Halem, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence ,4 décembre 2020), M. [Z] a été engagé en qualité de chargé de clientèle par la société Konica Minolta Business Solutions France, suivant contrat à durée indéterminée du 2 juillet 2001. Un désaccord étant apparu entre les parties à propos du plan de rémunération variable 2016/2017, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 18 décembre 2016.
2. Le 31 mars 2017, il a saisi la juridiction prud'homale à l'effet de faire juger que sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir paiement de diverses sommes.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident de l'employeur, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal du salarié
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'un rappel de salaire par application de l'ancien plan de rémunération variable, alors « que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ; que la cour d'appel, ayant énoncé que le salarié était bien fondé à réclamer l'application de la structure de l'ancien plan de rémunération variable pour la période s'étendant d'avril à décembre 2016, ne pouvait rejeter la demande de rappel de salaire au motif que le salarié ne démontrait nullement que l'application de l'ancien plan aurait conduit à une augmentation de sa rémunération, dès lors que, le salarié ayant établi le bien-fondé de sa demande, il revenait à l'employeur de faire la preuve que le salarié était d'ores et déjà rempli de ses droits à l'application de l'ancien PRV ; que la cour d'appel a ainsi violé l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil :
5. Aux termes de ce texte, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
6. Pour rejeter la demande en paiement d'un rappel de salaire, l'arrêt retient que le salarié est bien fondé à réclamer l'application de la structure de l'ancien plan de rémunération variable pour la période s'étendant d'avril à décembre 2016. Il ajoute que les calculs théoriques proposés par l'intéressé ne tiennent pas compte du décalage des paiements et ne démontrent nullement que l'application de l'ancien plan aurait conduit à une augmentation supérieure de sa rémunération par rapport à celle dont il a déjà bénéficié en raison de l'application du nouveau lequel accélérait grandement le versement des commissions. Il retient encore que le salarié ne peut cumulativement exiger le maintien de l'ancien plan et le bénéfice du nouveau.
7. En statuant ainsi, alors qu'il appartenait à l'employeur de justifier de ce qu'il s'était libéré de son obligation de payer la rémunération variable due au salarié en application de l'ancien plan de rémunération variable pour la période sur laquelle portait la réclamation de l'intéressé, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
8. La cassation prononcée entraîne, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif disant que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié est infondée, qu'elle s'analyse en une démission, que le salarié est condamné à verser à l'employeur une indemnité compensatrice de préavis et qu'il est débouté de ses demandes en paiement de sommes au titre de la rupture du contrat, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il annule la clause ainsi rédigée « L'acceptation du contrat de travail comporte l'acceptation d'une remise en cause régulière du plan de rémunération variable » figurant à l'article 3 du contrat de travail et à l'article 4 de son avenant du 9 décembre 2004, l'arrêt rendu le 4 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Konica Minolta Business Solutions France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Konica Minolta Business Solutions France et la condamne à payer à M. [Z] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé et signé par Mme Monge, conseiller le plus ancien, en ayant délibéré en remplacement du président empêché, en l'audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. [Z], demandeur au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [Z] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande de rappel de salaires par application de l'ancien plan de rémunération variable ;
1- ALORS QUE le juge doit trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'il a le pouvoir d'ordonner, au besoin d'office, toutes les mesures d'instruction légalement admissibles ; que la cour d'appel, ayant énoncé que le salarié était bien fondé à réclamer l'application de la structure de l'ancien plan de rémunération variable pour la période s'étendant d'avril à décembre 2016, ne pouvait rejeter sa demande sans vérifier, au besoin en ordonnant d'office une mesure d'instruction, que le salarié était rempli de ses droits au regard de cet ancien plan de rémunération ; qu'elle a ainsi violé les articles 10 et 12 du code de procédure civile ;
2- ALORS QUE celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ; que la cour d'appel, ayant énoncé que le salarié était bien fondé à réclamer l'application de la structure de l'ancien plan de rémunération variable pour la période s'étendant d'avril à décembre 2016, ne pouvait rejeter la demande de rappel de salaire au motif que le salarié ne démontrait nullement que l'application de l'ancien plan aurait conduit à une augmentation de sa rémunération, dès lors que, le salarié ayant établi le bien-fondé de sa demande, il revenait à l'employeur de faire la preuve que le salarié était d'ores et déjà rempli de ses droits à l'application de l'ancien PRV ; que la cour d'appel a ainsi violé l'article 1353 du code civil ;
3- ALORS QU'en tout état de cause, la cour d'appel ne pouvait juger que le salarié était bien fondé à réclamer l'application de la structure de l'ancien plan de rémunération variable pour la période s'étendant d'avril à décembre 2016, et refuser d'en faire application ; qu'elle a ainsi violé l'article 1103 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
M. [Z] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait dit que sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail était infondée, que cette prise d'acte s'analysait en une démission et de l'avoir condamné à verser à la société KMBS France 22 592 € au titre de l'indemnité compensatrice de 3 mois de préavis ;
ALORS QUE la modification de la structure de la rémunération, fût-elle décidée pour un an, dès lors qu'aucun retour à la structure antérieure, que le salarié a revendiqué en vain, n'est prévue, constitue une violation par l'employeur de ses obligation d'une gravité suffisante pour interdire la poursuite du contrat de travail, peu important que l'employeur allègue qu'elle est plus favorable au salarié dès lors que ce dernier est seul juge de son intérêt pécuniaire ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé l'article 1184 du code civil dans sa version applicable au litige, ensemble les articles L. 1231-1 et L. 1235-1 du code du travail Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Konica Minolta Business Solutions France, demanderesse au pourvoi incident
La société Konica Minolta Business Solutions France (KMBSF) FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR annulé la clause ainsi rédigée : « l'acceptation du contrat de travail comporte l'acceptation d'une remise en cause régulière du plan de rémunération variable » figurant à l'article 3 du contrat de travail et à l'article 4 de l'avenant du 9 décembre 2004,
1. ALORS QU'une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération, y compris de ses modalités de calcul, dès lors qu'elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur, ne fait pas porter le risque d'entreprise sur le salarié et n'a pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels ; qu'en l'espèce, l'article 3 du contrat de travail du salarié et l'article 4 de l'avenant du 9 décembre 2004 indiquaient que « L'acceptation du contrat de travail comporte l'acceptation d'une remise en cause régulière du plan de rémunération variable » ; que l'employeur soulignait que les plans de rémunération variable prévoyaient le versement de commissions ou de primes à partir de paramètres chiffrés tels que l'atteinte d'un objectif de chiffre d'affaires, de marge, de niveau de facturation, de sorte que cette disposition permettait la variation de la rémunération en fonction d'éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur (conclusions p. 11) ; qu'en affirmant, pour annuler cette clause, qu'elle ne se contentait pas de permettre à l'employeur de modifier les objectifs assignés au salarié mais autorisait la modification de la structure même de son plan de rémunération variable et cela sans aucune limitation, apparaissant donc comme potestative, la cour d'appel s'est à tort fondée sur les éléments qui justifiaient les modifications apportées au PRV quand il lui appartenait de rechercher si les éléments prévus par ce plan qui permettaient la variation de la rémunération étaient objectifs et indépendants de la volonté de l'employeur ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a donc privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 devenu 1103 du code civil ;
2. ALORS subsidiairement QUE les juges doivent répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel (p. 11-12), l'employeur soutenait que dans les faits, l'évolution du plan de rémunération variable dépendait d'éléments objectifs indépendants de sa volonté puisque, comme cela résultait de la note qui avait été transmise au comité d'entreprise, elle dépendait des évolutions technologiques nombreuses et rapides du marché des systèmes d'impression destinés à la bureautique et des prestations de service associées ; qu'en se bornant à énoncer que la clause ne se contentait pas de permettre à l'employeur de modifier les objectifs assignés au salarié mais autorisait la modification de la structure même de son plan de rémunération variable et cela sans aucune limitation, apparaissant donc comme potestative, sans répondre au moyen de l'employeur, tiré de ce que le plan de rémunération variable évoluait en fonction des seules contraintes du marché qui s'imposaient à l'entreprise, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile