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28/09/2022 | FRANCE | N°20-21160;20-21161;20-21162

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 28 septembre 2022, 20-21160 et suivants


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 28 septembre 2022

Cassation partielle

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 995 F-D

Pourvois n°
P 20-21.160
Q 20-21.161
R 20-21.162 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 SE

PTEMBRE 2022

1°/ La société Groupe [J], société anonyme, dont le siège est [Adresse 10], [Localité 5],

2°/ la société MA, société par actions si...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 28 septembre 2022

Cassation partielle

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 995 F-D

Pourvois n°
P 20-21.160
Q 20-21.161
R 20-21.162 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 SEPTEMBRE 2022

1°/ La société Groupe [J], société anonyme, dont le siège est [Adresse 10], [Localité 5],

2°/ la société MA, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 7], [Localité 6],

ont formé les pourvois n° P 20-21.160, Q 20-21.161, et R 20-21.162 contre trois arrêts rendus le 17 juin 2020 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section A) dans les litiges les opposant respectivement :

1°/ à M. [V] [C],
2°/ à Mme Marie [H] [U], épouse [C],

tous deux domiciliés [Adresse 9], [Localité 2],

3°/ à Mme [Z] [K], épouse [D], domiciliée [Adresse 4], [Localité 3],

4°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 8],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leurs recours, les deux moyens de cassation communs annexés au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Le Lay, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat des sociétés Groupe [J] et MA, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [C] et des deux autres salariées, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Le Lay, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° P 20-21.160, Q 20-21.161 et R 20-21.162 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Bordeaux, 17 juin 2020), M. [C] et deux autres salariées (les salariés) de la société MA ont vu leur contrat de travail rompu pour motif économique, à l'automne 2013, après la mise en place en juin 2013 d'un plan de sauvegarde de l'emploi au sein de l'unité économique et sociale [J], composée de dix-sept sociétés dont la société mère est la société Groupe [J].

3. Contestant le bien-fondé de la rupture, ils ont saisi la juridiction prud'homale de demandes en dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à l'encontre de la société MA et de la société Groupe [J] (les sociétés), invoquant la qualité de coemployeur de cette dernière.
Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

5. Les sociétés font grief aux arrêts de les déclarer coemployeurs, de dire les licenciements sans cause réelle et sérieuse, de les condamner in solidum à payer aux salariés des sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'ordonner le remboursement in solidum des indemnités de chômage, alors « que hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière ; qu'en affirmant qu'il existait une immixtion sociale globale et permanente de la société Groupe [J] dans les affaires de la société MA justifiant qu'il lui soit attribué la qualité de coemployeur dès lors que la société Groupe [J] était l'unique associé de la société MA, que les différents services de direction et administratifs de cette dernière étaient délégués aux sociétés Groupe [J] et [J] logistique qui lui dispensaient des prestations de service, que la direction des ressources humaines de la filiale était assurée par la société Groupe [J] qui avait élaboré le plan de restructuration et le plan de sauvegarde de l'emploi, que les propositions de reclassement avaient été adressées par la direction des ressources humaines du Groupe [J], qu'aucun cadre de la société MA n'était en charge de la gestion économique et sociale de l'entreprise, sans toutefois caractériser que cette immixtion conduisait à la perte totale d'autonomie d'action de la société MA, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1221-1 du code du travail :

6. Hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière.

7. Pour déclarer la société Groupe [J] coemployeur avec la société MA, les condamner in solidum au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse des salariés, ordonner le remboursement in solidum par elles aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées, les arrêts retiennent que la société Groupe [J] détient directement ou indirectement 100 % des titres de chacune de ses filiales, dont la société MA, laquelle a pour unique associée la société Groupe [J] et qu'il existe une concentration des pouvoirs de direction entre les différentes sociétés du Groupe [J], chacune étant dirigée soit par M. [N] [J] soit par M. [P] [J], la société MA étant dirigée par la société Groupe [J], laquelle a pour président du conseil de surveillance M. [P] [J] et pour président du directoire M. [N] [J].

8. Ils ajoutent que les services de direction et administratifs dits de « support » sont centralisés pour les sociétés du groupe : direction commune, DRH centralisée (recrutement, formalisation des contrats, formation professionnelle des salariés), direction financière commune, système administratif et informatique commun, service de communication centralisé, services juridique et comptable centralisés (gestion des salaires, règlements intérieurs des sociétés, participation aux réunions des instances représentatives). Ils relèvent que la note d'information du projet de réorganisation du Groupe [J] remis aux membres du comité central d'entreprise le 15 mars 2013 précise à cet égard que le groupe comporte un pôle d'activité « support », composé des sociétés Groupe [J] et [J] logistique qui dispensent aux autres sociétés du groupe des prestations de services de type administratif pour la première et logistique pour la seconde.

9. Ils retiennent également que le projet de restructuration dénommé « projet R2015 » a été élaboré par la direction générale du Groupe [J], tandis que le plan de sauvegarde de l'emploi l'a été au niveau de l'UES [J].

10. Ils soulignent enfin que toute la procédure de reclassement, de proposition d'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle, de licenciement de même que la délivrance des certificats de travail ont tous été adressés aux salariés par la directrice des ressources humaines du Groupe [J], dont il n'est ni démontré ni même soutenu qu'elle est salariée de la société MA.

11. Ils concluent que si l'intervention du groupe dans l'accompagnement du PSE ne caractérise pas nécessairement une situation de coemploi, en revanche, l'immixtion sociale globale et permanente de la société Groupe [J] dans les affaires de sa filiale est démontrée par la direction et la gestion du personnel qui sont assurés par la société mère, laquelle a de ce fait la qualité d'employeur, sa filiale, la société MA, ne se comportant plus comme le véritable employeur à l'égard de ses salariés.

12. En se déterminant ainsi, quand la centralisation de services supports et la gestion des ressources humaines au moment de la procédure collective ne pouvaient caractériser une situation de coemploi, sans rechercher si la filiale ne disposait pas du pouvoir réel de conduire ses affaires dans le domaine de la gestion économique et sociale et si la société mère avait capté ses prérogatives attachées à sa condition d'employeur et ainsi caractériser une immixtion permanente de la société Groupe [J] dans la gestion économique et sociale de la société employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquence de la cassation

13. Le premier moyen ne formulant aucune critique contre les motifs des arrêts fondant la décision de condamner la société MA, en sa qualité d'employeur, au paiement de sommes, la cassation ne peut s'étendre à cette disposition des arrêts qui n'est pas dans un lien de dépendance avec les dispositions des arrêts critiquées par ce moyen.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils déclarent la société Groupe [J] et la société MA coemployeurs des salariés, condamnent la société Groupe [J] à payer in solidum avec la société MA à M. [C], Mmes [U], épouse [C], et [K], épouse [D], une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ordonnent à la société Groupe [J] le remboursement in solidum avec la société MA aux organismes concernés des indemnités de chômage versées le cas échéant aux salariés, les arrêts rendus le 17 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne les salariés aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens communs produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour les sociétés Groupe [J] et MA, demanderesses aux pourvois n° P 20-21.160, Q 20-21.161 et R 20-21.162,

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Les sociétés Groupe [J] et MA font grief aux arrêts attaqués de les AVOIR déclarées coemployeurs, d'AVOIR dit les licenciements sans cause réelle et de les AVOIR par conséquent condamnées in solidum à payer aux salariés des sommes à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que de leur AVOIR ordonné le remboursement in solidum des indemnités de chômage.

ALORS QUE hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière ; qu'en affirmant qu'il existait une immixtion sociale globale et permanente de la société Groupe [J] dans les affaires la société MA justifiant qu'il lui soit attribué la qualité de coemployeur dès lors que la société Groupe [J] était l'unique associé de la société MA, que les différents services de direction et administratifs étaient délégués aux sociétés Groupe [J] et [J] Logistique qui dispensaient des prestations de service aux filiales, que la direction des ressources humaines était assurée par la société Groupe [J] qui avait élaboré le plan de restructuration et le plan de sauvegarde de l'emploi, que les propositions de reclassement avaient été adressées par la direction des ressources humaines du groupe [J], qu'aucun cadre de la société MA n'était en charge de la gestion économique et sociale de l'entreprise, sans toutefois caractériser que cette immixtion conduisait à la perte totale d'autonomie d'action de la société MA, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Les sociétés Groupe [J] et MA font grief aux arrêts attaqués d'AVOIR dit le licenciement des salariés sans cause réelle et sérieuse, les AVOIR condamnées in solidum à payer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de leur AVOIR ordonné le remboursement in solidum des indemnités de chômage.

1° ALORS QUE l'employeur doit rechercher s'il existe des possibilités de reclassement et proposer aux salariés dont le licenciement est envisagé des emplois disponibles, de même catégorie ou, à défaut, de catégorie inférieure, fût-ce par voie de modification des contrats de travail, en assurant au besoin une formation d'adaptation ; qu'il n'est pas tenu de proposer des postes disponibles de catégorie supérieure nécessitant que soit assurée une formation initiale faisant défaut aux salariés concernés ; qu'en reprochant aux coemployeurs d'avoir adressé aux salariés une liste non individualisée et imprécise de postes disponibles nécessitant un niveau de compétence et d'expérience ne pouvant être acquis dans un délai raisonnable, quand ces postes ne relevaient pas de l'obligation de reclassement, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa version applicable au litige issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010.

2° ALORS QUE les sociétés exposantes faisaient valoir qu'elles avaient joint à titre seulement informatif une liste des postes disponibles de catégorie supérieure en annexe de la proposition de reclassement individualisée, pour le cas où les salariés auraient omis de signaler qu'ils détenaient une compétence leur permettant d'occuper l'un de ces postes (v. conclusions des exposantes, para. III, A, 2, b) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen décisif, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

3° ALORS QUE ne caractérise pas un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement d'un salarié dont le licenciement pour motif économique est envisagé, le juge qui se contente de relever que les postes disponibles non proposés relevaient de la même catégorie que celui précédemment occupé, sans établir au surplus que ces postes ne requéraient aucune formation complémentaire ou nécessitaient une simple formation d'adaptation ; qu'en reprochant à l'employeur de ne pas avoir proposé aux salariés tous les postes disponibles au niveau du groupe relevant de la même catégorie que celle des salariés dont le licenciement était envisagé, sans caractériser que ces postes ne nécessitaient aucune formation complémentaire ou, à tout le moins, requéraient une simple formation d'adaptation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa version applicable au litige issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010.

4° ALORS QUE le jugement doit être motivé ; qu'en affirmant qu'il existait au sein du groupe des postes disponibles de même catégorie ou de catégorie inférieure qui n'avaient pas été proposés aux salariés de manière individuelle, sans préciser sur quelle pièce elle se fondait pour procéder à une telle affirmation, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile.


Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux, 17 juin 2020


Publications
Proposition de citation: Cass. Soc., 28 sep. 2022, pourvoi n°20-21160;20-21161;20-21162

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Composition du Tribunal
Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Origine de la décision
Formation : Chambre sociale
Date de la décision : 28/09/2022
Date de l'import : 04/10/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 20-21160;20-21161;20-21162
Numéro NOR : JURITEXT000046357196 ?
Numéro d'affaires : 20-21160, 20-21161, 20-21162
Numéro de décision : 52200995
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.cassation;arret;2022-09-28;20.21160 ?
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