LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 31 août 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 685 F-D
Pourvoi n° S 20-19.990
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 31 AOUT 2022
1°/ M. [H] [D],
2°/ Mme [Z] [E], épouse [D],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° S 20-19.990 contre l'arrêt rendu le 7 mai 2020 par la cour d'appel de Caen (2e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société BNP Paribas Personal Finances, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Banque Solfea, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société [G] MJ, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, prise en la personne de M. [I] [G], dont le siège est [Adresse 4], pris en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Nouvelle régie des jonctions des énergies de France,
défenderesses à la cassation.
La société BNP Paribas Personal Finance a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Avel, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. et Mme [D], de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société BNP Paribas Personal Finances, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Avel, conseiller rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 7 mai 2020), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 12 septembre 2018, pourvoi n° 17-11.257), le 20 août 2012, M. et Mme [D] (les acquéreurs) ont conclu avec la société Nouvelle régie des jonctions des énergies de France (la société) un contrat portant sur la fourniture et l'installation de panneaux photovoltaïques, l'opération étant financée par un prêt d'un montant de 18 800 euros souscrit auprès de la banque Solfea, aux droits de laquelle vient la société BNP Paribas Personal Finance (la banque).
2. Invoquant la non-conformité de l'installation et l'inobservation des dispositions relatives au démarchage à domicile, les acquéreurs ont assigné la société et la banque en nullité du contrat de vente et de celle, subséquente, du contrat de crédit affecté. La société ayant été mise en liquidation judiciaire, la société [G] MJ (le liquidateur) a été désignée en qualité de mandataire judiciaire à sa liquidation.
3. Un arrêt du 9 juin 2016 a annulé le contrat principal et, par voie de conséquence, le contrat de financement, et condamné les acquéreurs à rembourser à la banque le capital emprunté.
4. Par arrêt du 12 septembre 2018, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé cette décision, mais seulement en ce qu'elle avait condamné les emprunteurs a rembourser à la banque le capital emprunté.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
6. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de les condamner à rembourser à la banque la somme de 18 800 euros sous déduction des échéances déjà payées, alors « que, lorsque le juge constate l'existence d'un préjudice, il ne peut écarter la demande en réparation au motif qu'il n'a pas les éléments pour en fixer l'étendue ; qu'après avoir constaté que la libération des fonds entre les mains de l'installateur était de nature à causer un préjudice à M. et Mme [D] (p. 9 § 2), la cour d'appel oppose qu'elle est dans l'impossibilité d'évaluer le montant du préjudice invoqué (p. 9 § 6) ; qu'en statuant de la sorte, les juges du second degré ont violé l'article 4 du code civil, ensemble les articles 1137 et 1147 anciens du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 311-32 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et les articles 4 et 1147 du code civil, celui-ci dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
7. Il résulte des deux premiers de ces textes que la résolution ou l'annulation d'un contrat de crédit affecté, en conséquence de celle du contrat constatant la vente ou la prestation de services qu'il finance, emporte pour l'emprunteur l'obligation de restituer au prêteur le capital prêté.
8. Cependant, le prêteur qui a versé les fonds sans s'être assuré, comme il y était tenu, de la régularité formelle du contrat principal ou de sa complète exécution, peut être privé en tout ou partie de sa créance de restitution, dès lors que l'emprunteur justifie avoir subi un préjudice en lien avec cette faute.
9. Il résulte du troisième de ces textes que le juge ne peut refuser de réparer le dommage dont il a constaté l'existence en son principe, motif pris de l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.
10. Pour condamner les acquéreurs au paiement du capital emprunté, l'arrêt retient que, si la banque a commis une faute en débloquant les fonds prématurément sans s'assurer du raccordement de l'installation et que ce défaut de raccordement, qui interdit toute revente d'électricité, est de nature à causer un préjudice aux emprunteurs, ceux-ci ne produisent aucun élément de nature à fixer le montant de l'opération de raccordement incluse dans la prestation du vendeur, de sorte qu'il n'est pas possible dévaluer le préjudice qu'ils invoquent.
11. En statuant ainsi, en refusant d'évaluer le dommage dont elle avait constaté l'existence en son principe, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. et Mme [D] à rembourser à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 18 800 euros, dont à déduire le montant des échéances du prêt déjà payées, l'arrêt rendu le 7 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne la société BNP Paribas Personal Finance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BNP Paribal Personal Finance et la condamne à payer à M. et Mme [D] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un août deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [D]
L'arrêt partiellement infirmatif attaqué, critiqué par M. et Mme [D], encourt la censure ;
EN CE QU'après avoir justement retenu une faute à la charge de la banque, il a infirmé le jugement sur les conséquences de cette faute et condamné M. et Mme [D], faute de justificatif d'un préjudice, à rembourser à la banque la somme de 18.800 € dont à déduire le montant des échéances du prêt déjà payé ;
ALORS QUE, premièrement, en considérant que le préjudice ne saurait correspondre au montant du capital prêté dans la mesure où les intimés vont rester en possession des panneaux photovoltaïques, appelés à fonctionner normalement dès leur raccordement (arrêt p. 9 § 3), sans constater qu'ils en étaient propriétaires, et alors que le jugement en date du 17 juillet 2014, définitif sur ce point, a prononcé la nullité du contrat de vente de l'installation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147, 1234 et 1304 anciens du Code civil ensemble l'article L. 121-23 du Code de la consommation et l'article L. 311-31 du même code, dans sa version antérieure à l'Ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ;
ALORS QUE, deuxièmement, et en tout cas, lorsque le juge constate l'existence d'un préjudice, il ne peut écarter la demande en réparation au motif qu'il n'a pas les éléments pour en fixer l'étendue ; qu'après avoir constaté que la libération des fonds entre les mains de l'installateur était de nature à causer un préjudice à M. et Mme [D] (p. 9 § 2), la Cour d'appel oppose qu'elle est dans l'impossibilité d'évaluer le montant du préjudice invoqué (p. 9 § 6) ; qu'en statuant de la sorte, les juges du second degré ont violé l'article 4 du Code civil, ensemble les articles 1137 et 1147 anciens du Code civil ;
ET ALORS QUE, troisièmement, à supposer par impossible qu'une faute puisse être imputée à M. et Mme [D] pour avoir refusé sans motif sérieux de faire procéder à l'ultime opération omise par la société prestataire, de toute façon, dès lors qu'elle n'a pas les caractères de la force majeure, la faute de la victime ne peut conduire qu'à un partage de responsabilité ; qu'en excluant tout droit à réparation pour condamner M. et Mme [D] à payer la somme de 18.800 €, les juges du fond ont violé les articles 1137 et 1147 anciens du Code civil ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice.
Moyen produit au pourvoi incident éventuel par la SARL Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour la société BNP Paribas Personal Finances
La société BNP Paribas PF fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement en date du 17 juillet 2014 en ce qu'il a retenu une faute de la Banque Solfea, aux droits de laquelle vient l'exposante ;
Alors que ce qui est nul est réputé n'avoir jamais existé ; que pour retenir l'existence d'une faute de la société Banque Solfea aux droits de laquelle vient la société BNP Paribas PF, la cour d'appel s'est fondée sur la méconnaissance de l'obligation qui pèse sur le prêteur à un crédit affecté, en vertu de l'article L. 311-31 ancien du code de la consommation, de s'assurer de la pleine exécution du contrat principal avant de libérer les fonds cependant qu'il était acquis que le contrat de prêt comme le contrat principal étaient nuls ; qu'en déduisant l'existence d'une faute de la méconnaissance d'obligations issues de contrats nuls la cour d'appel a violé l'article L. 311-31 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à l'espèce ensemble le principe susvisé.