LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 21-80.362 F-D
N° 01357
ECF
8 NOVEMBRE 2022
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 NOVEMBRE 2022
Mme [L] [I], épouse [M], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-5, en date du 25 novembre 2020, qui, dans la procédure suivie contre M. [O] [M] du chef de violences aggravées, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de Mme [L] [I], épouse [M], les observations de Me Haas, avocat de M. [O] [M], et les conclusions de M. Lesclous, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 22 février 2018, le tribunal correctionnel a relaxé M. [O] [M] des faits de violences aggravées sur Mme [L] [I], son épouse, et a débouté cette dernière de ses demandes de dommages et intérêts.
3. Mme [I] a relevé appel de cette décision, et sur le fondement d'une faute civile qui aurait été commise par M. [M], a sollicité que soit ordonnée une mesure d'expertise judiciaire ainsi que sa condamnation à lui verser la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle et 7 200 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, statuant sur l'action civile, décidé que M. [M] n'a pas commis, au préjudice de Mme [I], le délit de violences volontaires suivies d'incapacité n'excédant pas huit jours par conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, en a déduis l'absence de faute civile imputable à M. [M] et en conséquence, a débouté Mme [I] de sa demande de dommages-intérêts, alors :
« 1°/ que le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ; que n'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte ; que l'auteur d'un acte de violence volontaire n'est exonéré de sa responsabilité pénale, sur le fondement de la légitime défense, que s'il a agi en raison d'un danger certain ou vraisemblable ; qu'en se bornant à énoncer, pour décider que M. [M] avait agi en état de légitime défense en attrapant Mme [I] par les bras et en la poussant pour la tirer hors de son bureau, qu'il s'était enfermé dans cette pièce pour éviter un conflit, tandis qu'elle avait usé de la ruse pour le contraindre à lui ouvrir, puis de la force en plaçant sa jambe contre la porte pour y pénétrer, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs qui ne sont pas de nature à caractériser l'existence d'un danger certain ou vraisemblable qui aurait justifié une riposte de M. [M], a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 du code de procédure pénale et 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 122-5 du code pénal ;
2°/ qu'en énonçant, pour décider que M. [M] avait agi en état de légitime défense en attrapant Mme [I] par les bras et en la poussant pour la tirer hors de son bureau, qu'il déclarait avoir été giflé par cette dernière, ce qui était plausible au regard du contexte d'extrême excitation de son ex-épouse, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif hypothétique, a privé sa décision de motifs et de base légale au regard des articles 2 du code de procédure pénale et 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble les articles 593 du code de procédure pénale et 122-5 du code pénal ;
3°/ que le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ; que le fait justificatif de légitime défense suppose qu'il n'y ait pas de disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte subie ; qu'en se bornant à énoncer, pour décider que M. [M] avait agi en état de légitime défense, qu'en attrapant Mme [I] par les bras et en la poussant pour la tirer hors de son bureau, il avait agi de manière proportionnée à la violence manifestée par cette dernière, laquelle s'en était pris tant à sa personne qu'au matériel du service hospitalier, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'absence de proportion de la riposte de M. [M] tenait au fait qu'il ne déplorait aucune blessure tandis qu'elle avait entraîné chez Mme [I] d'importantes lésions médicalement constatées ayant donné lieu à une incapacité totale de travail de cinq jours, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 du code de procédure pénale et 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 122-5 du code pénal ;
4°/ que le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ; que le fait justificatif de légitime défense suppose qu'il n'y ait pas de disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte subie ; qu'en se bornant à énoncer, pour décider que M. [M] avait agi en état de légitime défense, qu'en attrapant Mme [I] par les bras et en la poussant pour la tirer hors de son bureau, il avait agi de manière proportionnée à la violence manifestée par cette dernière, laquelle s'en était pris tant à sa personne qu'au matériel du service hospitalier, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, en outre, M. [M] avait violemment frappé Mme [I] au moyen de la porte du bureau, celle-ci ayant placé sa jambe dans l'ouverture, provoquant ainsi d'importantes lésions médicalement constatées ayant donné lieu à une incapacité totale de travail de cinq jours, et si cet acte n'était pas proportionné à l'atteinte qu'il prétendait avoir subie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 du code de procédure pénale et 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 122-5 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
5. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
6. Pour rejeter les demandes de Mme [I], l'arrêt attaqué retient qu'aux termes d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation suite à un arrêt de principe rendu le 31 mai 1972 par la chambre criminelle, la légitime défense de soi-même exclut toute faute et ne peut donner lieu à une action en dommages-intérêts en faveur de celui qui l'a rendue nécessaire par son agression ; qu'en l'espèce c'est explicitement que le premier juge est entré en voie de relaxe au visa des dispositions de l'article 122-5 du code pénal caractérisant l'état de légitime défense dans lequel s'est trouvé M. [M].
7. Les juges en concluent que les prétentions de Mme [I] ne peuvent donc prospérer.
8. En se déterminant ainsi, sans s'assurer ainsi qu'il lui était demandé, que le prévenu relaxé avait réagi de manière nécessaire et proportionnée à une attaque préalable et injustifiée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
9. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 25 novembre 2020, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit novembre deux mille vingt-deux.