LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 septembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 679 F-D
Pourvoi n° H 21-22.377
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 SEPTEMBRE 2022
La société Carnivar, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° H 21-22.377 contre l'arrêt rendu le 10 juin 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-8), dans le litige l'opposant à la société [Adresse 2], société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Echappé, conseiller doyen, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Carnivar, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société [Adresse 2], après débats en l'audience publique du 12 juillet 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Echappé, conseiller doyen rapporteur, M. Jessel, conseiller, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 juin 2021), le 10 avril 2006, la société civile immobilière [Adresse 2] (la SCI) a donné en location à la société Carnivar des locaux à usage commercial.
2. Le bail stipulait que, en cas de cession de celui-ci, le preneur s'obligeait à rester garant solidaire et responsable avec son cessionnaire du paiement des loyers pour la période restant à courir de la location.
3. Le 29 avril 2014, les parties ont signé un protocole d'accord selon lequel la société Carnivar s'est, en contrepartie d'une diminution du montant du loyer, engagée à ne pas donner de congé pour la période courant à compter de la date de renouvellement du bail, soit le 10 avril 2015, pour une durée minimum de trois ans, soit jusqu'au 9 avril 2018.
4. Le 31 juillet 2014, la société Carnivar a cédé son fonds de commerce à la société Silco dont la liquidation judiciaire a été prononcée le 8 septembre 2015.
5. Le 7 décembre 2015, le liquidateur de la société Silco a notifié à la SCI la résiliation du bail.
6. Le 20 mai 2016, la SCI a assigné la société Carnivar en paiement des loyers dus jusqu'au 9 avril 2018.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. La société Carnivar fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à la SCI, alors « que la solidarité ne se présume pas et doit être expressément stipulée ; que l'engagement solidaire souscrit pas un preneur au paiement des loyers dus par le cessionnaire, en cas de cession du droit au bail, ne survit pas, sauf stipulation expresse contraire, à la résiliation du bail par le cessionnaire ; qu'en condamnant la société Carnivar à payer à la société [Adresse 2], en application de la clause de solidarité de paiement des « loyers », une somme de 201 600 euros correspondant notamment au montant des loyers de l'année 2016, des loyers de l'année 2017 et du loyer du 1er trimestre 2018, tout relevant par ailleurs que le bail avait, après sa cession à la société Silco et l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à son encontre, fait l'objet d'une résiliation anticipée, le 7 décembre 2015, par le liquidateur du cessionnaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il s'évinçait que la société Silco n'étant plus redevable d'aucun « loyer » à compter de la résiliation du bail, la société Carnivar ne pouvait pas l'être davantage en l'absence d'une stipulation expresse en ce sens, a violé l'article 1202 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. La SCI conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le grief est nouveau.
9. Cependant, la société Carnivar soutenait devant la cour d'appel que la clause de garantie solidaire était limitée au paiement des loyers, à l'exclusion de toute autre somme.
10. Le grief, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt des juges du fond, est, par ailleurs, de pur droit.
11. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1202, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
12. Aux termes de ce texte, la solidarité ne se présume point ; il faut qu'elle soit expressément stipulée.
13. Pour condamner la société Carnivar au paiement d'une certaine somme au titre des loyers dus jusqu'au 9 avril 2018, l'arrêt retient que le renouvellement du bail n'a pas fait disparaître l'obligation de garantie à laquelle la société Carnivar est soumise en application du bail, et ce malgré la cession du fonds de commerce.
14. En statuant ainsi, alors que, en l'absence de stipulation expresse contraire, la solidarité ne peut s'appliquer qu'aux loyers impayés à la date de la résiliation du bail, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles le bail avait, le 7 décembre 2015, été résilié par le liquidateur de la société Silco, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Carnivar à payer à la société civile immobilière [Adresse 2] la somme de 201 600 euros, l'arrêt rendu le 10 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société civile immobilière [Adresse 2] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière [Adresse 2] et la condamne à payer à la société Carnivar la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Carnivar
La société Carnivar fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société [Adresse 2] la somme de 201 600 euros, en ce qu'il a dit que cette somme produirait intérêts au taux légal compter du jugement et d'avoir fait droit à la demande de capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière ;
1/ ALORS QUE le juge ne doit pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que le bail commercial du 10 avril 2006 stipulait qu'en cas de cession de son droit au bail, la société Carnivar resterait « garant solidaire et responsable avec son cessionnaire, du paiement des loyers pour la période restant à courir du bail » ; que le protocole d'accord conclu le 29 avril 2014 stipulait que « la société Carnivar s'engage à ne pas donner de congé pour la période courant à compter du renouvellement du bail commercial, soit à compter du 10 avril 2015, pour une durée minimum de trois ans, soit jusqu'au 9 avril 2018 », étant ajouté que « Le bail conclu entre les parties le 10 avril 2006 demeure applicable en totalité, à l'exception du prix ainsi que de la date de renouvellement qui prend effet au 10 avril 2015 pour une durée de trois, six ou neuf années. Les parties reconfirment en tant que de besoin le renouvellement pour trois ans, la société Carnivar renonçant à la possibilité de donner congé avant le 9 avril 2018 » ; que ce protocole se bornait donc à stipuler que le bail en cours demeurait en totalité applicable jusqu'à son renouvellement, le 10 avril 2015 et que la société Carnivar s'engageait à ne pas donner congé du bail renouvelé avant le 9 avril 2018 ; qu'en revanche, il n'était nullement prévu que le bail renouvelé le 10 avril 2015, qui constituait un nouveau contrat, le serait intégralement aux mêmes conditions que le bail du 10 avril 2006, et en particulier avec reprise de la clause de solidarité de paiement des loyers en cas de cession, le bail du 10 avril 2006 ayant au contraire clairement et précisément stipulé que cette clause ne s'appliquait que jusqu'à la fin du bail initial ; qu'en jugeant pourtant qu'il ressortait des stipulations des deux actes combinés que les parties avaient souhaité renouveler le bail commercial dans les conditions initiales, clause de solidarité de paiement des loyers en cas de cession comprise, la cour d'appel a dénaturé ces deux actes, en violation du principe précité ;
2/ ALORS QUE, subsidiairement, la solidarité ne se présume pas et doit être expressément stipulée ; que l'engagement solidaire souscrit pas un preneur au paiement des loyers dus par le cessionnaire, en cas de cession du droit au bail, ne survit pas, sauf stipulation expresse contraire, à la résiliation du bail par le cessionnaire ; qu'en condamnant la société Carnivar à payer à la société [Adresse 2], en application de la clause de solidarité de paiement des « loyers », une somme de 201 600 euros correspondant notamment au montant des loyers de l'année 2016, des loyers de l'année 2017 et du loyer du 1er trimestre 2018, tout relevant par ailleurs que le bail avait, après sa cession à la société Silco et l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à son encontre, fait l'objet d'une résiliation anticipée, le 7 décembre 2015, par le liquidateur du cessionnaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il s'évinçait que la société Silco n'étant plus redevable d'aucun « loyer » à compter de la résiliation du bail, la société Carnivar ne pouvait pas l'être davantage en l'absence d'une stipulation expresse en ce sens, a violé l'article 1202 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3/ ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en s'abstenant de répondre au moyen tiré de ce que l'obligation de garantie stipulée à la charge de la société Carnivar, locataire, ayant pour but de protéger la société [Adresse 2], bailleresse, contre les éventuelles défaillances du cessionnaire du droit au bail, la bailleresse ne pouvait, sans mauvaise foi de sa part, s'abstenir de provoquer la résiliation du bail pour défaut de paiement de loyers échus, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.