LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation
Mme VALLANSAN, conseiller le plus
ancien faisant fonction de président
Arrêt n° 632 F-D
Pourvoi n° H 21-17.202
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 OCTOBRE 2022
M. [M] [J], domicilié [Adresse 2], agissant en qualité de président des sociétés Travel Développement, Consult Voyages, Antipodes Voyages et Destinations Privilège, a formé le pourvoi n° H 21-17.202 contre l'arrêt rendu le 11 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant à la société [P] [E], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de Mme [H] [P], prise en qualité de liquidateur judiciaire des sociétés Travel Développement, Consult Voyages, Antipodes Voyages et Destinations Privilège, défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de M. [J], ès qualités, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société [P] [E], ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présentes Mme Vallansan, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 mars 2021), les sociétés Consult Voyages, Antipodes Voyages, Travel Développement et Destinations Privilège ont été mises en liquidation judiciaire avec réunion des patrimoines actifs et passifs le 30 décembre 2014, la société [P] [E] étant désignée liquidateur.
2. Par un acte du 5 décembre 2017, le liquidateur a assigné le dirigeant de ces sociétés, M. [J], en responsabilité pour insuffisance d'actif devant un tribunal de commerce.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
3. M. [J] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de nullité de l'assignation du 5 décembre 2017 et du jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 9 avril 2019 et, en conséquence, de le condamner à payer à la société [P] [E], en qualité de liquidateur des sociétés Consult Voyages, Antipodes Voyages, Travel Développement et Destinations Privilège, la somme de 250 000 euros alors :
« 1°/ que l'assignation du dirigeant devant le tribunal de commerce doit mentionner à peine de nullité la faculté qu'il a de se faire assister ou représenter par toute personne de son choix ; que dès lors, en affirmant que le fait que l'assignation ne vise que l'assistance par un avocat et non la représentation par un avocat ne constitue pas une cause de nullité de l'assignation, la cour d'appel a violé les articles 56, 853, 855 du code de procédure civile dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce, ensemble l'article R. 561-2 (en réalité R. 651-2) du code de commerce ;
2°/ que devant le tribunal de commerce, si les parties peuvent se défendre elles-mêmes, elles ont le faculté de se faire assister ou représenter par toute personne de leur choix ; que la cour d'appel a constaté que l'assignation ne faisait référence qu'à la faculté pour M. [J] d'être assisté par son conseil et ne mentionnait pas la possibilité de se faire représenter ; que dès lors, en affirmant que l'assignation était conforme au droit commun, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a derechef violé les articles 56, 853, 855 du code de procédure civile dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce, ensemble l'article R. 561-2 (en réalité R. 651-2) du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 56, 853, 855 du code de procédure civile, ces derniers dans leur rédaction antérieure au décret du 11 décembre 2019, et l'article R. 651-2 du code de commerce :
4. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'assignation par laquelle un tribunal de commerce est saisi pour l'application de l'article L. 651-2 du code de commerce doit, à peine de nullité, mentionner la faculté pour le dirigeant de se faire assister ou représenter par toute personne de son choix.
5. Pour rejeter la demande de nullité de l'assignation de M. [J], l'arrêt retient que le fait que l'assignation ne vise que l'assistance par un avocat et non la représentation par un avocat ne constitue pas une cause de nullité de l'assignation.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
7. M. [J] fait le même grief à l'arrêt, alors « que les juges ne peuvent dénaturer les écrits clairs et précis qui leur sont soumis ; que dans ses conclusions d'appel, M. [J] indiquait : "Il tient cependant à préciser à la Cour que le ministère public a repris, dans sa démonstration, une affirmation inexacte de la SELARL [P] [E]. En effet, le Ministère public indique qu'"il semblerait que l'intéressé avait une connaissance de la représentation devant le tribunal de commerce puisqu'il était représenté lors de l'audience en report de la date de cessation des paiements et que lors de la procédure de sanction, il avait missionné son conseil habituel M. [W] pour le représenter et qui a dans un premier temps sollicité un renvoi". Or, tout d'abord, si M. [J] a pu être représenté lors de l'audience en report de la date de cessation des paiements, cela n'implique pour autant pas qu'il aurait dû ou pu "deviner" de lui-même les conditions dans lesquelles il pouvait se faire assister ou représenter dans la présente procédure dite de "sanctions" comme le présente l'assignation querellée. D'ailleurs, si la loi prévoit certaines mentions obligatoires pour les actes extrajudiciaires introductifs d'instance, c'est bien pour éviter tout écueil en matière de respect des droits de la défense. Ensuite, il est parfaitement faux d'affirmer, sans aucune preuve versée aux débats, que M. [J] aurait "missionné son conseil habituel pour le représenter et qui a dans un premier temps sollicité un renvoi". En effet, M. [J] n'a jamais été mis en mesure de missionner un conseil pour l'audience du 22 janvier 2018 aux fins de solliciter un renvoi puisque l'assignation ne mentionne pas cette faculté de se faire représenter par un avocat. M. [J] verse aux débats d'appel l'avis d'injonction de se mettre en état de plaider pour l'audience du 12 mars 2018 reçu du greffe à la suite de l'audience du 22 janvier 2018. Cet avis mentionne expressément que la partie défenderesse était "non comparante", autrement dit, ni présente ni représentée à l'audience du 22 janvier 2018. Pour toutes ces raisons, la Cour doit nécessairement constater que ce défaut de mention a bien fait grief à M. [J] et, en conséquence, juger nulle l'assignation du 5 décembre 2017" ; que dès lors en affirmant que "la rédaction de l'assignation n'a pas causé de grief à M. [J], lequel indique dans ses conclusions que lors du premier appel de cette instance devant le tribunal de commerce, il s'est fait représenter par un avocat pour solliciter le report de l'audience", la cour d'appel a dénaturé les conclusions claires et précises de M. [J], qui contestait expressément avoir missionné un avocat pour le représenter afin de solliciter un report de l'audience, violant par-là le principe susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
8. Pour rejeter la demande de nullité de l'assignation du 5 décembre 2017, l'arrêt retient que le défaut de mention de la possibilité qu'il avait d'être représenté n'a pas causé de grief à M. [J], lequel indiquait dans ses conclusions qu'il s'était fait représenter par un avocat pour demander le report de l'audience lors du premier appel de cette instance devant le tribunal de commerce.
9. En statuant ainsi, alors que les conclusions d'appel de M. [J], qui ne présentaient aucune ambiguïté, déniaient expressément que cette affirmation du ministère public, reprenant celle du liquidateur, soit exacte, et précisaient qu'elle était faite sans aucune preuve, qu'il n'avait jamais été mis en mesure de mandater un conseil aux fins de demander un renvoi faute pour l'assignation de mentionner cette faculté de représentation et qu'il versait aux débats l'avis d'injonction de se mettre en état pour l'audience du 12 mars 2018 reçu du greffe à la suite de l'audience du 22 janvier 2018 et mentionnant qu'il était non comparant, c'est-à-dire ni présent, ni représenté, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
10. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le rejet de la demande de nullité de l'assignation du 5 décembre 2017 et du jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 9 avril 2019 entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif de l'arrêt relatif à la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité pour insuffisance d'actif de M. [J] et en ce qu'infirmant le jugement sur le montant de la condamnation, il a condamné ce dernier à payer à la société [P] [E], ès qualités, la somme de 250 000 euros.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société [P] [E], en qualité de liquidateur des sociétés Travel Développement, Consult Voyages, Antipodes Voyages et Destinations Privilège, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat aux Conseils, pour M. [J], agissant en qualité de président des sociétés Travel Développement, Consult Voyages, Antipodes Voyages et Destinations Privilège.
Monsieur [J] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande de nullité de l'assignation du 5 décembre 2017 et du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 9 avril 2019 et de l'avoir en conséquence condamné à payer à la SELARL [P]-[E], prise en la personne de Me [P], ès-qualités de mandataire judiciaire liquidateur des sociétés SA Consult Voyages, SA Antipodes Voyages, SAS Travel Développement et SARLU Destinations Privilège la somme de 250 000 € ;
1°) ALORS QUE l'assignation du dirigeant devant le tribunal de commerce doit mentionner à peine de nullité la faculté qu'il a de se faire assister ou représenter par toute personne de son choix ; que dès lors, en affirmant que le fait que l'assignation ne vise que l'assistance par un avocat et non la représentation par un avocat ne constitue pas une cause de nullité de l'assignation (arrêt, p. 4), la cour d'appel a violé les articles 56, 853, 855 du Code de procédure civile dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce, ensemble l'article R. 561-2 du Code de commerce ;
2°) ALORS QUE devant le tribunal de commerce, si les parties peuvent se défendre elles-mêmes, elles ont le faculté de se faire assister ou représenter par toute personne de leur choix ; que la cour d'appel a constaté que l'assignation ne faisait référence qu'à la faculté pour M. [J] d'être assisté par son conseil et ne mentionnait pas la possibilité de se faire représenter ; que dès lors, en affirmant que l'assignation était conforme au droit commun (arrêt, p. 4), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a derechef violé les articles 56, 853, 855 du Code de procédure civile dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce, ensemble l'article R. 561-2 du Code de commerce ;
3°) ALORS QUE les juges ne peuvent dénaturer les écrits clairs et précis qui leur sont soumis ; que dans ses conclusions d'appel, M. [J] indiquait : « Il tient cependant à préciser à la Cour que le Ministère public a repris, dans sa démonstration, une affirmation inexacte de la SELARL [P]-[E]. En effet, le Ministère public indique qu'« il semblerait que l'intéressé avait une connaissance de la représentation devant le tribunal de commerce puisqu'il était représenté lors de l'audience en report de la date de cessation des paiements et que lors de la procédure de sanction, il avait missionné son conseil habituel Me [W] pour le représenter et qui a dans un premier temps sollicité un renvoi ». Or, tout d'abord, si Monsieur [J] a pu être représenté lors de l'audience en report de la date de cessation des paiements, cela n'implique pour autant pas qu'il aurait dû ou pu « deviner » de lui-même les conditions dans lesquelles il pouvait se faire assister ou représenter dans la présente procédure dite de « sanctions » comme le présente l'assignation querellée. D'ailleurs, si la loi prévoit certaines mentions obligatoires pour les actes extrajudiciaires introductifs d'instance, c'est bien pour éviter tout écueil en matière de respect des droits de la défense. Ensuite, il est parfaitement faux d'affirmer, sans aucune preuve versée aux débats, que Monsieur [J] aurait « missionné son conseil habituel pour le représenter et qui a dans un premier temps sollicité un renvoi ». En effet, Monsieur [J] n'a jamais été mis en mesure de missionner un conseil pour l'audience du 22 janvier 2018 aux fins de solliciter un renvoi puisque l'assignation ne mentionne pas cette faculté de se faire représenter par un avocat. Monsieur [J] verse aux débats d'appel l'avis d'injonction de se mettre en état de plaider pour l'audience du 12 mars 2018 reçu du greffe à la suite de l'audience du 22 janvier 2018. Cet avis mentionne expressément que la partie défenderesse était « non comparante », autrement dit, ni présente ni représentée à l'audience du 22 janvier 2018 (Pièce n° 14). Pour toutes ces raisons, la Cour doit nécessairement constater que ce défaut de mention a bien fait grief à Monsieur [J] et, en conséquence, juger nulle l'assignation du 5 décembre 2017. » (conclusions d'appel de M. [J], p. 8) ; que dès lors en affirmant que « la rédaction de l'assignation n'a pas causé de grief à M. [J], lequel indique dans ses conclusions que lors du premier appel de cette instance devant le tribunal de commerce, il s'est fait représenter par un avocat pour solliciter le report de l'audience » (arrêt, p. 4), la cour d'appel a dénaturé les conclusions claires et précises de M. [J], qui contestait expressément avoir missionné un avocat pour le représenter afin de solliciter un report de l'audience, violant par là le principe susvisé.