LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 octobre 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 695 F-D
Pourvoi n° V 21-18.640
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 OCTOBRE 2022
La société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° V 21-18.640 contre l'arrêt rendu le 7 avril 2021 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [S] [X], domicilié [Adresse 5],
2°/ à Mme [W] [U]-[E], divorcée [X], domiciliée [Adresse 1],
3°/ à la société Fondabat, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La société Fondabat a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société MAAF assurances, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [X] et de Mme [U]-[E], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD, de la SCP Spinosi, avocat de la société Fondabat, après débats en l'audience publique du 6 septembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 7 avril 2021), en 2003, à la suite d'une période de sécheresse, M. [X] et Mme [U]-[E] (les maîtres de l'ouvrage), assurés auprès de la société MACIF, ont constaté des fissures dans leur maison d'habitation, qu'ils avaient fait construire en 1987.
2. En 2007, ils ont fait réaliser des travaux de reprise, sous la maîtrise d'oeuvre de la société Ceba, assurée auprès de la société MAAF assurances (la MAAF), par la société Fondabat, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa).
3. Se plaignant de désordres, les maîtres de l'ouvrage ont, après expertise, assigné en indemnisation les locateurs d'ouvrage et leurs assureurs.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner à la cassation.
Sur le moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. La société MAAF fait grief à l'arrêt de la condamner en qualité d'assureur de la société Fondabat, sur le fondement de la garantie décennale, in solidum avec la société Fondabat et son assureur la société Axa, à payer aux maîtres de l'ouvrage la somme de 146 712,84 euros au titre de la reprise des travaux, déduction faite des sommes dues pour solde du marché par les consorts [X]-[U] [E] et la somme de 2 000 euros au titre du préjudice matériel, alors :
« 1°/ que le défaut de réponse aux conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que les désordres et non-conformités apparents sont couverts par une réception sans réserve ; que la garantie décennale n'est pas applicable aux vices faisant l'objet de réserves lors de la réception, ces vices étant alors couverts par la garantie de parfait achèvement ; que dans ses conclusions d'appel, la MAAF faisait valoir que la garantie décennale n'était pas mobilisable pour des désordres réservés et/ou apparents à la réception et qu'il résultait de la lettre des maîtres de l'ouvrage du 14 avril 2008 qu'ils avaient connaissance des désordres litigieux depuis un rendez-vous de chantier du 12 mars 2008, soit un mois avant la date de la réception tacite du 11 avril 2018 retenue par la cour d'appel ; qu'en omettant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel, qui a elle-même assimilé les critiques des travaux formulées dans la lettre du 14 avril 2008 à des « réserves » émises dans le cadre d'une réception tacite et qui a indemnisé les maîtres de l'ouvrage au vu notamment des vices dénoncés dans cette lettre (manque de fer à béton dans certaines longrines), a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que seuls relèvent de la garantie décennale, les désordres compromettant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination et qui sont apparus dans le délai d'épreuve de dix ans à compter de la réception ; que pour retenir la responsabilité décennale de la société Fondabat et par suite la garantie de la MAAF en sa qualité d'assureur décennal de celle-ci, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que selon l'expert, les travaux de confortement réalisés par la société Fondabat tendant à reprendre des fissures apparues après un épisode de sécheresse climatique, qui étaient affectés de malfaçons, n'atteignaient pas leur finalité et qu'il existait « un risque par exemple en cas de nouvelle sécheresse » que de nouveaux tassements se produisent, tassements qui « pourront affecter la structure de la maison », et qu'ainsi le « dommage naissait des malfaçons objectives » qui compromettaient la solidité de l'ouvrage ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, dont les constatations ne permettent pas de caractériser une atteinte à la solidité de l'ouvrage ou une impropriété à sa destination survenue dans le délai d'épreuve qui expirait le 11 avril 2018, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et suivants du code civil. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a relevé que la cause des désordres n'avait été établie, par l'expert judiciaire, qu'à la suite de sondages et de piochages, et retenu que les reprises en sous-oeuvre par micropieux étaient imparfaites, alors que les charges n'étaient pas transmises totalement aux micro-pieux en raison de l'absence des armatures de liaison et des défauts de matage, qu'aucun dispositif n'avait été mis en oeuvre pour s'exonérer des efforts parasites de retrait et que certaines positions des armatures principales de longrines étaient défaillantes. Elle a également relevé que des défauts d'enrobage des fers étaient constatés en tête des micropieux.
7. Elle a souverainement retenu, sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, que les désordres n'étaient pas apparents à la réception et, abstraction faite d'un motif surabondant, qu'ils compromettaient la solidité de l'ouvrage.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chaque demandeur la charge des dépens afférents à son pourvoi ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SARL Le Prado-Gilbert, avocat aux Conseils, pour la société MAAF assurances
La société MAAF assurances reproche à l'arrêt infirmatif attaqué,
DE L'AVOIR condamnée en qualité d'assureur de la société Fondabat, sur le fondement de la garantie décennale prévue aux articles 1792 et suivants du code civil, in solidum avec la société Fondabat et la société Axa France Iard, en qualité d'assureur de la société CEBA, à payer aux consorts [X]-[U] [E] la somme de 146 712,84 euros au titre de la reprise des travaux effectués en 2008 par la société Fondabat, déduction faite des sommes dues pour solde du marché par les consorts [X]-[U] [E] et la somme de 2 000 euros au titre du préjudice matériel ;
1°) ALORS QUE le défaut de réponse aux conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que les désordres et non-conformités apparents sont couverts par une réception sans réserve ; que la garantie décennale n'est pas applicable aux vices faisant l'objet de réserves lors de la réception, ces vices étant alors couverts par la garantie de parfait achèvement ; que dans ses conclusions d'appel (p. 9 et 10), la MAAF faisait valoir que la garantie décennale n'était pas mobilisable pour des désordres réservés et/ou apparents à la réception et qu'il résultait de la lettre des maîtres de l'ouvrage du 14 avril 2008 qu'ils avaient connaissance des désordres litigieux depuis un rendez-vous de chantier du 12 mars 2008, soit un mois avant la date de la réception tacite du 11 avril 2018 retenue par la cour d'appel ; qu'en omettant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel, qui a elle-même assimilé les critiques des travaux formulées dans la lettre du 14 avril 2008 à des « réserves » émises dans le cadre d'une réception tacite et qui a indemnisé les maîtres de l'ouvrage au vu notamment des vices dénoncés dans cette lettre (manque de fer à béton dans certaines longrines), a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS en toute hypothèse QUE seuls relèvent de la garantie décennale, les désordres compromettant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination et qui sont apparus dans le délai d'épreuve de dix ans à compter de la réception ; que pour retenir la responsabilité décennale de la société Fondabat et par suite la garantie de la MAAF en sa qualité d'assureur décennal de celle-ci, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que selon l'expert, les travaux de confortement réalisés par la société Fondabat tendant à reprendre des fissures apparues après un épisode de sécheresse climatique, qui étaient affectés de malfaçons, n'atteignaient pas leur finalité et qu'il existait « un risque par exemple en cas de nouvelle sécheresse » que de nouveaux tassements se produisent, tassements qui « pourront affecter la structure de la maison », et qu'ainsi le « dommage naissait des malfaçons objectives » qui compromettaient la solidité de l'ouvrage ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, dont les constatations ne permettent pas de caractériser une atteinte à la solidité de l'ouvrage ou une impropriété à sa destination survenue dans le délai d'épreuve qui expirait le 11 avril 2018, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et suivants du code civil.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour la société Fondabat
La société Fondabat fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée, avec la société Axa France IARD en qualité d'assureur de la société CEBA et la société MAAF Assurances en qualité d'assureur de la société Fondabat, à payer aux consorts [X]-[U]-[E] la somme de 146.712,84 euros au titre de la reprise des travaux effectués en 2008, déduction faite des sommes dues pour solde du marché par les consorts [X]-[U]-[E], et la somme de 2.000 euros au titre du préjudice matériel, et de l'avoir condamnée à payer aux consorts [X]-[U]-[E] la somme de 3.000 euros au titre du préjudice moral ;
1/ Alors qu'il appartient aux juges du fond, aussi bien d'écarter des débats les preuves offertes, quelles qu'elles soient, si elles leur apparaissent inutiles, ou superflues, que d'ordonner celles qu'ils estiment de nature à les éclairer ; qu'en se fondant sur le rapport d'expertise judiciaire pour imputer à la société Fondabat des malfaçons compromettant la solidité de l'ouvrage litigieux, après pourtant avoir considéré que l'expertise judiciaire présentait « incontestablement des lacunes méthodologiques et substantielles quant à l'analyse technique des éléments du dossier » (arrêt attaqué, p. 14, § 3) et que l'expert judiciaire n'avait pas argumenté « de façon très développée son analyse » » (arrêt attaqué, p. 14, § 4), la cour d'appel a violé l'article 10 du code de procédure civile, ensemble l'article 455 du code de procédure civile ;
2/ Alors que les juges du fond ne doivent pas dénaturer les éléments de preuve qui leur sont soumis ; qu'en considérant que les parties avaient accepté les limites du travail expertal notamment dans le cadre de la reprise des constatations du précédent expert, M. [C], par M. [K], ce dernier précisant qu'il avait procédé de la sorte « en accord avec les parties » et qu'il convenait, par conséquent, de retenir la synthèse de l'expert, quand dans son rapport, l'expert judiciaire se bornait à indiquer que « lors de la réunion, avec l'accord des parties, nous avons revérifié les désordres allégués sur les fondations (ordonnance du 05 mai 2009) puis les désordres allégués dans l'ordonnance du 12 janvier 2011 » (production unique, p. 9), de sorte que l'accord de parties avait pour objet les revérifications des désordres allégués sur les fondations et non la méthode de travail de l'expert judiciaire, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise judiciaire, en violation du principe susvisé.