LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 septembre 2022
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1034 F-D
Pourvoi n° F 20-19.474
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 SEPTEMBRE 2022
La société CSF, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 20-19.474 contre l'ordonnance rendue le 14 août 2020 par le président du tribunal judiciaire de Rennes, dans le litige l'opposant au comité social et économique de la direction opérationnelle Ouest de la société CSF, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Agostini, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société CSF, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat du comité social et économique de la direction opérationnelle Ouest de la société CSF, après débats en l'audience publique du 29 juin 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Agostini, conseiller rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l' « ordonnance » attaquée (tribunal judiciaire de Rennes, 14 août 2020), rendue selon la procédure accélérée au fond, la société CSF (la société) qui exploite des magasins sous les enseignes « Market » ou « Carrefour Market », a informé et consulté le comité social et économique d'établissement de la direction opérationnelle Ouest (le comité social et économique d'établissement) de son projet de mettre trois de ses magasins en location-gérance.
2. Lors de sa réunion du 1er juillet 2020, le comité social et économique d'établissement a décidé le recours à une expertise-comptable.
3. Le 9 juillet 2020, la société a saisi le président du tribunal judiciaire d'une demande d'annulation de la délibération portant désignation de l'expert comptable. A titre reconventionnel, le comité social et économique d'établissement a sollicité la communication de diverses informations et la suspension du délai lui étant imparti pour rendre son avis.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'ordonnance de la condamner, sous astreinte, à communiquer diverses informations au comité social et économique d'établissement et de dire que le délai dont celui-ci dispose pour rendre son avis sur le projet litigieux, suspendu par l'introduction de l'instance, ne recommencera à courir qu'à compter de la réalisation effective de la communication ordonnée, alors « qu'en toute hypothèse, dans ses dernières conclusions, pour contester la tentative du comité social et économique Ouest de justifier sa décision de faire appel à un expert-comptable par une carence d'information sur le projet de mise en location-gérance de trois magasins, la société CSF soutenait qu'elle lui avait remis une note d'information comportant l'ensemble des éléments d'information prévus par l'accord collectif du 7 juin 2018, lequel fixe le contenu des informations à remettre aux comités sociaux et économiques d'établissement, en cas de consultation sur un projet de mise en location-gérance d'un magasin ; qu'en affirmant néanmoins que la société CSF ne contestait pas que le comité social et économique ne disposait pas d'éléments suffisants pour se prononcer sur son projet de mise en location-gérance de trois magasins, le tribunal a dénaturé les conclusions de l'exposante et violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
5. Pour accueillir les demandes reconventionnelles du comité social et économique d'établissement, l'ordonnance retient que, pour s'opposer à la communication des informations sollicitées par le comité, la société se borne à soutenir que la demande est mal fondée dans la mesure où la délibération du comité décidant du recours à l'expertise est irrégulière. L'ordonnance en déduit que la société ne conteste pas que le comité ne dispose pas d'éléments suffisants pour se prononcer sur le projet de mise en location-gérance des magasins, ni ne dénie aux éléments qui lui sont réclamés leur utilité dans le cadre de la consultation organisée à cet effet.
6. En statuant ainsi, alors que, dans les conclusions régulièrement communiquées tendant au rejet des demandes reconventionnelles du comité social et économique d'établissement, la société faisait valoir que celui-ci avait été destinataire des informations prévues par l'accord collectif du 7 juin 2018 en cas de consultation sur les projets de recours à la location-gérance, le tribunal, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle condamne la société CSF, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de 30 jours à compter de sa signification et ce, pendant 30 jours, à communiquer au comité social et économique d'établissement de la direction opérationnelle Ouest le budget des trois magasins concernés pour l'année en cours, le plan d'affaires ou de développement de leurs futurs locataires-gérants, les organigrammes envisagés par ces derniers et les projets de contrats de location-gérance et en ce qu'elle dit que le délai dont le comité social et économique d'établissement de la direction opérationnelle Ouest dispose pour rendre son avis sur le projet litigieux, suspendu par l'introduction de l'instance, ne recommencera à courir qu'à compter de la réalisation effective cette communication l'ordonnance rendue le 14 août 2020, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Rennes ;
Remet, sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc ;
Condamne le comité social et économique d'établissement de la direction opérationnelle Ouest aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance de référé partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux, et signé par lui et Mme Sommé conseiller en ayant délibéré, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452,456 et 1021 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société CSF
La société CSF fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR condamné la société CSF à communiquer au comité social et économique de l'établissement Direction opérationnelle Ouest les éléments suivants : budget des trois magasins concernés pour l'année en cours, plan d'affaires ou de développement de leurs futurs locataires-gérants, organigrammes envisagés par ces derniers et projets de contrats de location-gérance, le tout sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de 30 jours à compter de la signification de la décision et d'AVOIR dit que le délai dont dispose le CSE Ouest pour rendre son avis sur le projet litigieux, suspendu par l'introduction de la présente instance, ne recommencerait à courir qu'à compter de la réalisation effective de cette communication ;
1. ALORS QUE le juge, tenu de respecter le principe du contradictoire, ne peut statuer sur une demande sur laquelle une partie n'a pas été mise en mesure de s'expliquer ; qu'en l'espèce, le conseil du comité social et économique de l'établissement Ouest a communiqué par RPVA à 12 heures 24, le 22 juillet 2020, des conclusions récapitulatives dans lesquelles il a invoqué, pour la première fois, les dispositions de l'article L. 2312-15 du code du travail à l'appui de sa demande tendant à obtenir la communication d'éléments d'information complémentaires et la prolongation des délais de consultation à compter de la remise de ces éléments d'information complémentaires ; qu'à l'audience qui a eu lieu le même jour, à 14 heures, le Président du tribunal a refusé d'entendre les plaidoiries des parties en raison de la situation sanitaire et a exigé qu'ils déposent leur dossier de plaidoirie ; qu'il ressort des mentions du jugement que les parties ont déposé leurs écritures, sans présenter d'observation orale ; qu'ainsi la société CSF n'a pas eu la possibilité de répliquer aux demandes reconventionnelles du CSE Ouest fondées sur les dispositions de l'article L. 2312-15 du code du travail ; qu'en statuant néanmoins sur ces demandes et en considérant que la société CSF n'a pas contesté que le comité ne disposait pas d'éléments suffisants pour se prononcer sur son projet de mise en location-gérance des magasins d'Elbeuf, de Gisors et de Dinan, le tribunal a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2. ALORS QUE selon les dispositions combinées des articles L. 2315-86 du code du travail et 481-1 du code de procédure civile, le juge qui est saisi de la contestation d'une délibération du CSE décidant d'une expertise statue selon la procédure accélérée au fond, laquelle est orale ; que si l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, modifiée par l'ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020, autorise le juge à décider à tout moment de la procédure qu'elle se déroule selon la procédure sans audience, il n'autorise pas le juge, alors que les parties ont été convoquées à une audience, à refuser d'entendre leurs observations orales lors de cette audience, ni à statuer uniquement au regard de leurs conclusions écrites dans une procédure orale ; qu'en l'espèce, la demande de la société CSF tendant à l'annulation de la délibération du CSE Ouest du 1er juillet 2020 a été inscrite, par voie d'assignation, à une audience du 22 juillet 2020, à 14 heures ; que le président du tribunal judiciaire de Rennes, qui n'a pas fait usage de la faculté de décider que la procédure se déroulerait sans audience, a refusé, à l'audience du 22 juillet 2020, d'entendre les avocats des parties qui étaient présents et a statué au vu de leurs dernières conclusions écrites déposées à l'audience ; que la société CSF, qui n'avait eu connaissance de la modification in extremis du fondement des demandes reconventionnelles du CSE Ouest, par la communication via RPVA des dernières conclusions du CSE Ouest à 12h24 le 22 juillet 2020, n'a pas pu prendre de nouvelles écritures pour y répondre, ni y apporter une réponse orale lors de l'audience, de sorte que la méconnaissance du principe de l'oralité de la procédure lui a causé un grief ; qu'en se prononçant au visa des seules écritures des parties, sans les avoir laissées présenter leurs observations orales à l'audience à laquelle l'affaire était inscrite, le tribunal judiciaire a violé les articles 481-1 et 446-1 du code de procédure civile, l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020, ensemble l'article 16 du code de procédure civile ;
3. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE dans ses dernières conclusions (p. 10), pour contester la tentative du CSE Ouest de justifier sa décision de faire appel à un expert-comptable par une carence d'information sur le projet de mise en location-gérance de trois magasins, la société CSF soutenait qu'elle lui avait remis une note d'information comportant l'ensemble des éléments d'information prévus par l'accord collectif du 7 juin 2018, lequel fixe le contenu des informations à remettre aux CSE d'établissement, en cas de consultation sur un projet de mise en location-gérance d'un magasin ; qu'en affirmant néanmoins que la société CSF ne contestait pas que le CSE ne disposait pas d'éléments suffisants pour se prononcer sur son projet de mise en location-gérance de trois magasins, le tribunal a dénaturé les conclusions de l'exposante et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
4. ALORS QU'en s'abstenant de répondre au moyen des conclusions de la société CSF tiré de ce que le CSE Ouest avait reçu une note d'information sur le projet de mise en location-gérance de chacun des trois magasins, dont le contenu était conforme à l'accord collectif du 7 juin 2018, et n'avait pas sollicité d'information complémentaire selon les modalités prévues par cet accord collectif, le tribunal d'instance a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.