LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 octobre 2022
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 721 F-D
Pourvoi n° K 21-16.055
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 OCTOBRE 2022
La société Avi Invest, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 21-16.055 contre l'arrêt rendu le 7 avril 2021 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Fredolivia, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Echappé, conseiller doyen, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Avi Invest, de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société Fredolivia, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Echappé, conseiller doyen rapporteur, M. David, conseiller, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 7 avril 2021), l'indemnité d'éviction due par la société Avi Invest (la bailleresse) à la société Fredolivia (la locataire) évincée des locaux, à défaut de renouvellement du bail commercial, le 20 juillet 2009, a été fixé par un arrêt irrévocable du 1er décembre 2016.
2. La bailleresse, après avoir signifié cet arrêt le 30 janvier 2018, a notifié, le 13 avril 2018, la mise sous séquestre de la somme de 602 303,74 euros au titre de l'indemnité d'éviction.
3. Le 19 juillet 2018, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la bailleresse a rappelé à la preneuse qu'elle aurait dû quitter les lieux, le 13 juillet 2018, soit dans les trois mois de la séquestration de l'indemnité d'éviction.
4. Se prévalant de la sanction attachée à ce manquement, la bailleresse a assigné la locataire pour obtenir restitution entre ses mains du montant de la somme séquestrée. A titre reconventionnel, la locataire a sollicité le versement à son profit de la somme séquestrée à hauteur de 575 608,91 euros.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, qui est préalable
Enoncé du moyen
5. La bailleresse fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande de la locataire, alors « que le taux majoré de l'intérêt légal n'est applicable qu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de condamnation a été notifiée ; qu'il était constant en l'espèce que l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 1er décembre 2016 fixant le montant de l'indemnité d'éviction due par la société Fredolivia avait été signifié le 30 janvier 2018 ; qu'il en résultait que le taux majoré ne s'appliquait qu'à compter de cette date ; qu'en énonçant, pour dire que la société Avi Invest n'avait pas séquestré la totalité de la somme revenant à la société Fredolivia au titre de l'indemnité d'éviction, et écarter la retenue de 1 % prévue à l'article L. 145-30 du code de commerce, que l'intérêt au taux légal était dû de plein droit à compter du 1er décembre 2016, avec une majoration au bout de deux mois soit le 1er février 2017, et que la société Avi Invest avait fait abstraction des intérêts dans son calcul, peu important le caractère le cas échéant minime in fine du
différentiel avec la somme effectivement due à la société Fredolivia, la cour d'appel a violé l'article 503 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 313-3 du code monétaire et financier et L. 145-30 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
6. Ayant retenu, à bon droit, que l'intérêt au taux légal avait couru dès l'arrêt, exécutoire dès son prononcé, ayant fixé l'indemnité d'éviction et, qu'en application de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier, ce taux avait été majoré de cinq points à l'expiration de deux mois, la cour d'appel en a exactement déduit qu'était applicable, à compter du 1er décembre 2016, l'intérêt au taux légal et, à compter du 1er février 2017, l'intérêt au taux majoré.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La bailleresse fait le même grief à l'arrêt alors : « qu'en cas de non remise des clés par le preneur dans les délais impartis, et après mise en demeure, le séquestre retient 1 % par jour de retard sur le montant de l'indemnité ; que la cour d'appel a constaté que la société Avi Invest avait séquestré une somme de 602 303,74 euros, tandis que la société Fredolivia réclamait seulement la somme de 575 608,91 euros au titre du solde de l'indemnité d'éviction lui revenant ; qu'en considérant cependant, pour écarter la retenue de 1 %, que la société Avi Invest n'avait pas séquestré l'intégralité des sommes dues au 12 avril 2018 à la société Fredolivia, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, et violé par refus d'application l'article L. 45-30 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 145-29 et L. 145-30 du code de commerce :
9. Il résulte de ces textes, qu'à défaut de remise des clefs à la date fixée et passé le délai de trois mois à compter de la notification au locataire du versement de l'indemnité d'éviction à un séquestre, celui-ci retient 1 % par jour de retard sur le montant de l'indemnité et restitue cette retenue au bailleur sur sa seule quittance.
10. Il s'en évince que cette retenue ne peut s'appliquer que si, à la date de la notification au preneur du versement au séquestre, la somme séquestrée couvre l'intégralité de l'indemnité d'éviction, en principal et accessoires.
11. Pour écarter l'application de la retenue de 1 %, l'arrêt retient que la bailleresse n'a pas séquestré l'intégralité de la somme due, en principal et intérêts.
12. En se déterminant ainsi, après avoir relevé que la bailleresse avait déposé entre les mains du séquestre une somme de 602 303,74 euros, sans préciser ni rechercher quel était le montant de l'indemnité d'éviction, en principal et accessoires, restant effectivement dû au jour où le dépôt avait été accompli, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Aix-en-Provence ;
Condamne la société Fredolivia aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Avi Invest
La société Avi Invest fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit recevable et bien fondée la demande de la société Fredolivia en paiement, au titre de l'indemnité d'éviction, de la somme de 575 608,91 euros séquestrée depuis le 12 avril 2018 avec intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 2018 ;
1) ALORS QU'en cas de non remise des clés par le preneur dans les délais impartis, et après mise en demeure, le séquestre retient 1% par jour de retard sur le montant de l'indemnité ; que la cour d'appel a constaté que la société Avi Invest avait séquestré une somme de 602 303,74 euros, tandis que la société Fredolivia réclamait seulement la somme de 575 608,91 euros au titre du solde de l'indemnité d'éviction lui revenant ; qu'en considérant cependant, pour écarter la retenue de 1%, que la société Avi Invest n'avait pas séquestré l'intégralité des sommes dues au 12 avril 2018 à la société Fredolvcia, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, et violé par refus d'application l'article L.145-30 du code de commerce ;
2) ALORS QUE le taux majoré de l'intérêt légal n'est applicable qu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de condamnation a été notifiée ; qu'il était constant en l'espèce que l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 1er décembre 2016 fixant le montant de l'indemnité d'éviction due par la société Fredolivia avait été signifié le 30 janvier 2018 ; qu'il en résultait que le taux majoré ne s'appliquait qu'à compter de cette date ; qu'en énonçant, pour dire que la société Avi Invest n'avait pas séquestré la totalité de la somme revenant à la société Fredolivia au titre de l'indemnité d'éviction, et écarter la retenue de 1% prévue à l'article L. 145-30 du code de commerce, que l'intérêt au taux légal était dû de plein droit à compter du 1er décembre 2016, avec une majoration au bout de deux mois soit le 1er février 2017, et que la société Avi Invest avait fait abstraction des intérêts dans son calcul, peu important le caractère le cas échéant minime in fine du différentiel avec la somme effectivement due à la société Fredolivia, la cour d'appel a violé l'article 503 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 313-3 du code monétaire et financier et L.145-30 du code de commerce ;
3) ALORS EN TOUT ETAT DE CAUSE qu'en cas de non remise des clés par le preneur dans les délais impartis, et après mise en demeure, le séquestre retient 1 % par jour de retard sur le montant de l'indemnité ; qu'en se bornant à énoncer, pour écarter la retenue de 1%, que la société Avi Invest avait fait abstraction des intérêts dans son calcul et n'avait pas séquestré l'intégralité des sommes dues au 12 avril 2018 à la société Fredolivia, sans préciser quelle était précisément la somme due à cette date, au regard notamment des indemnités d'occupation dont restait redevable la société Fredolivia et qui devaient venir en compensation de sa créance d'indemnité d'éviction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.145-30 du code de commerce.