LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 novembre 2022
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1162 F-D
Pourvoi n° K 21-12.835
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 NOVEMBRE 2022
La société Ekip', société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], agisssant en qualité de mandataire ad'hoc de la société MMS Paga, a formé le pourvoi n° K 21-12.835 contre l'arrêt rendu le 12 novembre 2020 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale - section B), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Z] [M], domicilié [Adresse 1],
2°/ à M. [H] [N], domicilié [Adresse 3],
3°/ à l'association CGEA de [Localité 5], dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
M. [N] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société Ekip', ès qualités, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [N], de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [M], après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 12 novembre 2020), M. [N] a été engagé le 8 janvier 1990 en qualité de cuisinier par l'exploitant du restaurant "Chez Arlette", qui a cédé en 2004 le fonds de commerce à M. [M].
2. A compter du mois de mars 2013, M. [M] a donné son fonds en location-gérance à la société MMS Paga.
3. Par jugement du 10 septembre 2014, la société MMS Paga a été mise en liquidation judiciaire et la société [C] [L] désignée en qualité de liquidateur.
4. Le mandataire liquidateur a notifié au salarié, le 23 septembre 2014, son licenciement pour motif économique « à titre conservatoire ». Parallèlement, il a notifié à M. [M], le 15 septembre 2014, la résiliation du contrat de location-gérance du fonds de commerce.
5. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale en résiliation judiciaire de son contrat de travail et paiement de diverses indemnités. Le 3 mars 2015, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
6. Par jugement du 7 juin 2018, les opérations de liquidation judiciaire de la société MMS Paga ont été clôturées pour insuffisance d'actif et la société Ekip' désignée en qualité de mandataire ad'hoc.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. La société Ekip', ès qualités, fait grief à l'arrêt de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société MMS Paga une somme à titre de dommages-intérêts au profit du salarié pour non-respect des dispositions relatives au contrat de sécurisation professionnelle, alors « que le salarié doit justifier de l'existence d'un préjudice en cas d'absence de proposition par l'employeur du contrat de sécurisation professionnelle ; qu'en l'espèce, le salarié n'avait formulé aucune demande pour non-respect des dispositions relatives au contrat de sécurisation professionnelle et n'apportait donc aucun élément pour justifier d'un quelconque préjudice à ce titre ; qu'en retenant d'office que le défaut de proposition a nécessairement causé un préjudice au salarié, la cour d'appel a méconnu, outre le principe de la contradiction, les termes du litige et a ainsi violé les articles 4, 5 et 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
9. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
10. Pour fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société MMS Paga des dommages-intérêts pour non-respect des dispositions relatives au contrat de sécurisation professionnelle, l'arrêt, après avoir débouté le salarié de sa demande de dommages- intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, retient que l'intéressé, qui n'a pu bénéficier du contrat de sécurisation professionnelle inhérent à un licenciement pour motif économique en raison du refus du mandataire liquidateur qui est revenu sur sa décision initiale quant à la cause de la rupture, a subi un préjudice de ce fait qui sera réparé par une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.
11. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, le salarié ne présentait pas de demande pour non-respect des dispositions relatives au contrat de sécurisation professionnelle distincte de sa demande de dommages-intérêts au titre de la rupture du contrat de travail, ni n'invoquait le non-respect de ces dispositions au titre du défaut de remise des documents de fin de contrat, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
12. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que la partie qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs ; qu'en retenant que le salarié ne contestait ni la régularité, ni le bien-fondé du licenciement pour le débouter de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, cependant qu'il demandait la confirmation du jugement, dont les motifs révélaient que le licenciement ne répondait pas aux exigences de fond posées par les articles L. 1233-15 et L. 1233-16 du code du travail, la cour d'appel a violé l'article 954 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 455 et 954, alinéa 6, du code de procédure civile, ce dernier dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :
13. Selon le premier de ces textes, tout jugement doit être motivé.
14. Aux termes du second, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs.
15. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'il ne conteste pas la régularité et le bien-fondé du licenciement.
16. En statuant ainsi, sans répondre aux motifs du jugement dont le salarié demandait la confirmation, selon lesquels le licenciement notifié à titre conservatoire par le mandataire liquidateur ne satisfaisait pas aux exigences de fond posées par les articles L. 1233-15 et L. 1233-16 du code du travail, la cour d'appel a méconnu les exigences du premier des textes susvisés et violé le second.
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation du chef de dispositif fixant la créance du salarié au passif de la liquidation judiciaire de la société MMS Paga à une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour non-respect des dispositions relatives au contrat de sécurisation professionnelle n'emporte pas cassation du chef de dispositif de l'arrêt fixant sa créance à une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifié par d'autres condamnations prononcées à l'encontre du mandataire judiciaire et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe la créance de M. [N] au passif de la liquidation judiciaire de la société MMS Paga à la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect des dispositions relatives au contrat de sécurisation professionnelle et en ce qu'il le déboute de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 12 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat aux Conseils, pour la société Ekip', ès qualités, demanderesse au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
II.- La Selarl Ekip' fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la rupture du contrat de travail de M. [N] résulte du licenciement pour motif économique notifié par le mandataire liquidateur et fixé les créances de M. [N] au passif de la liquidation judiciaire de la société MMS Paga
ALORS QUE seul le propriétaire du fonds de commerce soutenait la ruine dudit fonds pour s'opposer au transfert du contrat de travail du salarié sans avoir fait valoir que le gérant de la société MMS PAGA, locataire gérant du fonds, ait été alcoolique ; qu'ainsi les parties étaient contraires sur un fait, l'état de ruine du fonds de commerce au moment de sa restitution ; qu'en retenant que « les parties conviennent, à cet égard, que la faillite du fonds du commerce était due à la gestion calamiteuse du locataire gérant qui souffrait d'un alcoolisme chronique et qui avait fait fuir la clientèle » la cour d'appel a méconnu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les conclusions.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IV.- La Selarl Ekip' fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société MMS Paga une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts au profit de M. [N] pour non-respect des dispositions relatives au contrat de sécurisation professionnelle
1°) ALORS QUE la cour d'appel a soulevé d'office le droit au bénéfice d'un contrat de sécurisation professionnelle inhérent à un licenciement pour motif économique, et violé ainsi le principe de la contradiction rappelé à l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE le salarié doit justifier de l'existence d'un préjudice en cas d'absence de proposition par l'employeur du contrat de sécurisation professionnelle ; qu'en l'espèce, le salarié n'avait formulé aucune demande pour non-respect des dispositions relatives au contrat de sécurisation professionnelle et n'apportait donc aucun élément pour justifier d'un quelconque préjudice à ce titre ; qu'en retenant d'office que le défaut de proposition a nécessairement causé un préjudice au salarié, la cour d'appel a méconnu, outre le principe de la contradiction, les termes du litige et a ainsi violé les articles 4, 5 et 16 du code de procédure civile.
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [N] demandeur au pourvoi incident
M. [N] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
ALORS QUE la partie qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs ; qu'en retenant que le salarié ne contestait ni la régularité, ni le bien-fondé du licenciement pour le débouter de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, cependant qu'il demandait la confirmation du jugement, dont les motifs révélaient que le licenciement ne répondait pas aux exigences de fond posées par les articles L. 1233-15 et L. 1233-16 du code du travail, la cour d'appel a violé l'article 954 du code de procédure civile.