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19/10/2022 | FRANCE | N°21-20410

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 19 octobre 2022, 21-20410


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 19 octobre 2022

Cassation partielle

M. SOMMER, président

Arrêt n° 1104 FS-D

Pourvoi n° U 21-20.410

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 OCTOBRE 2022

M. [O] [M], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 21-20.410

contre l'arrêt rendu le 18 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6 - chambre 11), dans le litige l'opposant à la Régie autonome des tran...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 19 octobre 2022

Cassation partielle

M. SOMMER, président

Arrêt n° 1104 FS-D

Pourvoi n° U 21-20.410

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 OCTOBRE 2022

M. [O] [M], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 21-20.410 contre l'arrêt rendu le 18 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6 - chambre 11), dans le litige l'opposant à la Régie autonome des transports parisiens, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La Régie autonome des transports parisiens a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Marguerite, conseiller référendaire, les observations de Me Ridoux, avocat de M. [M], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Régie autonome des transports parisiens, et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 septembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Marguerite, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, M. Pietton, Mme Le Lay, MM. Barincou, Seguy, Mme Grandemange, conseillers, M. Le Corre, Mme Prieur, M. Carillon, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 mai 2021) et les productions, M. [M] a été engagé, le 2 novembre 2017, en qualité d'élève conducteur de métro par la Régie autonome des transports parisiens (RATP). Après que celle-ci a demandé au ministère de l'intérieur une enquête sur la compatibilité du comportement du salarié avec cette fonction, sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, il a été licencié le 12 mars 2018 au motif de l'avis d'incompatibilité émis par le ministre.

2. Par un arrêt du 22 septembre 2020, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté la demande d'annulation de l'avis d'incompatibilité formée par le salarié.

3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir l'annulation du licenciement et sa réintégration et, à titre subsidiaire, pour que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes de nullité du licenciement, de réintégration dans son emploi, de condamnation de la RATP à lui payer son salaire depuis la date de son licenciement jusqu'à sa réintégration, de remise des bulletins de salaire afférents, et de dommages-intérêts pour préjudice moral, alors « qu'est nul tout licenciement prononcé en violation d'une liberté ou d'un droit fondamental ; que le droit du salarié à un recours effectif en cas de licenciement pour incompatibilité révélée à l'issue d'une enquête préalable de sécurité est garanti par l'obligation de notification à l'intéressé, préalablement au licenciement, d'un avis d'incompatibilité motivé, par la faculté de recours du salarié contre cet avis, et par le caractère suspensif de ce recours ; qu'il s'ensuit qu'est nul, comme portant atteinte au droit du salarié à un recours effectif, le licenciement prononcé sur le fondement d'un avis d'incompatibilité non motivé, qui n'a pas été notifié au salarié, et dont ce dernier n'a pu contester la légalité avant le licenciement ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, et les articles L. 1121-1 et L. 1235-3-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article L. 1235-3-1 du code du travail et l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa version issue de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 :

5. Selon le deuxième de ces textes, est nul le licenciement intervenu en violation de la liberté fondamentale d'agir en justice.

6. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, les décisions de recrutement et d'affectation concernant les emplois en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes peuvent être précédées d'enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées.

7. Aux termes du deuxième alinéa de cet article, si le comportement d'une personne occupant un emploi mentionné au premier alinéa laisse apparaître des doutes sur la compatibilité avec l'exercice des missions pour lesquelles elle a été recrutée ou affectée, une enquête administrative peut être menée à la demande de l'employeur ou à l'initiative de l'autorité administrative.

8. Le septième alinéa de cet article dispose que, lorsque le résultat d'une enquête réalisée en application du deuxième alinéa fait apparaître que le comportement du salarié concerné est incompatible avec l'exercice des missions pour lesquelles il a été recruté ou affecté, l'employeur lui propose un emploi autre que ceux mentionnés au premier alinéa et correspondant à ses qualifications et, en cas d'impossibilité de procéder à un tel reclassement ou en cas de refus du salarié, l'employeur engage à son encontre une procédure de licenciement, l'incompatibilité constituant la cause réelle et sérieuse du licenciement.

9. Selon le neuvième alinéa de cet article, dans le cas d'un avis d'incompatibilité émis par l'autorité administrative à la suite d'une enquête administrative menée sur le fondement du deuxième alinéa de cet article, le salarié peut contester, devant le juge administratif, l'avis de l'autorité administrative dans un délai de quinze jours à compter de sa notification et, de même que l'autorité administrative, interjeter appel puis se pourvoir en cassation dans le même délai. Les juridictions saisies au fond statuent dans un délai de deux mois. La procédure de licenciement ne peut être engagée tant qu'il n'a pas été statué en dernier ressort sur ce litige.

10. Il en résulte, d'une part, que l'avis d'incompatibilité émis sur le fondement du premier alinéa de ce texte a pour seul effet de faire obstacle à l'affectation de la personne concernée sur le poste envisagé mais ne peut justifier un licenciement, une telle mesure n'étant autorisée que sur le fondement d'un avis d'incompatibilité délivré en application du deuxième alinéa, à l'issue du recours spécifique exercé le cas échéant par l'intéressé et, d'autre part, que la saisine de l'administration par l'employeur sur un fondement qui ne correspond pas au statut du salarié, constitutive d'un détournement de procédure privant ce dernier du recours suspensif prévu par le texte susvisé, rend le licenciement nul.

11. Pour rejeter la demande de nullité du licenciement, l'arrêt, après avoir constaté que la lettre de licenciement reposait, non pas sur les dispositions de l'article 47 du statut de la RATP, mais sur le seul avis d'incompatibilité émis par l'administration en application du premier alinéa de l'article L. 114-2, retient d'abord que le salarié, élève conducteur de métro, candidat à un emploi au cadre permanent, bénéficiait certes d'un statut de stagiaire pendant une année mais était néanmoins titulaire d'un contrat de travail et occupait déjà un emploi, ce dont il résultait que l'enquête sollicitée par la RATP ne correspondait pas à la situation de l'intéressé et ne relevait pas des dispositions applicables avant recrutement, de sorte que la RATP ne pouvait prononcer son licenciement en raison de l'avis d'incompatibilité sans avoir préalablement recherché une possibilité de reclassement dans un autre emploi.

12. Il ajoute qu'il ne saurait pour autant être soutenu que l'intéressé a été privé du droit d'exercer un recours effectif et de contester l'avis émis par le ministre de l'intérieur, puisqu'il a exercé à la fois le recours gracieux devant le ministre en sollicitant le retrait de la décision puis a contesté la décision de refus qui lui a été opposée devant le tribunal administratif et a pu également faire valoir ses droits devant la cour administrative d'appel, tout en contestant également son licenciement devant la juridiction prud'homale.

13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'employeur avait saisi l'administration sur un fondement qui ne correspondait pas au statut du salarié et ainsi privé celui-ci du recours suspensif prévu au neuvième alinéa de l'article susvisé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. La cassation de l'arrêt des chefs critiqués entraîne, par voie de conséquence, cassation des chefs de dispositif disant le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamnant l'employeur à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [M] de ses demandes de nullité du licenciement, de réintégration dans son emploi, de condamnation de la RATP à lui payer son salaire depuis la date de son licenciement jusqu'à sa réintégration, de remise des bulletins de salaire afférents, de dommages-intérêts pour préjudice moral, dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamne l'établissement public industriel et commercial RATP à lui payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, l'arrêt rendu le 18 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la RATP aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la RATP et la condamne à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf octobre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyen produit par Me Ridoux, avocat aux Conseils, pour M. [M], demandeur au pourvoi principal

M. [M] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué de L'AVOIR débouté de ses demandes de nullité du licenciement, de réintégration dans son emploi, de condamnation de l'Epic RATP à lui payer son salaire depuis la date de son licenciement jusqu'à sa réintégration, de remise des bulletins de salaire afférents, et de dommages intérêts pour préjudice moral ;

ALORS QU'est nul tout licenciement prononcé en violation d'une liberté ou d'un droit fondamental ; que le droit du salarié à un recours effectif en cas de licenciement pour incompatibilité révélée à l'issue d'une enquête préalable de sécurité est garanti par l'obligation de notification à l'intéressé, préalablement au licenciement, d'un avis d'incompatibilité motivé, par la faculté de recours du salarié contre cet avis, et par le caractère suspensif de ce recours ; qu'il s'ensuit qu'est nul, comme portant atteinte au droit du salarié à un recours effectif, le licenciement prononcé sur le fondement d'un avis d'incompatibilité non motivé, qui n'a pas été notifié au salarié, et dont ce dernier n'a pu contester la légalité avant le licenciement ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, et les articles L. 1121-1 et L. 1235-3-1 du code du travail.

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la Régie autonome des transports parisiens, demanderesse au pourvoi incident

L'EPIC RATP fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de M. [M] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de l'AVOIR condamné à payer à M. [M] la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

1. ALORS QUE selon l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, les entreprises de transport public de personnes peuvent solliciter la réalisation d'une enquête administrative soit au moment du recrutement ou de l'affectation d'une personne sur un emploi en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens, soit si le comportement d'une personne occupant l'un des emplois précités fait apparaître des doutes sur la compatibilité avec l'exercice des missions pour lesquelles elle a été recrutée ou affectée ; que, dans la seconde hypothèse, en cas d'avis d'incompatibilité, l'employeur propose au salarié un autre emploi et, en cas d'impossibilité de procéder à son reclassement ou en cas de refus du salarié, prononce son licenciement en raison de cet avis d'incompatibilité ; que, selon les articles 8, 12 et 16 du statut du personnel de la RATP, l'embauche (ou « commissionnement ») d'un agent dans le cadre permanent de la RATP est précédée d'une période de stage d'une durée de 12 mois pendant laquelle le candidat admis au stage suit une formation et voit ses qualités et aptitudes évaluées en vue de l'admission dans le cadre permanent ; qu'il en résulte que l'agent en période de stage reste candidat a un poste et n'est effectivement recrute qu'au moment de son admission dans le cadre permanent, de sorte que l'enquête administrative sollicitée avant l'entrée d'un agent stagiaire dans le cadre permanent de la RATP relève des enquêtes administratives réalisées au moment du recrutement ; qu'en affirmant cependant que « le candidat a un emploi au cadre permanent bénéficie certes d'un statut de stagiaire pendant une année mais est néanmoins titulaire d'un contrat de travail et occupe un poste de ''stagiaire'' », pour retenir que l'enquête sollicitée a l'égard de M. [M], qui était alors stagiaire, ne relevait pas des dispositions applicables « avant recrutement » et qu'en conséquence la RATP ne pouvait prononcer son licenciement en raison de l'avis d'incompatibilité émis par l'administration sans avoir préalablement recherche une possibilité de reclassement dans un autre emploi, la cour d'appel a viole les articles L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, ensemble les articles 8, 12 et 16 du statut du personnel de la RATP ;

2. ALORS QU' aux termes de l'article 47 du statut du personnel de la RATP, « tout stagiaire peut être licencié en cours ou en fin de stage (?) si les autorités de contrôle refusent, en raison de condamnations judiciaires encourues, la délivrance des permis ou autorisations nécessaires pour assurer son service (?) [et] s'il est décidé de ne pas le commissionner », c'est-à-dire de l'intégrer dans le cadre permanent ; qu'il en résulte qu'en présence d'un avis d'incompatibilité du salarié à un poste en lien avec la sécurité des personnes et des biens, émis par l'administration, la RATP peut décider de ne pas l'intégrer dans le cadre permanent et de rompre sa période de stage, en respectant la procédure de licenciement ; qu'en affirmant que l'article 47 du statut ne permet pas à la RATP de rompre le contrat de travail d'un agent stagiaire, pendant la période de stage, en raison d'un avis d'incompatibilité résultant des dispositions du code de la sécurité intérieure, la cour d'appel a violé l'article 47 du statut du personnel de la RATP, ensemble l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21-20410
Date de la décision : 19/10/2022
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 18 mai 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 19 oct. 2022, pourvoi n°21-20410


Composition du Tribunal
Président : M. Sommer (président)
Avocat(s) : Me Ridoux, SCP Célice, Texidor, Périer

Origine de la décision
Date de l'import : 25/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:21.20410
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