LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 septembre 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 673 F-D
Pourvoi n° N 21-19.277
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
La société Bois du Cerf Property, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1]), a formé le pourvoi n° N 21-19.277 contre l'arrêt rendu le 23 février 2021 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant à la société Aprilis Contracting, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bech, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Bois du Cerf Property, de la SCP Zribi et Texier, avocat de la société Aprilis Contracting, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Maunand, conseiller doyen, M. Bech, conseiller rapporteur, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 23 février 2021), la société Bois du Cerf Property (la société Bois du Cerf) a confié à la société Aprilis Contracting (la société Aprilis) la construction de deux chalets, suivant les prescriptions d'un permis de construire qui lui avait été transféré.
2. Après dépôt de la déclaration d'achèvement et de conformité des travaux par la société Bois du Cerf, le maire de la commune lui a notifié une décision de refus de conformité.
3. La société Aprilis a assigné la société Bois du Cerf en paiement d'un solde du marché, de pénalités et d'une indemnité pour perte de rendement. La société Bois du Cerf a formé une demande reconventionnelle en indemnisation de divers préjudices.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société Bois du Cerf fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Aprilis différentes sommes au titre de plusieurs pénalités et de rejeter ses demandes indemnitaires, alors :
« 1°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, pour retenir que le maître de l'ouvrage aurait « fautivement refusé de procéder à la réception » des chalets, l'arrêt attaqué a déclaré que, « selon la norme NF P 03-001, les seuls griefs pouvant valablement motiver un refus (étaient) l'inachèvement d'un ouvrage ou un ensemble d'imperfections équivalant à un inachèvement ou nécessitant des reprises d'ouvrage », et qu'à « défaut d'invoquer l'une de ces raisons » le refus du maître de l'ouvrage était « abusif » ; qu'en relevant d'office ce moyen fondé sur les dispositions de la norme supplétive NF P 03-001, sans avoir au préalable invité les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction en violation de l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que l'article 17.2.6 de la norme NF P 03-001 admet le refus de réception du maître de l'ouvrage notamment en cas d'imperfections « nécessitant des reprises d'ouvrage » ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a relevé que la « régularisation de la situation » de l'ouvrage, lequel n'était pas « conforme à l'autorisation de construire », avait donné lieu à des « travaux modificatifs» concernant en particulier la réduction de « la hauteur » des « enrochements », autrement dit que des reprises de l'ouvrage avaient été rendues nécessaires en raison de sa non-conformité aux autorisations de construire ; qu'en déclarant cependant « abusif » le refus du maître de l'ouvrage de réceptionner les travaux non conformes, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1792-6 du code civil et de l'article 17.2.6 de la norme NF P 03-001 ;
3°/ que le maître de l'ouvrage peut opposer au constructeur la transgression des prescriptions du permis de construire, constitutive d'une faute à l'origine de la non-conformité de l'ouvrage, l'entrepreneur ne pouvant de ce chef se retrancher derrière de supposés choix opérés par le maître de l'ouvrage ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a déclaré le maître de l'ouvrage non fondé « dans son exception d'inexécution à l'encontre » du maître d'oeuvre/entreprise générale, au prétexte de son supposé « comportement » postérieur à la livraison des immeubles, tout en pointant leurs « non conformités » aux prescriptions du « permis de construire » et à « l'autorisation de construire » ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1147 du code civil, désormais article 1231-1 du même code. »
Réponse de la Cour
5. La société Bois du Cerf n'ayant pas soutenu devant la cour d'appel que son refus de procéder à la réception de l'ouvrage était justifié par la nécessité d'effectuer des travaux de reprise, le moyen, pris en sa deuxième branche, est nouveau, mélangé de fait et de droit.
6. La cour d'appel a relevé que la société Bois du Cerf n'avait pris aucune disposition pour rendre l'ouvrage conforme au permis de construire entre la date de réception du refus de conformité et celle d'une réunion avec la mairie, quelques mois plus tard, puis n'avait déposé que le 18 février 2018 le dossier de demande de permis modificatif qui lui avait été transmis le 28 mai 2016 par la société Aprilis, dont les modalités ne répondaient plus au plan local d'urbanisme adopté le 23 mars 2017, et qu'un accord avait finalement été obtenu des services communaux pour la délivrance d'un permis de construire modificatif à l'issue d'une médiation intervenue le 2 juillet 2018 à l'initiative du préfet de Haute-Savoie.
7. Ayant souverainement retenu que l'inertie et l'obstruction de la société Bois du Cerf avaient empêché la régularisation de la situation de l'immeuble au regard du plan d'occupation des sols antérieur au plan local d'urbanisme, la cour d'appel a pu, sans violer le principe de la contradiction, rejeter l'exception d'inexécution opposée par la société Bois du Cerf contre les demandes de la société Aprilis.
8. Le moyen, pour partie irrecevable, n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Bois du Cerf Property aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Bois du Cerf Property et la condamne à payer à la société Aprilis Contracting la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux, signé par Mme Teiller, président et par Mme Besse, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour la société Bois du Cerf Property
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir condamné le maître d'un ouvrage (la société Bois du Cerf Property, l'exposante) à payer au constructeur, à la fois maître d'oeuvre et entreprise générale (la société Aprilis Contracting), les sommes de 209 063,63 euros au titre des pénalités de retard sur le solde des travaux et de 84 483,53 euros au titre des pénalités contractuelles, et de l'avoir en conséquence débouté de ses propres demandes indemnitaires au titre des manquements du locateur ;
ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, pour retenir que le maître de l'ouvrage aurait « fautivement refusé de procéder à la réception » des chalets, l'arrêt attaqué a déclaré que, « selon la norme NF P 03-001, les seuls griefs pouvant valablement motiver un refus (étaient) l'inachèvement d'un ouvrage ou un ensemble d'imperfections équivalant à un inachèvement ou nécessitant des reprises d'ouvrage », et qu'à « défaut d'invoquer l'une de ces raisons » le refus du maître de l'ouvrage était « abusif » ; qu'en relevant d'office ce moyen fondé sur les dispositions de la norme supplétive NF P 03-001, sans avoir au préalable invité les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction en violation de l'article 16 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, en toute hypothèse, l'article 17.2.6 de la norme NF P 03-001 admet le refus de réception du maître de l'ouvrage notamment en cas d'imperfections « nécessitant des reprises d'ouvrage » ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a relevé que la « régularisation de la situation » de l'ouvrage, lequel n'était pas « conforme à l'autorisation de construire », avait donné lieu à des « travaux modificatifs » concernant en particulier la réduction de « la hauteur » des « enrochements », autrement dit que des reprises de l'ouvrage avaient été rendues nécessaires en raison de sa non-conformité aux autorisations de construire ; qu'en déclarant cependant « abusif » le refus du maître de l'ouvrage de réceptionner les travaux non conformes, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1792-6 du code civil et de l'article 17.2.6 de la norme NF P 03-001 ;
ALORS QUE, en outre, le maître de l'ouvrage peut opposer au constructeur la transgression des prescriptions du permis de construire, constitutive d'une faute à l'origine de la non-conformité de l'ouvrage, l'entrepreneur ne pouvant de ce chef se retrancher derrière de supposés choix opérés par le maître de l'ouvrage ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a déclaré le maître de l'ouvrage non fondé « dans son exception d'inexécution à l'encontre » du maître d'oeuvre/entreprise générale, au prétexte de son supposé « comportement »
postérieur à la livraison des immeubles, tout en pointant leurs « non conformités » aux prescriptions du « permis de construire » et à « l'autorisation de construire » ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1147 du code civil, désormais article 1231-1 du même code.