LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 septembre 2022
Cassation partielle
M. PION, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt n° 1050 F-D
Pourvoi n° S 21-13.485
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 SEPTEMBRE 2022
Mme [C] [H], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-13.485 contre l'arrêt rendu le 23 octobre 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Walinvest, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pecqueur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [H], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Walinvest, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents M. Pion, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Pecqueur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 23 octobre 2020), Mme [H], engagée par la société Walinvest le 13 mai 2014 en qualité d'assistante de direction, agent de maîtrise niveau 6 échelon 3 de la convention collective des commerces de gros, a été licenciée le 18 mars 2015.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La salariée fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences découlant des articles L. 3171-2, alinéa 1er, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail ; que pour débouter la salariée de ses demandes au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, la cour d'appel a retenu, d'une part, que la salariée, qui fournissait quelques extraits de son agenda, ne prenait pas en compte les mentions y figurant en ce qu'elle établissait un décompte sur la base d'une évaluation forfaitaire de ses horaires de travail, laquelle ne pouvait être retenue en ce qu'elle ne constituait pas le reflet des éléments fournis, d'autre part, que si les feuilles d'agenda auraient pu être à l'origine d'un décompte permettant à l'employeur d'y répondre et l'obligeant par la même à devoir justifier des horaires effectivement réalisés, pour autant ces éléments ne concernaient qu'une période limitée de la relation de travail et ne corroboraient pas les horaires de travail revendiqués par la salariée et, enfin, que la société justifiait que la salariée avait bénéficié de 33 jours de congés payés, et il apparaissait qu'elle avait retenu dans son décompte des heures de travail selon des horaires forfaitaires durant certaines de ces périodes, étant précisé qu'elle suivait en outre une formation universitaire pour compléter son DEUG par une licence, ce qui selon la société lui permettait de bénéficier d'horaires plus souples ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
4. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
5. Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
6. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
7. Pour débouter la salariée de sa demande au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient que la salariée, qui fournit quelques extraits de son agenda, ne prend pas en compte les mentions y figurant en ce qu'elle établit un décompte sur la base d'une évaluation forfaitaire de ses horaires de travail, laquelle ne peut être retenue en ce qu'elle ne constitue pas le reflet des éléments fournis, que si les feuilles d'agenda auraient pu être à l'origine d'un décompte permettant à l'employeur d'y répondre et l'obligeant par la même à devoir justifier des horaires effectivement réalisés, pour autant d'une part ces éléments ne concernent qu'une période limitée de la relation de travail, et d'autre part ils ne corroborent pas les horaires de travail revendiqués par la salariée.
8. Il ajoute que celle-ci affirme ne pas avoir travaillé selon les horaires collectifs, 9h - 12h et 14 h-18h, mais de 9h à 19h avec une pause limitée à une heure, alors même que l'agenda fait certes référence à une fin de journée de travail au-delà de 18 heures mais avant 19 heures, et des pauses de plus d'une heure comme pour le 14 mai 2015.
9. Il relève que la société justifie que la salariée a bénéficié de 33 jours de congés payés et que la salariée a retenu dans son décompte des heures de travail selon des horaires forfaitaires durant certaines de ces périodes, en précisant qu'elle suivait en outre une formation universitaire pour compléter son DEUG par une licence, ce qui, selon la société, lui permettait de bénéficier d'horaires plus souples.
10. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que la salariée présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [H] de sa demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires, la condamne à payer à la société Walinvest une somme de 150 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 23 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne la société Walinvest aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Walinvest et la condamne à payer à Mme [H] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme [H]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Mme [H] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de classification et requalification et de sa demande subséquente de rappels de salaire.
ALORS QUE la qualification d'un salarié se détermine par les fonctions réellement exercées au regard de la classification prévue par la convention collective applicable ; que la cour d'appel s'est bornée à énoncer qu'il ressortait des pièces de la procédure que la salariée ne démontrait pas avoir exercé les fonctions correspondant au statut, à la classification et à l'échelon revendiqués ; qu'en se déterminant ainsi, sans même rechercher ni préciser quelles étaient les conditions prévues par la convention collective nationale du commerce de gros pour bénéficier du statut de cadre, niveau 8, échelon 2 revendiqué par la salariée, la cour d'appel, qui n'a pas comparé les fonctions réellement exercées par celle-ci aux critères conventionnels de classification, a privé sa décision de base légale au regard de la convention collective nationale de commerces de gros du 23 juin 1970.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Mme [H] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement d'heures supplémentaires.
1° ALORS QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences découlant des articles L. 3171-2, alinéa 1er, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail ; que pour débouter la salariée de ses demandes au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, la cour d'appel a retenu, d'une part, que la salariée, qui fournissait quelques extraits de son agenda, ne prenait pas en compte les mentions y figurant en ce qu'elle établissait un décompte sur la base d'une évaluation forfaitaire de ses horaires de travail, laquelle ne pouvait être retenue en ce qu'elle ne constituait pas le reflet des éléments fournis, d'autre part, que si les feuilles d'agenda auraient pu être à l'origine d'un décompte permettant à l'employeur d'y répondre et l'obligeant par la même à devoir justifier des horaires effectivement réalisés, pour autant ces éléments ne concernaient qu'une période limitée de la relation de travail et ne corroboraient pas les horaires de travail revendiqués par la salariée et, enfin, que la société justifiait que la salariée avait bénéficié de 33 jours de congés payés, et il apparaissait qu'elle avait retenu dans son décompte des heures de travail selon des horaires forfaitaires durant certaines de ces périodes, étant précisé qu'elle suivait en outre une formation universitaire pour compléter son DEUG par une licence, ce qui selon la société lui permettait de bénéficier d'horaires plus souples ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail.
2° ALORS, en tout cas, QU'à l'appui de sa demande, la salariée avait produit non seulement des extraits de son agenda et un décompte d'heures, mais aussi de nombreux courriels envoyés de son ordinateur professionnel ; qu'en s'abstenant d'examiner ces courriels, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3171-4 du code du travail.