LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° R 21-85.290 F-D
N° 01181
ODVS
4 OCTOBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 OCTOBRE 2022
Le Parc national des calanques, partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 29 juin 2021,qui, dans la procédure suivie contre MM. [P] [W], [U] [V], [J] [B] et [G] [M] des chefs notamment d'infractions à la législation sur la pêche et, contre les trois premiers, d'atteinte à la conservation d'espèces animales non domestiques, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du Parc naturel des Calanques, les observations de la SCP Spinosi, avocat de MM. [U] [V], [G] [M] et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 6 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. MM. [P] [W], [U] [V], [J] [B] et [G] [M], poursuivis devant le tribunal correctionnel pour des faits liés à des actions de pêche sous-marine réalisées en zone interdite, en particulier dans le Parc national des calanques, ont été déclarés coupables notamment des chefs précités.
3. Par jugement ultérieur rendu sur intérêts civils, ils ont été condamnés solidairement à verser au Parc national des calanques, partie civile, la somme de 350 060 euros au titre du préjudice écologique causé à l'écosystème des calanques, cette somme devant être affectée en totalité à la réparation de l'environnement impacté.
4. MM. [W], [V], [B] et [M] et le Parc national des calanques ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, et le second moyen
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné solidairement MM. [W], [V], [M] et [B] à lui payer une somme limitée à 52 068,34 euros au titre du préjudice écologique, alors :
« 1°/ que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; que la réparation intégrale du préjudice écologique consistant en l'atteinte à l'écosystème marin causée par des prélèvements de poissons lors de pêches illégales impose de prendre en considération le coefficient trophique des espèces prélevées, le prélèvement d'espèces prédatrices de niveau trophique supérieure impactant l'ensemble de la chaîne alimentaire et l'habitat ; qu'en retenant, pour limiter l'indemnisation du préjudice écologique du Parc national des Calanques à la somme de 52 068,34 euros, que le coefficient trophique correspondait à une construction purement mathématique et intellectuelle sans commune mesure avec les faits en cause et que le simple fait des prélèvements illégaux auxquels s'étaient livrés les prévenus suffisait à déterminer l'atteinte à la biomasse cependant que l'essentiel des espèces prélevées par les prévenus lors des pêches illégales constituaient des espèces de haut niveau trophique, la cour d'appel a méconnu les articles 1240, 1246, 1247 du code civil et le principe de réparation intégrale. »
Réponse de la Cour
7. Pour infirmer le jugement et réduire à 52 068,34 euros le montant des dommages-intérêts alloués au Parc national des calanques au titre du préjudice écologique, l'arrêt, après avoir constaté l'impossibilité d'une réparation en nature, énonce que les prises au titre desquelles les intéressés ont été condamnés sont de 16 170,5 douzaines d'oursins, 288,9 poulpes et 4 497,3 kg de poissons.
8. Les juges ajoutent qu'il n'y a pas lieu de retenir le coefficient trophique, qui a une incidence sur le poisson au regard du fonctionnement en pyramide de la chaîne alimentaire, selon la loi dite de Koslovski par la partie civile et de Lindeman par d'autres sources.
9. Ils précisent que si cette loi permet de dire que, dans un écosystème équilibré, le rapport massique de présence entre une espèce et son prédateur est de un à dix, le prédateur devant consommer 10 kg de proies pour former un kg de matière, elle n'est pas adaptée pour l'évaluation du préjudice écologique dans la mesure où, dans certaines études, le coefficient est de cinq et où cette règle a été instaurée non pas pour déterminer l'impact du prélèvement d'une espèce en haut de la pyramide de la chaîne alimentaire, mais pour étudier le fonctionnement d'un écosystème.
10. Ils soulignent que le simple fait des prélèvements illégaux auxquels se sont livrés les intéressés suffit à déterminer l'atteinte à la biomasse, sans qu'il soit besoin de faire entrer, dans le calcul du préjudice, le coefficient trophique qui correspond à une construction certes physique, mais aussi purement mathématique et intellectuelle, sans commune mesure avec les faits de la cause.
11. Les juges retiennent encore que s'il existe une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions de l'écosystème, il ne s'agit pas d'un déséquilibre justifiant l'application du coefficient de un à dix.
12. Par des constatations précises portant sur les lieux de pêche, le coefficient de mobilité des espèces entre le parc et hors du parc, le nombre d'hectares concernés et le coût de reconstitution par hectare, ils concluent que le préjudice subi s'élève à la somme de 52 068,34 euros.
13. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, tenue d'assurer la réparation intégrale du préjudice écologique dont elle a retenu l'existence, n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement la méthode qui lui a paru la plus adaptée pour évaluer l'indemnité propre à le réparer.
14. Dès lors, le moyen doit être écarté.
15. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que le Parc national des calanques devra payer à MM. [V] et [M] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatre octobre deux mille vingt-deux.