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12/10/2022 | FRANCE | N°20-16009

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 12 octobre 2022, 20-16009


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

DB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 12 octobre 2022

Cassation partielle

M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 595 F-D

Pourvoi n° Q 20-16.009

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 OCTOBRE 2022r>
La société [V]-Lapicade, exploitation agricole à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 20-16.009 c...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

DB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 12 octobre 2022

Cassation partielle

M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 595 F-D

Pourvoi n° Q 20-16.009

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 OCTOBRE 2022

La société [V]-Lapicade, exploitation agricole à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 20-16.009 contre l'arrêt rendu le 12 février 2020 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme [C] [P], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société [V]-Lapicade, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mme [P], après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 12 février 2020), Mme [P] et M. [V], à présent divorcés, détiennent le capital de l'exploitation agricole à responsabilité limitée [V]-Lapicade (la société), à hauteur, respectivement, de 312 et 468 parts.

2. Mme [P] a obtenu en référé la désignation d'un expert judiciaire aux fins d'établir les comptes entre elle et M. [V], récapituler les emprunts effectués par ce dernier au profit de la société et déterminer la valeur de ses parts sociales et le montant de son compte courant d'associé.

3. Après dépôt du rapport d'expertise, Mme [P] a assigné M. [V] et la société, afin d'obtenir le rachat de ses parts dans la société ainsi que le paiement du solde de son compte courant d'associé.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à Mme [P] la somme de 44 216, 84 euros au titre de la liquidation de son compte courant d'associé, alors « que les actes et délibérations postérieurs à la constitution d'une société ne peuvent être contestés que par la voie d'une action en justice tendant à leur annulation ; qu'en refusant de faire produire effets aux décisions des assemblées générales de l'Earl [V]-Lapicade sans constater que Mme [P] en aurait poursuivi l'annulation, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable au litige, ensemble l'article 1844-10, alinéa 3, du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et 1844-10, alinéa 3, du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 22 mai 2019 :

5. Aux termes du premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Selon le second, la nullité des actes ou délibérations des organes d'une société civile ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du titre neuvième du livre troisième du code civil ou de l'une des causes de nullité des contrats en général.

6. Il résulte de la combinaison de ces textes que les délibérations d'une société civile s'imposent aux associés tant que la nullité n'en a pas été prononcée.

7. Pour condamner la société à payer à Mme [P] la somme de 44 216,84 euros au titre de la liquidation de son compte courant d'associé, l'arrêt retient que les décisions des assemblées générales entre 2000 et 2013 qui ont affecté les résultats, exercice par exercice, aux comptes courants des associés, ont été prises en violation des statuts qui fixent la responsabilité limitée des associés à leurs apports et que, si elles ont été prises à la majorité, M. [V] disposant de 60 % des voix, elles ne peuvent traduire la volonté commune des associés, Mme [P] ayant constamment refusé d'approuver les comptes annuels et rejeté les résolutions qui lui étaient soumises. Il en déduit qu'en application de l'article 1134 du code civil, il convient de retraiter les écritures comptables de la société pour retenir la valeur qu'aurait eu le compte courant d'associé si la société avait fonctionné conformément à ses statuts entre 2000 et 2013.

8. En statuant ainsi, alors que les délibérations de la société s'imposaient tant que la nullité n'en avait pas été prononcée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société [V]-Lapicade à payer à Mme [P] la somme de 44 216,84 euros au titre de la liquidation de son compte courant d'associé et statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 12 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne Mme [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [P] et la condamne à payer à la société [V]-Lapicade la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-deux, et signé par lui et M. Ponsot, conseiller, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat aux Conseils, pour la société [V]-Lapicade.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné l'Earl [V]-Lapicade à payer à Mme [P] la somme de 44 216, 84 € au titre de la liquidation de son compte courant d'associé ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « c'est par des motifs pertinents que la Cour adopte, après une analyse complète des éléments qui lui ont été soumis par les parties et des conclusions de l'expertise judiciaire (dont elle a sollicité auprès du tribunal la remise en original afin de pouvoir consulter l'ensemble des annexes non communiquées par les parties mais dont elles ont nécessairement eu connaissance), que le tribunal a jugé que l'EARL [V]-Lapicade était redevable de la somme de 44 216,84 € à l'égard de [C] [P] au titre de la liquidation de son compte courant associé ; il suffit d'ajouter que si les décisions des assemblées générales ont certes été prises à la majorité, [D] [V] disposant de 60 % des voix, elles ne peuvent traduire la volonté commune des associés contrairement à ce que l'appelante prétend, [C] [P] ayant constamment refusé d'approuver les comptes annuels et rejeté les résolutions qui lui étaient soumises, soulignant notamment qu'elle n'était pas informée du fonctionnement de la société ni associée aux prises de décision ; à l'inverse, les deux associés ont choisi de limiter leur responsabilité à leur apport lors de l'élaboration des statuts de l'EARL ; par conséquent, le jugement mérite pleine confirmation » (cf. arrêt p. 4) ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « l'article 1134 du code civil dans sa version applicable au présent litige prévoit que "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi » ; l'article L 324-1 du code rural et de la pêche maritime dispose "qu'une ou plusieurs personnes physiques peuvent instituer une société civile dénommée" exploitation agricole à responsabilité limitée. Les associés ne supportent les pertes qu'à concurrence de leurs apports " ; par ailleurs, il résulte de l'article 16 des statuts de l'EARL [V]-LAPICADE que "les pertes sont supportées par les associés proportionnellement au nombre de leurs parts sans qu'aucun d'eux puisse être tenu au-delà du montant de ces parts" ; en l'espèce, il ressort du rapport de Monsieur [T] [L] que "les résultats ont systématiquement étaient affectés, exercice par exercice aux comptes courants des associés comme s'il on se trouvait dans le cadre d'une société civile classique dans laquelle les associés sont responsables des résultats et non dans une société dans laquelle la responsabilité de ceux-ci est limitée à leurs apports. Or, la limitation de responsabilité semble être ici un élément essentiel et fondateur du contrat de société" ; face à ce constat, l'expert judiciaire a proposé deux chiffrages en tenant compte des modalités légales et des modalités retenues de manière erronée dans le cadre de cette EARL pour évaluer les parts sociales et le compte courant de Madame [C] [P] ; le premier chiffrage revient aÌ valider les affectations de résultat réalisés par l'EARL [V]-LAPICADE entre 2000 et 2013 ; le second chiffrage découle de l'application de la responsabilité limitée des associés à leurs apports et a pris la forme d'un retraitement des écritures comptables de l'EARL [V]-LAPICADE afin de déterminer la valeur qu'auraient eu les parts sociales et le compte courant associé de Madame [C] [P] si l'EARL [V]-LAPICADE avait fonctionné conformément aÌ ses statuts entre 2000 et 2013 ; il convient de constater que même si les associés de l'EARL [V]-LAPICADE ont convenu durant des années d'un fonctionnement de l'EARL [V]-LAPICADE ne répondant pas aux impératifs classiques de ce type de société et ont appliqué une responsabilité illimitée des associés, il n'en reste pas moins que les statuts de la société qui fixe les règles de fonctionnement de cette dernière prévoyaient expressément la responsabilité limitée des associés à leurs apports ; dès lors et conformément à l'ancien article 1134 du code civil, il convient d'appliquer le principe de la responsabilité limité de l'EARL [V]-LAPICADE dans le cadre de la fixation de la valeur des parts sociales et du compte courant de Madame [C] [P] ; par ailleurs, il ressort du rapport d'expertise de Monsieur [T] [L], que ce dernier rejette la fixation de la valeur du compte courant associé de Madame [C] [P] à la somme de 1169 euros proposée par Monsieur [V] dans la mesure où il précise que " la baisse des fonds propres à un niveau inférieur à la moitié du capital de la société n'entraîne pas la liquidation automatique de la société à défaut de reconstitution des fonds propres » et que cette reconstitution "par les associés en proportion de leurs apports initiaux n'est pas une obligation et dépend de la décision des associés de l'EARL" ; en conséquence et compte tenu du rapport de Monsieur [T] [L], la valeur des parts sociales de Madame [C] [P] est fixée à la somme de zéro euro et celle de son compte courant à la somme de 44 216,84 euros » (cf. jugement p. 5-6) ;

ALORS QUE, les actes et délibérations postérieurs à la constitution d'une société ne peuvent être contestés que par la voie d'une action en justice tendant à leur annulation ; qu'en refusant de faire produire effets aux décisions des assemblées générales de l'Earl [V]-Lapicade sans constater que Mme [P] en aurait poursuivi l'annulation, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa version applicable au litige, ensemble l'article 1844-10, alinéa 3, du même code.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 20-16009
Date de la décision : 12/10/2022
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Agen, 12 février 2020


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 12 oct. 2022, pourvoi n°20-16009


Composition du Tribunal
Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:20.16009
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