LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 6 juillet 2022
Cassation partielle
Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 808 F-D
Pourvoi n° V 21-11.970
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [S].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 27 septembre 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 JUILLET 2022
La société Kareillis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 21-11.970 contre l'arrêt rendu le 17 décembre 2020 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, section 2), dans le litige l'opposant à Mme [K] [S], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Nirdé-Dorail, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Kareillis, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [S], après débats en l'audience publique du 24 mai 2022 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Nirdé-Dorail, conseiller rapporteur, M. Ricour, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 17 décembre 2020), Mme [S] a été engagée le 17 mai 2004 en qualité d'employée commerciale par la société Kareillis, exerçant sous l'enseigne Intermarché (la société).
2. Le 10 septembre 2011, la salariée a été victime d'un accident du travail et a repris le travail en février 2012.
3. Elle a été placée en arrêt de travail à compter du 17 février 2012.
4. Du 16 mai 2013 au 2 juillet 2014, elle a bénéficié d'un congé formation.
5. A l'issue de deux visites médicales des 7 et 21 août 2014, elle a été déclarée inapte à son poste.
6. Elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 14 novembre 2014.
7. Contestant son licenciement, elle a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, ci-après annexé
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la salariée diverses sommes au titre du solde d'indemnité spéciale de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, alors « que les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement ; qu'en l'espèce, pour condamner l'exposante au paiement de sommes sur le fondement des articles L. 1226-14 et L. 1226-15 du code du travail, la cour d'appel a retenu que les pièces médicales versées aux débats par Mme [S] établissaient de manière certaine le lien entre l'inaptitude de la salariée et son accident du travail, nonobstant la décision de la CPAM et celle du tribunal des affaires de sécurité sociale ; qu'en statuant ainsi, sans préciser si l'employeur avait, à la date du licenciement, connaissance de l'origine professionnelle de la maladie de la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-10 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi 2012-387 du 22 mars 2012, L. 1226-14, et L. 1226-15 du même code dans sa rédaction antérieure à la loi 2016-1088 du 8 août 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1226-10 et L. 1226-14 du code du travail, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 :
10. Il résulte de ces textes que les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement.
11. Pour allouer à la salariée diverses sommes en application de l'article L. 1226-14 du code du travail, l'arrêt retient que l'accident du 10 septembre 2011 est survenu sur le lieu de travail de la salariée et à l'occasion de l'exécution du contrat de travail et que les pièces médicales produites par la salariée établissent de manière certaine le lien entre son inaptitude à son poste et son accident du travail nonobstant la position de la caisse primaire d'assurance maladie et la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale du 16 janvier 2017.
12. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l'employeur, au moment du licenciement, avait connaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude de la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation prononcée n'emporte pas cassation du chef du dispositif disant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamnant la société au paiement de la somme de 30 000 euros à ce titre que la critique formulée par le premier moyen n'est pas susceptible d'atteindre.
14. La cassation prononcée n'emporte pas, par ailleurs, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le deuxième moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu'il condamne la société Kareillis à payer à Mme [S] les sommes de 3 269 euros au titre du solde d'indemnité spéciale de licenciement, de 3 076,70 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 17 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Reims ;
Condamne Mme [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Kareillis
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société KAREILLIS fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR condamnée à payer Madame [S] les sommes de 3.269 € au titre du solde d'indemnité spéciale de licenciement, 3.076,70 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 307,67 € au titre des congés payés afférents, 30.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, et dit que ces sommes seraient assorties des intérêts au taux légal à compter de la demande ;
ALORS QUE les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement ; qu'en l'espèce, pour condamner l'exposante au paiement de sommes sur le fondement des articles L. 1226-14 et L. 1226-15 du code du travail, la cour d'appel a retenu que les pièces médicales versées aux débats par Madame [S] établissaient de manière certaine le lien entre l'inaptitude de la salariée et son accident du travail, nonobstant la décision de la CPAM et celle du tribunal des affaires de sécurité sociale ; qu'en statuant ainsi, sans préciser si l'employeur avait, à la date du licenciement, connaissance de l'origine professionnelle de la maladie de la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-10 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi 2012-387 du 22 mars 2012, L. 1226-14, et L. 1226-15 du même code dans sa rédaction antérieure à la loi 2016-1088 du 8 août 2016.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE par rapport au premier moyen de cassation)
La société KAREILLIS fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR condamnée à payer Madame [S] la somme 307,67 € au titre des congés payés afférents à « l'indemnité compensatrice de préavis » ;
ALORS QUE l'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis n'a pas la nature d'une indemnité de préavis et n'ouvre pas droit à congés payés ; qu'en condamnant l'exposante au titre de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice prévue à l'article L. 1226-14 du code du travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
La société KAREILLIS fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de Madame [S] est dépourvu de cause réelle et sérieuse, d'AVOIR condamné la société KAREILLIS à lui à payer la somme de 30.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, et dit que cette somme serait assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande ;
1. ALORS QUE la cour d'appel a retenu, pour dire le licenciement sans cause réelle ni sérieuse et condamner l'exposante à ce titre, que l'inaptitude de la salariée était consécutive à l'accident du travail du 10 septembre 2011 qui lui-même résultait d'une méconnaissance, par l'employeur, de son obligation de sécurité ; qu'ainsi, la cassation à intervenir sur le fondement du premier moyen de cassation entraînera celle du chef de dispositif attaqué, par application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2. ALORS QU'en matière prud'homale la preuve est libre ; que le principe selon lequel nul ne peut se constituer de titre à soi-même ne s'applique pas à la preuve de faits juridiques ; que, pour justifier de ce que les consignes d'utilisation du produit de nettoyage avaient été délivrées à la salariée, l'exposante avait versé aux débats l'attestation de Monsieur [O] précisant avoir formé Madame [S] à l'usage des produits utilisés par les centrales de nettoyage, l'avoir informée risques induits par ces derniers ainsi que de la procédure à suivre ; que, pour dire que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité à l'origine de l'inaptitude de la salariée, la cour d'appel a retenu que la société KAREILLIS « ne produit à l'appui de son argumentaire que l'attestation de Monsieur [O], le directeur à l'époque de la société selon ses propres conclusions, ce qui doit être considéré comme une attestation faite à soi-même donc sans valeur probante » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le principe de liberté de la preuve en matière prud'homale, celui selon lequel nul ne peut se constituer de titre à soi-même, ensemble l'article 1363 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 ;
3. ALORS QU'en toute hypothèse le principe selon lequel nul ne peut se constituer un titre à soi-même n'a vocation à s'appliquer, s'agissant d'une société, qu'à ceux qui la représentent légalement ou disposent d'un mandat pour ce faire ; qu'en l'espèce, pour faire application dudit principe à l'attestation de Monsieur [O], la cour d'appel a retenu qu'il était « directeur à l'époque » c'est à dire lorsqu'il avait délivré l'information à la salariée sur le produit de nettoyage ; que, toutefois, ainsi que le précisait au demeurant l'attestation litigieuse, son auteur n'était plus directeur lors de l'établissement de celle-ci et, en tout état de cause, le directeur d'une entreprise ne la représente pas nécessairement ; qu'en statuant comme elle l'a fait, par des motifs d'où il ne s'inférait nullement que le document qu'elle a refusé d'examiner émanait d'un représentant de l'employeur, la cour d'appel a violé le principe selon lequel nul ne peut se constituer de titre à soi-même, ensemble l''article 1363 du code civil ;
4. ALORS QU'en toute matière le juge doit observer et faire observer la contradiction ; qu'en l'espèce, la salariée n'avait pas contesté la valeur probante de l'attestation versée aux débats par l'employeur, ni invoqué le principe selon lequel nul ne peut se constituer de titre à soi-même ; qu'en se prononçant ainsi d'office sur la valeur et la portée juridique de l'attestation dont se prévalait l'employeur, sans provoquer les explications des parties sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.