LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 949 F-D
Pourvoi n° S 21-10.633
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [F].
Admission du bureau d'aide juridictionelle
près la Cour de cassation
en date du 25 mai 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
La société Agif expertise, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la société Pyxia finances, elle-même venant aux droits de la société Pyxia, elle-même venant aux droits de la société Pyxia-BBV associés, a formé le pourvoi n° S 21-10.633 contre l'arrêt rendu le 25 novembre 2020 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre prud'homale, prud'hommes), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [D] [F], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Agif expertise, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de Mme [F], après débats en l'audience publique du 15 juin 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Agostini, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 25 novembre 2020), Mme [F] a été engagée par la société BBV associés, aux droits de laquelle vient la société Agif expertise (la société), par un contrat de travail à durée déterminée à compter du 25 mai 1998 puis, par avenant du 3 mai 1999, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, la salariée occupant toujours un emploi de secrétaire. Au dernier état de la relation contractuelle, la salariée était occupée à temps partiel à raison de 121,33 heures mensuelles, classée au coefficient 175 et percevait une rémunération brute mensuelle moyenne de 1 223,55 euros. Au cours de la relation contractuelle, l'employeur a notifié à la salariée plusieurs sanctions disciplinaires. Par courrier en date du 21 avril 2017, la salariée s'est portée candidate au second tour des élections des délégués du personnel.
2. Licenciée le 16 avril 2018 pour faute grave, la salariée, qui avait saisi la juridiction prud'homale le 6 septembre 2017, contestant la légitimité des sanctions disciplinaires et invoquant l'existence d'une discrimination, a formé des demandes au titre de l'exécution de son contrat de travail et de la rupture de celui-ci.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de dire le licenciement de la salariée nul, de la condamner en conséquence à lui verser certaines sommes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de l'indemnité légale de licenciement et à titre de dommages-intérêts en réparation de la discrimination subie et pour licenciement nul, et de la condamner à verser au Pôle emploi le montant des indemnités chômage versées à la salariée depuis son licenciement dans la limite de trois mois, alors « qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la salariée s'était bien portée candidate aux élections de délégués du personnel le 24 avril 2017, mais que son licenciement pour faute grave avait été prononcé le 16 avril 2018 ; qu'à la date de son licenciement, la salariée ne bénéficiait plus de la protection attachée à sa candidature ; qu'en jugeant que le licenciement de la salariée devait être déclaré nul comme discriminatoire au motif que cette salariée s'était portée candidate le 24 avril 2017 et avait été convoquée à un entretien préalable à licenciement par courrier du 9 avril 2017 ou du 9 mai 2017 sans respect de la procédure de protection, cependant qu'il ressortait de ses constatations que la salariée ne pouvait plus prétendre au bénéfice de la protection accordée aux salariés protégés à la date de son licenciement, le 16 avril 2018, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 1132-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1132-4 et L. 2411-7 du code du travail :
4. La qualité de salarié protégé s'apprécie à la date de l'envoi par l'employeur de la convocation à un entretien préalable de licenciement.
5. Pour dire le licenciement de la salariée nul et condamner la société à lui payer certaines sommes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de l'indemnité légale de licenciement et à titre de dommages-intérêts en réparation de la discrimination subie et pour licenciement nul, l'arrêt retient que la salariée s'est portée candidate aux élections des délégués du personnel le 24 avril 2017 et qu'elle a été convoquée à un entretien préalable à licenciement par courrier du 9 mai 2017, qu'ainsi la salariée a été victime de discrimination syndicale en ce qu'elle s'est portée candidate aux élections des délégués du personnel le 24 avril 2017 et qu'elle a été convoquée à un entretien préalable à licenciement sans respect de la procédure de protection, que l'article L. 1132-4 du code du travail dispose que toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions précédentes est nul et que, par application de cet article, le licenciement de la salariée sera déclaré nul comme discriminatoire.
6. En se déterminant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que, si la salariée s'était portée candidate, par lettre du 21 avril 2017, au second tour des élections des délégués du personnel du 24 avril 2017, la convocation du 9 mai 2017 à un entretien préalable fixé au 19 mai 2017 concernait une éventuelle sanction disciplinaire, qu'elle avait reçu le 19 juin 2017 un avertissement dont la cour d'appel a confirmé la validité, et sans rechercher à quelle date la salariée avait été convoquée à l'entretien préalable au licenciement prononcé le 16 avril 2018, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société à certaines sommes à titre de rappel conventionnel, congés payés afférents et rappel de 13ème mois pour la période du 1er novembre 2012 au 16 avril 2018
Enoncé du moyen
7. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la salariée certaines sommes à titre de rappel conventionnel pour la période comprise entre le 1er novembre 2012 et le 16 avril 2018, congés payés afférents et rappel de 13ème mois pour la même période, alors « qu'en l'absence de dispositions conventionnelles contraires, toutes les sommes versées mensuellement en contrepartie du travail, parmi lesquelles figurent la part mensuelle d'un treizième mois, entrent dans le calcul de la rémunération mensuelle à comparer avec le salaire minimum garanti ; qu'en excluant la part mensuelle du treizième mois au seul motif que le contrat de travail donnait le détail des éléments composant le salaire mensuel de la salariée et en l'absence de toute disposition de la convention collective applicable imposant une telle exclusion, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 du code du travail et 1103 (ancien article 1134 alinéa 1) du code civil, ensemble les articles 5.1 à 5.4 de la convention collective nationale des cabinets d'expertise comptable. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 5.1 à 5.4 de la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et de commissaires aux comptes du 9 décembre 1974 :
8. En l'absence de dispositions conventionnelles contraires, toutes les sommes versées en contrepartie du travail entrent dans le calcul de la rémunération à comparer avec le salaire minimum garanti.
9. Pour condamner la société à payer à la salariée certaines sommes à titre de rappel conventionnel, congés payés afférents et rappel de 13ème mois pour la période du 1er novembre 2012 au 16 avril 2018, l'arrêt retient que si le contrat de travail prévoit le bénéfice du 13ème mois d'une façon séparée de la rémunération mensuelle et que le salarié a été rémunéré sur la base du minimum conventionnel et a perçu en outre le 13ème mois, il y a lieu d'exclure ce 13ème mois du salaire minimum garanti par la convention collective, que lorsque le salaire minimum conventionnel est un minimum mensuel, il convient d'apprécier mois par mois si le salarié a bien perçu une rémunération au moins égale au minimum conventionnel, qu'en l'espèce, il ressort du contrat de travail de la salariée et plus spécifiquement de l'avenant du 3 mai 1999 qu'au titre de sa rémunération mensuelle elle devait percevoir d'une part le salaire de base, d'autre part une majoration conventionnelle et enfin 1/12 du 13ème mois, que les conditions contractuelles de l'embauche prévoyaient ainsi le bénéfice du 13ème mois de façon séparée de la rémunération mensuelle, qu'en conséquence, il y a lieu d'exclure ce 13ème mois du calcul du salaire minimum conventionnel. Il ajoute qu'il résulte des éléments du dossier qu'à compter du 1er novembre 2012 la salariée n'a pas perçu le salaire minimum conventionnel, que les calculs effectués par la salariée ne sont pas spécifiquement contestés en leur quantum par l'employeur et qu'en conséquence, par infirmation du jugement entrepris, il sera fait droit à la demande de rappel de salaire formée par la salariée à hauteur de la somme précisée au dispositif de l'arrêt et qu'il sera également fait droit à la demande de rappel au titre du 13ème mois.
10. En statuant ainsi, alors que la convention collective n'exclut pas du calcul de la rémunération à comparer avec le salaire minimum garanti le 13ème mois, lequel constitue, pour les mois où il a effectivement été versé, la contrepartie à la prestation de travail, de sorte que cet élément de salaire doit être pris en compte pour vérifier le respect du minimum conventionnel, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement de Mme [F] nul, condamne la société Agif expertises venant aux droits de la société Pyxia BBV-associés à lui verser les sommes de 4 528,34 euros à titre de rappel de salaire conventionnel pour la période comprise entre le 1er novembre 2012 et le 16 avril 2018 outre 452,83 euros au titre des congés payés y afférents, 343 euros à titre de rappel de 13ème mois pour la période comprise entre le 1er novembre 2012 et le 16 avril 2018, 3 674,04 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 367,40 euros au titre des congés payés y afférents, 7 143,96 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2018, 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la discrimination subie, 18 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt et condamne la société Agif expertises venant aux droits de la société Pyxia BBV-associés à verser à l'organisme concerné le montant des indemnités chômage versées à Mme [F] depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations, l'arrêt rendu le 25 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne Mme [F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Agif Expertise
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société Agif Expertise fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit le licenciement de Madame [F] nul, de l'AVOIR condamnée en conséquence à lui verser les sommes de 3.674,04 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 367,40 euros au titre des congés payés y afférents, 7.143,96 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2018, 2.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la discrimination subie, 18.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, et de l'AVOIR condamnée à verser au Pôle Emploi le montant des indemnités chômage versées à la salariée depuis son licenciement dans la limite de trois mois ;
1. ALORS QU' il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que Madame [F] s'était bien portée candidate aux élections de délégués du personnel le 24 avril 2017, mais que son licenciement pour faute grave avait été prononcé le 16 avril 2018 ; qu'à la date de son licenciement, la salariée ne bénéficiait plus de la protection attachée à sa candidature ; qu'en jugeant que le licenciement de Madame [F] devait être déclaré nul comme discriminatoire au motif que cette salariée s'était portée candidate le 24 avril 2017 et avait été convoquée à un entretien préalable à licenciement par courrier du 9 avril 2017 (arrêt page 20) ou du 9 mai 2017 (arrêt pages 4 et 19) sans respect de la procédure de protection, cependant qu'il ressortait de ses constatations que la salariée ne pouvait plus prétendre au bénéfice de la protection accordée aux salariés protégés à la date de son licenciement, le 16 avril 2018, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 1132-4 du code du travail ;
2. ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE si Madame [F] affirmait bien avoir été victime d'une discrimination, notamment en raison de sa candidature aux élections de délégués du personnel, elle n'invoquait pour autant aucune violation caractérisée de son statut protecteur ; que son employeur n'avait donc pas été mis en mesure de contester la réalité d'une telle violation ; qu'en déduisant l'existence d'une discrimination du fait que la société Agif Expertise « n'explique pas les raisons pour lesquelles [elle] a procédé au licenciement d'une candidate aux élections des délégués du personnel sans lui faire faire bénéficier du régime de protection applicable », quand elle n'avait pas à s'en expliquer en l'absence de prétention de cette nature clairement émise par la salariée, la cour d'appel a modifié l'objet du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
La société Agif Expertise fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR condamnée à verser à Madame [F] la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la discrimination subie ;
1. ALORS QU'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que, si la mise à pied disciplinaire du 25 septembre 2017 a bien été annulée, c'est en raison de l'insuffisance des preuves rapportées et au motif que le doute devait profiter à la salariée et que, de surcroit, le licenciement pour faute grave avait été prononcé le 16 avril 2018 soit près d'un an après la date du 24 avril 2017 à laquelle la salariée s'était portée candidate aux élections de délégués du personnel ; qu'en jugeant que Madame [F] avait été victime de discrimination syndicale, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 2141-5, L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;
2. ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU' en jugeant que la salariée avait été victime de discrimination par des motifs confus et contradictoires qui ne permettaient pas de caractériser la discrimination retenue, la cour d'appel privé sa décision de motifs et a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
La société Agif Expertise fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR condamnée à verser à Madame [F] les sommes de 4.528,34 euros à titre de rappel conventionnel pour la période comprise entre le 1er novembre 2012 et le 16 avril 2018, outre 452,83 euros au titre des congés payés afférents, 343 euros à titre de rappel de 13e mois pour la période comprise entre le 1er novembre 2012 et le 16 avril 2018 et, en conséquence, les sommes de 3.674,04 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 367,40 euros au titre des congés payés y afférents, 7.143,96 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2018, 2.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la discrimination subie, 18.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'arrêt ;
1. ALORS QU' en l'absence de dispositions conventionnelles contraires, toutes les sommes versées mensuellement en contrepartie du travail, parmi lesquelles figurent la part mensuelle d'un treizième mois, entrent dans le calcul de la rémunération mensuelle à comparer avec le salaire minimum garanti ; qu'en excluant la part mensuelle du treizième mois au seul motif que le contrat de travail donnait le détail des éléments composant le salaire mensuel de la salariée et en l'absence de toute disposition de la convention collective applicable imposant une telle exclusion, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 du code du travail et 1103 (ancien article 1134 alinéa 1) du code civil, ensemble les articles 5.1 à 5.4 de la convention collective nationale des cabinets d'expertise comptable ;
2. ALORS QUE par application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure de l'arrêt attaqué en ce qu'il a exclu le treizième mois du calcul de la rémunération mensuelle et condamné la société Agif Expertise à verser un rappel de salaire au titre de la rémunération conventionnelle mensuelle entrainera par voie de conséquences la censure de cette même décision en ce qu'elle a fixé le montant de différentes condamnations pécuniaires assises sur ce salaire mensuel, à supposer qu'elles soient dues, telles que l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité légale de licenciement et l'indemnité pour licenciement nul.