LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CA3
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 juillet 2022
Cassation partielle
M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 842 F-D
Pourvoi n° Z 21-11.445
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 JUILLET 2022
M. [P] [L], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 21-11.445 contre l'arrêt rendu le 13 août 2020 par la cour d'appel de Poitiers (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société France Reval, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cavrois, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de M. [L], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société France Reval, après débats en l'audience publique du 25 mai 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Cavrois, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 13 août 2020), M. [L] a été engagé par la société France Reval, à compter du 10 juin 2014, en qualité de directeur des ventes hygiène, transfert et balnéothérapie France. Sa rémunération était constituée d'un salaire fixe et d'une commission de 0,5 % sur le chiffre d'affaires facturé en France.
2. Licencié le 10 octobre 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 4 juillet 2017 de diverses demandes.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de rappel de commissions, alors « que lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire ; que la cour d'appel a constaté que le contrat de travail du salarié prévoyait qu'il percevrait une commission correspondant à 0,5 % sur le chiffre d'affaires facturé en France sur les produits d'hygiène, transfert et balnéothérapie ; qu'en retenant, pour écarter sa demande de rappel de commissions, que sur l'année 2016, les bulletins de salaire de M. [L] permettent de constater qu'il a perçu des ''primes sur CA'' chaque mois, en sorte qu'à défaut de produire à la cour des justificatifs précis et un décompte précis des sommes qui lui seraient dues au-delà de celles déjà perçues, le bien-fondé de sa demande n'est pas établi, quand il incombait à la société France Reval de communiquer au salarié les éléments permettant le calcul exact de sa commission due sur le chiffre d'affaires pour la période sur laquelle portait sa réclamation, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil :
8. Il résulte de ce texte que c'est à l'employeur qu'il incombe d'établir qu'il a effectivement payé au salarié les commissions qu'il lui doit. Lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire.
9. Pour débouter le salarié de sa demande de rappel de commissions au titre de l'année 2016, l'arrêt retient que sur cet exercice, les bulletins de salaire permettent de constater qu'il a perçu des « primes sur CA » chaque mois en sorte, qu'à défaut de produire des justificatifs et un décompte précis des sommes qui lui seraient dues au-delà de celles déjà perçues, le bien-fondé de sa demande n'est pas établi.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. [L] en paiement d'un rappel de commissions sur chiffre d'affaire pour l'année 2016, en ce qu'il le condamne aux dépens, au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il le déboute de sa demande sur ce même fondement, l'arrêt rendu le 13 août 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la société France Reval aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société France Reval et la condamne à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour M. [L]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [L] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande de rappel de commissions ;
ALORS QUE lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire ; que la cour d'appel a constaté que le contrat de travail du salarié prévoyait qu'il percevrait une commission correspondant à 0,5 % sur le chiffre d'affaires facturé en France sur les produits d'hygiène, transfert et balnéothérapie (p. 10, al. 6 et s.) ; qu'en retenant, pour écarter sa demande de rappel de commissions, que « sur l'année 2016, les bulletins de salaire de M. [L] permettent de constater qu'il a perçu des « primes sur CA » chaque mois, en sorte qu'à défaut de produire à la cour des justificatifs précis et un décompte précis des sommes qui lui seraient dues au-delà de celles déjà perçues, le bien-fondé de sa demande n'est pas établi » (p. 10, dernier al.), quand il incombait à la société France Reval de communiquer au salarié les éléments permettant le calcul exact de sa commission due sur le chiffre d'affaires pour la période sur laquelle portait sa réclamation, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1353 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
M. [L] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
ALORS QUE constitue une faute ouvrant droit à réparation le fait de mettre en oeuvre le licenciement d'un salarié dans des conditions vexatoires ; que dans ses écritures (pp. 4, 32 et 33), M. [L] exposait qu'alors qu'il n'avait été informé de son licenciement que le 12 octobre 2016, son employeur avait exigé qu'il restitue l'ensemble de ses outils professionnels dès le lendemain matin à 8h45, bien qu'aucune faute grave susceptible d'expliquer une telle précipitation ne lui ait jamais été reprochée, faisant ainsi ressortir le caractère brutal et précipité de son éviction ; que la cour d'appel a elle-même constaté que « M. [L] soutient exactement avoir été informé de son licenciement en arrivant pour prendre son poste le 12 octobre 2016, par mail de Mme [O] sans avoir reçu personnellement la lettre de licenciement et qu'il lui a été demandé par la directrice des ressources humaines de restituer ses outils de travail le lendemain à 8 heures » ; que pour juger qu'il ne pouvait arguer d'une fin de contrat brutal et vexatoire, la cour d'appel s'est cependant bornée à retenir qu'il ne pouvait se plaindre des événements survenus le jour de son départ de l'entreprise, dès lors qu'il aurait lui-même « contribué » à une situation extrêmement tendue (p. 10, al. 3) ; qu'en statuant ainsi, sans se prononcer sur le caractère vexatoire de la décision de l'employeur d'exiger du salarié qu'il restitue ses outils professionnels et quitte l'entreprise du soir pour le matin, ni sur le temps qui lui avait été imparti pour rassembler ses affaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil.