LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 septembre 2022
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 635 F-D
Pourvoi n° N 21-14.999
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
1°/ Mme [U] [M], épouse [T],
2°/ M. [X] [T],
domiciliés tous deux [Adresse 10],
ont formé le pourvoi n° N 21-14.999 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis (chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [Z] [I], domicilié [Adresse 9],
2°/ à M. [N] [I], domicilié [Adresse 7],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [T], de Me Balat, avocat de MM. [Z] et [N] [I], après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 11 décembre 2020), par acte du 17 janvier 2011, M. et Mme [T] ont acquis un terrain cadastré EX n° [Cadastre 4].
2. Propriétaires des parcelles EX n° [Cadastre 2] et [Cadastre 3], issues de la division de la parcelle EX n° [Cadastre 5] anciennement cadastrée EX n° [Cadastre 6] et qu'ils ont acquises par donation du 23 juin 2000, MM. [Z] et [N] [I] (les consorts [I]) ont assigné M. et Mme [T] en reconnaissance d'une servitude de passage et en remise en état de l'assiette de cette servitude.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. et Mme [T] font grief à l'arrêt de constater l'existence d'une servitude de passage au profit des parcelles EX n° [Cadastre 2] et [Cadastre 3] et de les condamner à en rétablir l'usage, alors « qu'une servitude discontinue ne peut être établie par les seules énonciations du titre du fonds dominant, sauf le cas où le propriétaire du fonds servant a été partie à cet acte ; qu'en retenant l'existence d'une servitude de passage, qui grèverait le fonds des époux [T] au profit du fonds des consorts [I], en raison des seules mentions des titres de propriété du fonds dit dominant, auquel le propriétaire du fonds dit servant n'était pas partie et après avoir constaté l'absence de toute mention d'une servitude dans le titre de propriété du fonds prétendument servant, la cour d'appel a violé les articles 686 et suivants du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 695 du code civil :
4. Aux termes de ce texte, le titre constitutif de la servitude, à l'égard de celles qui ne peuvent s'acquérir par la prescription, ne peut être remplacé que par un titre récognitif de la servitude, et émané du propriétaire du fonds asservi.
5. Pour constater l'existence de la servitude litigieuse, l'arrêt retient, d'une part, que, si le passage n'est pas mentionné dans l'acte d'acquisition de la parcelle EX n° [Cadastre 4] par M. et Mme [T], il l'est dans les actes de vente de la parcelle EX n° [Cadastre 6] devenue EX n° [Cadastre 5] établis les 16 juin 1951, 30 mai 1958, 30 mars 1991 et 29 avril 1998, ainsi que dans la donation, consentie aux consorts [I] le 23 juin 2000, des parcelles EX n° [Cadastre 2] et [Cadastre 3] qui en sont issues, d'autre part, que l'acte précité du 30 mai 1958, publié, est opposable à M. et Mme [T].
6. En statuant ainsi, alors qu'une servitude discontinue, en l'absence de présentation du titre constitutif, ne peut être établie par des titres, fussent-ils publiés, n'émanant pas du propriétaire du fonds asservi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. M. et Mme [T] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande indemnitaire au titre du préjudice occasionné par des violences verbales et des menaces, alors « qu'un jugement doit être motivé ; qu'en rejetant les demandes des époux [T] en réparation du préjudice moral subi du fait des menaces verbales, harcèlement et violences volontaires des consorts [I], depuis 2011, sans aucunement motiver sa décision, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
8. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.
9. Pour rejeter la demande indemnitaire au titre d'un préjudice moral occasionné par des violences verbales et des menaces, l'arrêt, constatant l'existence de la servitude contestée par M. et Mme [T], se borne à rejeter toutes leurs prétentions par voie de conséquence.
10. En statuant ainsi, sans donner aucun motif à sa décision de ce chef, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
11. M. et Mme [T] font grief à l'arrêt de les condamner au paiement de dommages-intérêts, alors « que le juge qui se borne, au titre de sa motivation, à reproduire les conclusions d'appel de la partie aux prétentions de laquelle il fait droit, ne statue que par une apparence de motivation faisant peser un doute sur l'impartialité de la juridiction ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a motivé sa décision en reprenant, quasiment mot pour mot, l'argumentation soutenue par les consorts [I] en appel ; qu'en statuant ainsi, en des termes incompatibles avec l'exigence d'impartialité, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et du Citoyen, ensemble l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 455 du code de procédure civile :
12. Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial.
13. Selon le second, tout jugement doit être motivé.
14. Pour condamner M. et Mme [T] au paiement de dommages et intérêts en réparation d'un dommage moral et d'un préjudice de jouissance, l'arrêt se borne à reproduire, sans aucune autre motivation, à l'exception de quelques adaptations, les conclusions des consorts [I].
15. En statuant ainsi, par une apparence de motivation pouvant faire peser un doute sur l'impartialité de la juridiction, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis, autrement composée ;
Condamne MM. [Z] et [N] [I] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par MM. [Z] et [N] [I] et les condamne à payer à M. et Mme [T] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [T]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir constaté l'existence d'un chemin de servitude desservant les parcelles EX [Cadastre 2] et EX [Cadastre 3] issues de la division de la parcelle EX [Cadastre 5], au lieu-dit [Adresse 1], actuellement dénommé [Adresse 8], d'avoir ordonné, sous astreinte, la cessation de tout trouble manifestement illicite et condamné les époux [T] à payer à chacun des consorts [I] la somme de 3.000 euros au titre du préjudice moral et de jouissance subi;
1°) ALORS QU'une servitude discontinue ne peut être établie par les seules énonciations du titre du fonds dominant, sauf le cas où le propriétaire du fonds servant a été partie à cet acte ; qu'en retenant l'existence d'une servitude de passage, qui grèverait le fonds des époux [T] au profit du fonds des consorts [I], en raison des seules mentions des titres de propriété du fonds dit dominant, auquel le propriétaire du fonds dit servant n'était pas partie et après avoir constaté l'absence de toute mention d'une servitude dans le titre de propriété du fonds prétendument servant, la cour d'appel a violé les articles 686 et suivants du code civil ;
2°) ALORS QU'en retenant l'existence d'une servitude grevant le fonds des époux [T], mais mentionnée dans les titres des consorts [I] comme constituée sur le fonds d'un Monsieur [E], sans constater l'identité du fonds de Monsieur [E] et celui des consorts [T], la cour d'appel a violé les articles 686 et suivants du code civil
3°) ALORS QUE la connaissance de l'existence d'une servitude de passage est seulement une condition d'opposabilité de la servitude aux tiers et non un mode de constitution de cette servitude ; qu'en jugeant la servitude de passage établie au motif que les époux [T] en connaissaient l'existence, la cour d'appel a violé les articles 686 et suivants du code civil, ensemble les articles 8, 28 et 30-1 du décret du 4 janvier 1955.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande d'indemnisation des époux [T] au titre du préjudice subi et de les avoir condamnés à verser la somme de 3.000 euros à chacun des consorts [I];
1°) ALORS QU'un jugement doit être motivé ; qu'en rejetant les demandes des époux [T] en réparation du préjudice moral subi du fait des menaces verbales, harcèlement et violences volontaires des consorts [I], depuis 2011, sans aucunement motiver sa décision, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE, en toute hypothèse, tout fait de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que les menaces et violences causes de préjudice entraînent droit à réparation pour la victime, peu important que celle-ci puisse être elle-même reconnue responsable de violences ; que les époux [T] faisaient valoir avoir subi depuis 2011 un préjudice moral du fait des menaces, violences et harcèlement des consorts [I]; que la condamnation des époux [T] au titre de pressions qu'ils auraient fait subir aux consorts [I] ne justifiait pas de rejeter leurs propres demandes, fondées sur un fait causal et un préjudice différents ; qu'en rejetant pourtant ces demandes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné les époux [T] à payer à chacun des consorts [I] la somme de 3.000 euros au titre du préjudice moral et de jouissance subi;
ALORS QUE le juge qui se borne, au titre de sa motivation, à reproduire les conclusions d'appel de la partie aux prétentions de laquelle il fait droit, ne statue que par une apparence de motivation faisant peser un doute sur l'impartialité de la juridiction ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a motivé sa décision en reprenant, quasiment mot pour mot, l'argumentation soutenue par les consorts [I] en appel ; qu'en statuant ainsi, en des termes incompatibles avec l'exigence d'impartialité, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et du Citoyen, ensemble l'article 455 du code de procédure civile.