LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° M 21-87.172 F-D
N° 01029
ODVS
6 SEPTEMBRE 2022
CASSATION
Mme INGALL-MONTAGNIER conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 SEPTEMBRE 2022
M. [I] [P], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-4, en date du 14 janvier 2020, qui, dans la procédure suivie contre Mme [R] [S] du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Goanvic, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de M. [I] [P], les observations de la SCP Richard, avocat de défendeurs et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 juin 2022 où étaient présents Mme Ingall-Montagnier, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Goanvic, conseiller rapporteur, M. Samuel, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [I] [P] a été renversé par le véhicule conduit par Mme [R] [S], assurée par la société [1].
3. Il a subi un traumatisme crâniendont les séquelles ont justifié sa prise en charge dans une maison d'accueil spécialisée et son placement sous tutelle.
4. Le tribunal correctionnel a notamment déclaré Mme [S] coupable de blessures involontaires.
5. Statuant ultérieurement sur intérêts civils, le tribunal a alloué à M. [P] diverses sommes en réparation de son préjudice.
6. Mme [S], la société [1] et M. [P] ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté ses demandes au titre de l'incidence professionnelle, alors :
« 1°/ que selon le principe de réparation intégrale du préjudice, tout le préjudice subi par la victime doit être réparé ; que l'indemnisation de l'incidence professionnelle présente un caractère autonome de sorte qu'elle peut se cumuler avec l'indemnisation de la perte des gains professionnels futurs ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de M. [P] au titre de l'incidence professionnelle, que « M. [I] [P] a déjà été indemnisé de l'impossibilité dans laquelle il se trouve, d'exercer une activité rémunératrice, par l'indemnisation accordée au titre des pertes de gains professionnels futurs à titre viager », la cour d'appel a exclu le cumul entre incidence professionnelle et perte de gains professionnels futurs, violant en conséquence le principe de réparation intégrale du préjudice et l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que selon le préjudice de réparation intégrale du préjudice, tout le préjudice subi par la victime doit être réparé ; que l'indemnisation de l'incidence professionnelle présente un caractère autonome de sorte qu'elle ne peut pas être intégrée dans le poste du préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de M. [P] au titre de l'incidence professionnelle, que « les troubles dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales engendrées par la privation de toute activité professionnelle, qui sont inclus dans le poste du déficit fonctionnel permanent, sont déjà réparés à ce titre », la cour d'appel a intégré l'indemnisation de l'incidence professionnelle dans le poste du préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent, violant le principe précité et l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1240 du code civil :
9. Selon ce texte le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.
10. Pour rejeter la demande de M. [P] au titre de l'incidence professionnelle, l'arrêt énonce que, lorsque l'accident s'est produit il était âgé de 30 ans, travaillait depuis le 2 juillet 2007 au sein de la [2] moyennant un salaire mensuel net de 1 971 euros et qu'en raison des séquelles conservées, il est devenu définitivement inapte à tout emploi.
11. Les juges ajoutent que la prévenue et la société [1] font valoir à juste titre qu'il a déjà été indemnisé de l'impossibilité d'exercer une activité rémunératrice par la somme accordée au titre des pertes de gains professionnels futurs à titre viager.
12. Ils retiennent que les troubles dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales engendrés par la privation de toute activité professionnelle, qui sont inclus dans le poste du déficit fonctionnel permanent, sont déjà réparés à ce titre.
13. En prononçant ainsi, alors que le préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail est indemnisable au titre de l'incidence professionnelle, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés
14. La cassation est par conséquent encourue de ce chef .
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à l'incidence professionnelle et au déficit fonctionnel permanent. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 14 janvier 2020, mais en ses seules dispositions relatives à l'incidence professionnelle et au déficit fonctionnel permanent, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six septembre deux mille vingt-deux.