LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
DB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 septembre 2022
Cassation partielle
sans renvoi
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 549 F-D
Pourvoi n° H 20-16.508
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 28 SEPTEMBRE 2022
La société Agence de Fabron, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 20-16.508 contre l'arrêt rendu le 14 mai 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-1), dans le litige l'opposant à Mme [G] [C], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Comte, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Agence de Fabron, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [C], et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 juin 2022 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Comte, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 14 mai 2020), la société Agence de Fabron a confié à Mme [C], le 2 janvier 2014, un mandat d'agent commercial immobilier à durée indéterminée, avec effet rétroactif au 19 novembre 2013. Par courriel du 22 mars 2016, la société Agence de Fabron a informé Mme [C] qu'elle mettait fin à ce mandat.
2. Imputant à la société Agence de Fabron l'initiative de la rupture, Mme [C] l'a assignée en paiement de son préavis, de l'indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture et d'une indemnité pour rupture abusive. La société Agence de Fabron a reconventionnellement demandé la condamnation de Mme [C] au paiement de dommages-intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société Agence de Fabron fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts d'un montant de 12 000 euros pour non-respect de la clause de non-concurrence, alors « que le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; dans le dispositif de ses conclusions d'appel, régulièrement signifiées le 19 mars 2018, la société Agence de Fabron a expressément demandé à la cour d'appel de condamner Mme [C] à lui payer la somme de 12 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence du contrat d'agent commercial ; que dès lors, en relevant, pour dire n'y avoir lieu à statuer sur une telle demande, que si le non-respect par Mme [C] de la clause de non-concurrence pesant sur elle en vertu de l'article 12 du contrat d'agent commercial est discuté dans les motifs des conclusions des deux parties, aucune d'entre elles ne l'a inclus dans le dispositif de ses écritures, la cour d'appel, qui aurait dénaturé lesdites écritures, a méconnu le principe susvisé et violé l'article 1192 du code civil . »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. Mme [C] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que l'absence de décision sur la demande formée par la société Agence de Fabron au titre du non-respect de la clause de non-concurrence constitue une omission de statuer.
6. Cependant, la cour d'appel a expressément jugé qu'elle considérait ne pas être saisie de cette demande, au motif qu'elle n'était pas reprise dans le dispositif des conclusions de la société Agence de Fabron, de sorte que la cour d'appel n'a pas omis de statuer sur la demande.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
8. Pour considérer qu'elle n'était pas saisie de la demande formée par la société Agence de Fabron en paiement de dommages-intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence par Mme [C] et rejeter son examen, la cour d'appel a retenu que la demande n'était pas reprise dans le dispositif des conclusions de la société Agence de Fabron.
9. En statuant ainsi, alors qu'il était demandé expressément par la société Agence de Fabron la condamnation de Mme [C] à lui payer des dommages-intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence dans le dispositif de ses conclusions, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
11. Il est dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice qu'il soit statué au fond sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence par Mme [C], formée par la société Agence de Fabron.
12. La rupture du contrat d'agent commercial étant intervenue à l'initiative de la société Agence de Fabron sans préavis le 22 mars 2016, cette date constitue le point de départ du délai de trois mois imposant à Mme [C] le respect de la clause de non-concurrence du contrat d'agence commerciale les ayant liées, de sorte que la signature, par celle-ci, d'un nouveau contrat le 29 juillet 2016 ne peut caractériser une violation de cette clause. Il y a donc lieu de rejeter la demande en paiement de dommages-intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence formée par la société Agence de Fabron.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette l'examen de la demande en paiement de dommages-intérêts formée par la société Agence de Fabron au titre du non-respect de la clause de non-concurrence, l'arrêt rendu le 14 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande formée par la société Agence de Fabron en paiement de dommages-intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence par Mme [C] ;
Condamne la société Agence de Fabron aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Agence de Fabron et la condamne à payer à Mme [C] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Agence de Fabron.
Premier moyen de cassation
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de la société AGENCE DE FABRON tendant à la condamnation de Mme [C] à lui payer la somme de 12 000 € à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence ;
Aux motifs que selon l'article 954 al. 3 du code de procédure civile, " la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif (?) " ; le non-respect par Mme [C] de la clause de non-concurrence pesant sur elle en vertu de l'article 12 de son mandat d'agent commercial du 2 janvier 2014 est discuté dans les motifs des conclusions tant de celle-ci que de l'AGENCE DE FABRON, mais aucune de ces parties ne l'a inclus dans le dispositif de ses écritures ; par suite, la cour n'a pas à examiner ce problème (arrêt, page 6) ;
1°/ Alors que le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ;
Que dans le dispositif de ses conclusions d'appel, régulièrement signifiées le 19 mars 2018, la société AGENCE DE FABRON a expressément demandé à la cour d'appel de condamner Mme [C] à lui payer la somme de 12 000 € à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence du contrat d'agent commercial (conclusions d'appel, page 8) ;
Que, dès lors, en relevant, pour dire n'y avoir lieu à statuer sur une telle demande, que si le non-respect par Mme [C] de la clause de non-concurrence pesant sur elle en vertu de l'article 12 du contrat d'agent commercial est discuté dans les motifs des conclusions des deux parties, aucune d'entre elles ne l'a inclus dans le dispositif de ses écritures, la cour d'appel, qui a dénaturé lesdites écritures, a méconnu le principe susvisé et violé l'article 1192 du code civil ;
2°/ Alors que le juge ne peut méconnaître les termes du litige, déterminés par les prétentions respectives des parties ;
Qu'en l'espèce, la société AGENCE DE FABRON a, dans les motifs de ses conclusions d'appel, régulièrement signifiées le 19 mars 2018, reproché à Mme [C] de n'avoir pas respecté la clause de non-concurrence de son contrat (conclusions, pages 7 et 8) et, dans le dispositif des mêmes écritures, réclamé de ce chef le paiement d'une somme de 12 000 € à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence (conclusions, page 8) ;
Que, dès lors, en relevant, pour dire n'y avoir lieu à statuer sur une telle demande, que si le non-respect par Mme [C] de la clause de non-concurrence pesant sur elle en vertu de l'article 12 du contrat d'agent commercial est discuté dans les motifs des conclusions des deux parties, aucune d'entre elles ne l'a inclus dans le dispositif de ses écritures, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile, ensemble les articles 561, 562 et 954 du même code.
Second moyen de cassation
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société AGENCE DE FABRON à payer à Mme [G] [C] la somme de 106 152 € au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial ;
Aux motifs que cet agent commercial est fondé à réclamer (?) l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi de l'article L 134-12 al. 1er : Mme [C], du fait de la rupture du mandat d'agent commercial par l'AGENCE DE FABRON, a perdu la part du potentiel dû au marché de cette dernière et donc aux commissions s'y rapportant qu'elle aurait pu continuer à percevoir ; ce préjudice sera indemnisé, vu la durée d'exercice de ce mandat (novembre 2013 à juin 2016 soit deux ans et sept mois) par la somme de 106 152 € correspondant à 24 mois de commissions que réclame à bon droit Mme [C] ; et cette indemnité ne peut être réduite par le mandat confié le 23 septembre 2016 à l'agence AZURIMMO nouveau mandant de Mme [C] par la société AL, laquelle avait précédemment (le 16 avril 2015) mandaté l'AGENCE DE FABRON, puisque ce premier mandat est venu à expiration le 15 avril 2016 et qu'il ne constituait qu'une très faible partie de l'activité de l'agent commercial (arrêt, page 6) ;
Alors que l'indemnité de cessation de contrat due à l'agent commercial ayant pour objet de réparer le préjudice subi du fait de la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties, la détermination de ce préjudice implique de prendre en considération les rémunérations perçues par l'agent postérieurement à la rupture du contrat ;
Qu'en l'espèce, il résulte des propres conclusions d'appel de Mme [C] que l'intéressée admettait avoir poursuivi son activité d'agent commercial immobilier au sein de l'agence AZURIMMO à compter du 29 juillet 2016 (conclusions d'appel, page 22), tandis que l'exposante a pareillement fait valoir " qu'immédiatement après avoir quitté la société concluante, Mme [C] a travaillé pour l'agence AZURIMMO GPR, toujours en qualité d'agent commercial " (conclusions d'appel de l'exposante, page 6), que l'intéressée avait, avec ce nouveau mandant, conservé ses clients (conclusions, page 7) et, ce faisant, avait méconnu la clause de non-concurrence à laquelle elle était tenue (conclusions, pages 7 et 8), de sorte qu'en cet état, elle n'avait subi aucun préjudice du fait de la rupture de son contrat avec la société AGENCE DE FABRON (conclusions, page 7) ;
Que, dès lors, en se bornant à relever que si Mme [C] est fondée à réclamer une indemnité de rupture égale à 24 mois de commissions, soit 106 152 €, il n'y a pas lieu, pour apprécier le préjudice subi, de déduire la commission afférente à une vente conclue par la société AZURIMMO avec la société AL, laquelle avait précédemment confié un mandat à la société exposante, dès lors que ledit mandat avait expiré le 15 avril 2016, sans rechercher si, indépendamment de cette vente et dès lors qu'il est constant que Mme [C], immédiatement après avoir quitté la société AGENCE DE FABRON, a poursuivi son activité, dans le même secteur, en qualité d'agent commercial de la société AZURIMMO, l'intéressée n'avait pas nécessairement perçu de cette dernière des commissions réduisant d'autant le préjudice subi du fait de la rupture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 134-12 du code de commerce.