La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/09/2022 | FRANCE | N°21-84325

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 07 septembre 2022, 21-84325


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° S 21-84.325 F-D

N° 00887

RB5
7 SEPTEMBRE 2022

CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI

Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 SEPTEMBRE 2022

M. [N] [F] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en dat

e du 30 juin 2021, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, 50 000 euros d'amen...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° S 21-84.325 F-D

N° 00887

RB5
7 SEPTEMBRE 2022

CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI

Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 SEPTEMBRE 2022

M. [N] [F] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 30 juin 2021, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, 50 000 euros d'amende, et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [N] [F], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques, et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juin 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme Planchon, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 29 mai 2015, le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France a déposé plainte auprès du procureur de la République, suivant avis conforme de la commission des infractions fiscales, à l'encontre de M. [N] [F], notamment pour défaut de souscription de déclarations de ses revenus au titre des années 2009 et 2010.

3. L'administration fiscale a exposé que M. [F], médecin de nationalité égyptienne, qui déclarait être séparé de son épouse et être domicilié en Egypte, était en réalité, au sens des dispositions des articles 4 A et 4 B du code général des impôts, fiscalement domicilié en France, où vivait Mme [F], et qu'il était en conséquence tenu d'établir au titre des années 2009 et 2010, une déclaration détaillée de l'ensemble de ses revenus personnels, ce qu'il s'était abstenu de faire, malgré plusieurs mises en demeure.

4. A l'issue de l'enquête préliminaire, M. [F] a été cité devant le tribunal correctionnel du chef de fraude fiscale pour s'être à [Localité 1], entre le 1er janvier 2009 et le 30 mai 2011, au titre des années fiscales 2009 et 2010, volontairement et frauduleusement soustrait à l'établissement et au paiement total de l'impôt sur le revenu, en l'espèce en s'abstenant de souscrire les déclarations d'ensemble des revenus exigibles, au titre des années visées et en revendiquant abusivement une domiciliation à l'étranger.

5. Par jugement du 20 décembre 2018, le tribunal correctionnel a déclaré M. [F] coupable de ces faits, l'a condamné à quatre ans d'emprisonnement assorti d'un sursis probatoire, a ordonné la publication de la décision et a reçu la constitution de partie civile de l'administration fiscale.

6. M. [F] et le procureur de la République ont formé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [F] à la peine de dix-huit mois d'emprisonnement, a dit que cette peine sera totalement assortie d'un sursis, conformément aux dispositions des articles 132-29 et suivants du code pénal et a condamné M. [F] à une amende de 50 000 euros, alors « qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, préalablement au prononcé de toute peine de nature à réprimer les faits commis, si la répression pénale était justifiée au regard de la gravité des faits retenus, alors qu'il était établi que M. [F] avait fait l'objet d'une pénalité fiscale sur le fondement de l'article 1728 1 a et b du code général des impôts, la cour d'appel a méconnu la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel énoncé dans sa décision n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018 relative à l'application des articles 1728 et 1741 du code général des impôts. »

Réponse de la Cour

9. Le Conseil constitutionnel a déclaré conforme aux principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines le cumul des poursuites et sanctions pénales et fiscales en cas de dissimulation de sommes sujettes à l'impôt, comme en cas d'omission de déclaration.

10. Cependant, le Conseil constitutionnel a jugé que l'article 1741 du code général des impôts qui sanctionne la fraude fiscale ne s'applique qu'aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l'impôt, ou d'omission déclarative, cette gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention.

11. Il résulte de cette réserve d'interprétation que lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l'article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d'une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation (Crim., 11 septembre 2019, pourvois n° 18-81.067, n° 18-81.040 et n° 18-84.144).

12. En l'espèce, pour condamner le prévenu du chef de fraude fiscale, la cour d'appel s'est prononcée aux termes de motifs portant sur la caractérisation de l'infraction et le choix des peines.

13. En statuant ainsi, sans rechercher, préalablement au prononcé de toute peine de nature à réprimer les faits commis, si la répression pénale était justifiée au regard de la gravité des faits retenus, alors qu'il était justifié de ce que le prévenu avait fait l'objet d'une pénalité fiscale sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts, la cour d'appel a méconnu la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel.

14. Cependant l'arrêt n'encourt pas la censure.

15. En effet, au regard des éléments de fait souverainement constatés par la cour d'appel, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer de la gravité des faits retenus à l'encontre du prévenu tenant au montant des droits éludés s'élevant à 2 499 937 euros.

16. Ainsi le moyen doit être écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [F] à la peine de dix-huit mois d'emprisonnement, a dit que cette peine sera totalement assortie d'un sursis, conformément aux dispositions des articles 132-29 et suivants du code pénal et l'a condamné à une amende de 50 000 euros, alors « que pour condamner M. [F] à la peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 50 000 euros, l'arrêt attaqué énonce que si le montant des droits éludés est important, en revanche, comme le soutient la défense, la fraude a consisté à revendiquer à tort un statut fiscal de non-résident, sans recourir ni à un stratagème astucieux ni à des intermédiaires avisés, que M. [F] est poursuivi pour la première fois, ayant été jusqu'à I'époque de la prévention sans antécédent fiscal, que la cour prononcera à son encontre une peine de dix-huit mois d'emprisonnement, qui tient compte de I'importance de la fraude, cette peine étant entièrement assortie d'un sursis auquel le prévenu est éligible et qu'en raison du caractère lucratif de la fraude, la cour condamnera également le prévenu à une amende de 50 000 euros, proportionnée à ses revenus et à son patrimoine, dont elle représente une fraction très minime ; qu'en prononçant ainsi, sans s'expliquer sur la personnalité du prévenu et sa situation personnelle, autrement qu'en mentionnant l'absence d'antécédent pénal et fiscal de l'intéressé, la cour d'appel a violé l'article 132-1 du code pénal et les articles 485, 512 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

18. Pour condamner le prévenu à la peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, l'arrêt attaqué énonce que si le montant des droits éludés est important, en revanche, comme le soutient la défense, la fraude a consisté à revendiquer à tort un statut fiscal de non-résident, sans recourir ni à un stratagème astucieux ni à des intermédiaires avisés.

19. Les juges ajoutent que M. [F] est poursuivi pour la première fois, ayant été jusqu'à l'époque de la prévention sans antécédent fiscal.

20. La cour d'appel conclut que pour ces raisons elle infirmera la peine prononcée par les premiers juges, et prononcera à son encontre une peine de dix-huit mois d'emprisonnement, qui tient compte de l'importance de la fraude, cette peine étant entièrement assortie d'un sursis auquel le prévenu est éligible.

21. Les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a significativement réduit la durée de la peine d'emprisonnement prononcée par les premiers juges par des motifs qui répondent aux exigences de motivation résultant de l'article 485-1 du code de procédure pénale.

22. Le moyen doit donc être écarté.

Mais sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

23. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [F] à la peine de dix-huit mois d'emprisonnement, a dit que cette peine sera totalement assortie d'un sursis, conformément aux dispositions des articles 132-29 et suivants du code pénal et l'a condamné à une amende de 50 000 euros, alors « que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ; qu'après avoir déclaré M. [F] coupable des faits de fraude fiscale, commis entre le 1er janvier 2009 et le 30 mai 2011, l'arrêt le condamne à la peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 50 000 euros ; qu'en se prononçant ainsi, alors qu'à la date des faits, l'amende encourue au titre de l'article 1741 du code général des impôts dans sa version modifiée par la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 était de 37 500 euros, la cour d'appel a violé les articles 111-3 et 112-1 du code du code pénal, ensemble l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Réponse de la Cour

Vu l'article 111-3, alinéa 2, du code pénal :

24. Selon ce texte, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.

25. Après avoir déclaré le prévenu coupable de fraude fiscale pour des faits commis entre le 1er janvier 2009 et le 30 mai 2011, l'arrêt le condamne à 50 000 euros d'amende.

26. En prononçant une peine qui excède le maximum de 37 500 euros prévu par l'article 1741 du code général des impôts, dans sa version en vigueur à la date des faits, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

27. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

28. La cassation sera limitée à la seule disposition relative au montant de la peine d'amende prononcée à l'encontre de M. [F], dès lors que la déclaration de culpabilité et le prononcé de la peine d'emprisonnement n'encourent pas la censure.

29. Elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 30 juin 2021, mais en sa seule disposition relative au montant de l'amende prononcée, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

FIXE à 37 500 euros le montant de l'amende prononcée contre M. [F] ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept septembre deux mille vingt-deux.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 21-84325
Date de la décision : 07/09/2022
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 30 juin 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 07 sep. 2022, pourvoi n°21-84325


Composition du Tribunal
Président : Mme de la Lance (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Didier et Pinet, SCP Foussard et Froger

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:21.84325
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award