LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 21-83.536 F-D
N° 01057
MAS2
7 SEPTEMBRE 2022
CASSATION
Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 SEPTEMBRE 2022
Mme [U] [W], épouse [C], MM. [A], [M] et [O] [C], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 30 avril 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 20 mars 2019, n° 18-83.419), a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction refusant d'informer sur leur plainte du chef de faux et usage.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ampliatif et personnel, communs aux demandeurs, et un mémoire en défense ont été produits.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [U] [C], MM. [A], [M] et [O] [C], les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [E] [F], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 juin 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme Planchon, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre d'une action en bornage, le tribunal d'instance de Montélimar a, par un jugement en date du 22 novembre 2012, prononcé le bornage des propriétés de [D] [B], d'une part, et de Mme [U] [C], MM. [A], [M] et [O] [C], d'autre part, conformément au rapport de M. [E] [F], expert judiciaire, déposé le 30 avril 2012.
3. La cour d'appel de Grenoble a, par un arrêt du 23 juin 2015, confirmé le jugement, condamnant en outre Mme [C] et MM. [C] à l'enlèvement des ouvrages construits et à la remise en état de la parcelle.
4. Mme [C] et MM. [C] ont déposé plainte le 30 juin 2016 contre M. [F] des chefs de faux et usage, lui reprochant notamment d'avoir omis d'annexer certaines pièces au rapport, d'y avoir affirmé mensongèrement que l'une des parcelles était à usage de chemin et d'avoir falsifié les données fournies.
5. Un classement sans suite de leur plainte étant intervenu le 18 février 2017, ils ont porté plainte et se sont constitués partie civile desdits chefs le 28 juin 2017.
6. Par ordonnance en date du 9 novembre 2017, dont les parties civiles ont relevé appel, le juge d'instruction a refusé d'informer au motif que les faits fixés par la plainte avec constitution de partie civile ne sont pas suffisamment établis.
Examen de la recevabilité des pourvois formés par Mme [C] et MM. [M] et [O] [C]
7. Les déclarations de pourvoi ont été effectuées par M. [A] [C], en son nom propre et pour le compte de son épouse et de ses deux fils.
8. Les trois procurations dont était muni M. [A] [C] apparaissent signées, datées du 3 mai 2021 et indiquent spécifiquement que les mandataires donnent pouvoir à M. [A] [C] pour les « représenter dans la déclaration de pourvoi en cassation qu'il déposera ce jour auprès du greffier de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de LYON suite à l'arrêt de cette même chambre en date du 30 avril 2021, dossier 2019/1010 ».
9. Il en résulte que les procurations satisfont aux exigences des pouvoirs spéciaux et que les pourvois sont recevables.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, quatrième, cinquième, sixième, septième, huitième, neuvième, dixième, onzième et douzième moyens proposés par Mme et MM. [C]
10. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le troisième moyen proposé par Mme et MM. [C] et le moyen proposé pour eux
Enoncé des moyens
11. Le troisième moyen, proposé par Mme et MM. [C], est pris de la violation des articles 8, 591 et 593 du code de procédure pénale.
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté la prescription, alors qu'une prescription de six années doit s'appliquer à compter du 17 février 2016, la pose des bornes à cette date étant liée au jugement du 23 juin 2011 qui ordonnait le bornage.
13. Le moyen, proposé pour Mme et MM. [C], critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de refus d'informer rendue le 9 novembre 2017, par substitution de motifs, en constatant que les faits invoqués ne peuvent légalement comporter une poursuite, alors :
« 1°/ que l'usage de faux constitue une infraction instantanée pour laquelle la prescription commence à courir du jour du dernier usage délictueux ; qu'en retenant que les faits de falsification d'expertise dénoncés par les consorts [C] étaient prescrits dès lors qu'il s'était écoulé plus de trois ans entre la date du jugement du 22 novembre 2012 et le dépôt de la plainte du 30 juin 2016 et qu'il en était de même pour toute autre infraction délictuelle, sans rechercher comme elle y était invitée, si le rapport d'expertise argué de faux n'avait pas été invoqué aux différents stades du procès civil, achevé le 23 juin 2015, et s'il n'avait pas servi de fondement à la pose des bornes le 17 février 2016, ce dont il résultait que les faits d'usage de faux dénoncés n'étaient pas prescrits, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles 85 et 86 du code de procédure pénale, 441-1 du code pénal et 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
2°/ qu'en se bornant à relever, pour confirmer l'ordonnance de refus d'informer, « qu'aucun élément ne permet de soutenir une autre incrimination, en particulier celle d'usage de faux », la chambre de l'instruction s'est limitée à d'un examen abstrait des termes de la plainte, et n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles 441-1 du code pénal, 593 du code de procédure pénale et 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. ».
Réponse de la Cour
14. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 85 et 86 du code de procédure pénale :
15. Il résulte des deux premiers de ces textes que la juridiction d'instruction, régulièrement saisie d'une plainte avec constitution de partie civile, a le devoir d'instruire, quelles que soient les réquisitions du ministère public, cette obligation ne cessant que si, pour des causes affectant l'action publique elle-même, les faits ne peuvent comporter légalement aucune poursuite ou si, à les supposer démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale.
16. Pour confirmer l'ordonnance de refus d'informer rendue par le juge d'instruction par substitution de motifs et dire que les faits invoqués ne peuvent légalement comporter une poursuite, l'arrêt attaqué énonce que Mme et MM. [C], qui ont eu connaissance dans le cadre de l'instance civile du rapport d'expertise incriminé, n'ont pas élevé de contestation sur une éventuelle falsification de celui-ci et que l'infraction de falsification d'expertise, à la supposer constituée, est prescrite, dès lors qu'il s'est écoulé plus de trois ans entre le 22 novembre 2012, date du jugement de bornage, et le 30 juin 2016, date de leur plainte.
17. Les juges concluent qu'il en est de même de toute infraction délictuelle, alors que seul l'expert, M. [F], est incriminé et qu'aucun élément ne permet de soutenir une autre incrimination, en particulier celle d'usage de faux.
18. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction, qui n'a pas vérifié par une information préalable la réalité des faits allégués d'usage d'une expertise falsifiée pouvant relever de l'article 441-1 du code pénal, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
19. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 30 avril 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept septembre deux mille vingt-deux.