LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 juin 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 605 FS-B
Pourvoi n° M 21-20.127
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 JUIN 2022
La société Odalys résidences, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7], [Localité 1], a formé le pourvoi n° M 21-20.127 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2021 par la cour d'appel de Grenoble (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [V] [I],
2°/ à Mme [E] [I],
domiciliés tous deux [Adresse 2], [Localité 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Andrich et M. David, conseillers, les observations et les plaidoiries de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Odalys résidences, de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. et Mme [I], et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, auquel les parties ont répliqué, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Andrich et M. David, conseillers rapporteurs, M. Echappé, conseiller doyen, MM. Jessel, Jobert, Mme Grandjean, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Vernimmen, conseillers référendaires, M. Sturlèse, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 1er juillet 2021), rendu en référé, M. [Z], aux droits duquel se trouvent M. et Mme [I] (les bailleurs), a donné à bail commercial à la société Odalys résidences (la locataire) deux lots d'une résidence de tourisme.
2. En raison des mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, la locataire a, du 14 mars au 2 juin 2020, cessé son activité dans la résidence.
3. Le 26 mars 2020, elle a informé les bailleurs de sa décision d'interrompre le paiement du loyer et des charges à compter du 14 mars 2020.
4. Les bailleurs ont assigné la locataire en paiement d'une provision correspondant à l'arriéré locatif.
Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme au titre des loyers impayés, alors « que le juge des référés peut accorder une provision dans les cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; que tranche une contestation sérieuse le juge des référés qui apprécie si les circonstances ayant entraîné l'indisponibilité des lieux loués, qui ne pouvaient plus être utilisés conformément à leur destination contractuelle, justifient ou non la suspension du paiement des loyers ; que la société [Adresse 6] soutenait que son obligation au paiement du loyer était contestable, sur le fondement de l'exception d'inexécution, dès lors que les bailleurs avaient été dans l'impossibilité, pendant toute la période considérée, d'exécuter leur obligation de délivrance et d'assurer la jouissance paisible des lieux loués conformément à la destination prévue au bail ; qu'ils ajoutaient que l'impropriété des lieux à l'objet prévu au bail s'analysait en outre en perte partielle de la chose louée, et que les bailleurs avaient manqué à leur obligation de bonne foi en réclamant le paiement de loyers afférents à des périodes durant lesquelles les lieux loués ne pouvaient être utilisés conformément à leur destination contractuelle ; qu'en énonçant, pour dire que l'obligation au paiement des loyers n'était pas sérieusement contestable, qu'il ne pouvait être reproché aux bailleurs un manquement à leur obligation de délivrance, que les restrictions résultaient de mesures législatives et réglementaires concernant tous les bailleurs se trouvant dans la même situation, tandis qu'aucun texte ne dispensait les locataires du règlement des loyers, et que les locaux n'avaient subi aucune perte, le juge des référés, qui a apprécié la nature et l'étendue des obligations contractuelles et la gravité du manquement du preneur au regard des circonstances pouvant justifier qu'il cesse le règlement des loyers en l'état de l'indisponibilité avérée des lieux loués, a tranché des contestations sérieuses et violé l'article 835 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Par application de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, l'état d'urgence sanitaire a été déclaré sur l'ensemble du territoire national.
8. En application de l'article 3, I, 2°, du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 et du décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 le complétant, jusqu'au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile a été interdit à l'exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité.
9. Edictée pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, l'interdiction de recevoir du public, sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, prévue par les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, ainsi que par les décrets précités, résulte du caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l'absence de première nécessité des biens ou des services fournis.
10. Par suite, cette interdiction a été décidée, selon les catégories d'établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique.
11. L'effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être, d'une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu'il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance, d'autre part, assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil.
12. Ayant relevé que les restrictions résultant des mesures législatives et réglementaires prises dans le cadre de la crise sanitaire n'étaient pas imputables au bailleur et n'emportaient pas perte de la chose, la cour d'appel, saisie en référé d'une demande en paiement d'une provision, n'a pu qu'en déduire que l'obligation de payer le loyer n'était pas sérieusement contestable.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Odalys résidences aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé le trente juin deux mille vingt-deux, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Odalys résidences
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société Odalys Résidences fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir écarté des débats les ordonnances de référé rendues par les présidents tribunaux judiciaires d'Albertville le 19 janvier 20221 et de Dijon et de Paris le 24 février 2021, de l'avoir condamnée à payer à M. et Mme [I] la somme de 2 550,91 euros au titre des loyers impayés entre le 13 avril et le 4 septembre 2020, et de l'avoir condamnée sous astreinte à communiquer aux bailleurs la facture n° 4 pour la période du 1er mai au 31 juillet 2020 et les comptes d'exploitation depuis le 22 octobre 2019 ;
ALORS QUE la société Odalys résidences avait communiqué selon bordereau RPVA du 17 mai 2021 une pièce n° 13 correspondant aux ordonnances de référé rendues par les présidents des tribunaux judiciaires d'[Localité 4], de [Localité 5] et de [Localité 8] ; qu'en énonçant, pour écarter ces décisions des débats, qu'il ne résultait pas des éléments de la procédure que ces ordonnances de référé aient été communiquées aux intimés, la cour d'appel a dénaturé par omission le bordereau RPVA et les pièces communiquées, et méconnu le principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
La société Odalys Résidences fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à M. et Mme [I] la somme de 2 550,91 euros au titre des loyers impayés entre le 13 avril et le 4 septembre 2020, et de l'avoir condamnée sous astreinte à communiquer aux bailleurs la facture n° 4 pour la période du 1er mai au 31 juillet 2020 et les comptes d'exploitation depuis le 22 octobre 2019 ;
1) ALORS QUE le juge des référés peut accorder une provision dans les cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; que tranche une contestation sérieuse le juge des référés qui apprécie si les circonstances ayant entraîné l'indisponibilité des lieux loués, qui ne pouvaient plus être utilisés conformément à leur destination contractuelle, justifient ou non la suspension du paiement des loyers ; que la société [Adresse 6] soutenait que son obligation au paiement du loyer était contestable, sur le fondement de l'exception d'inexécution, dès lors que les bailleurs avaient été dans l'impossibilité, pendant toute la période considérée, d'exécuter leur obligation de délivrance et d'assurer la jouissance paisible des lieux loués conformément à la destination prévue au bail ; qu'ils ajoutaient que l'impropriété des lieux à l'objet prévu au bail s'analysait en outre en perte partielle de la chose louée, et que les bailleurs avaient manqué à leur obligation de bonne foi en réclamant le paiement de loyers afférents à des périodes durant lesquelles les lieux loués ne pouvaient être utilisés conformément à leur destination contractuelle ; qu'en énonçant, pour dire que l'obligation au paiement des loyers n'était pas sérieusement contestable, qu'il ne pouvait être reproché aux bailleurs un manquement à leur obligation de délivrance, que les restrictions résultaient de mesures législatives et réglementaires concernant tous les bailleurs se trouvant dans la même situation, tandis qu'aucun texte ne dispensait les locataires du règlement des loyers, et que les locaux n'avaient subi aucune perte, le juge des référés, qui a apprécié la nature et l'étendue des obligations contractuelles et la gravité du manquement du preneur au regard des circonstances pouvant justifier qu'il cesse le règlement des loyers en l'état de l'indisponibilité avérée des lieux loués, a tranché des contestations sérieuses et violé l'article 835 du code de procédure civile ;
2) ALORS QU'il résultait de l'article 6 du contrat de bail que le loyer serait réduit à 30% des recettes effectivement encaissées en cas de force majeure interrompant l'activité touristique, résultant notamment d'une entrave administrative ou autre au libre accès aux lieux loués ou à la circulation des personnes et des biens, sauf en cas de prise en charge du préjudice par un assureur ; que la société Odalys faisait valoir que les mesures gouvernementales prises pour lutter contre l'épidémie de covid 19 avaient interdit de recevoir du public dans les lieux loués, ce qui justifiait l'application de la clause précitée ; qu'il appartenait aux bailleurs de prouver, le cas échéant, que la société Odalys Résidences avait bénéficié d'une prise en charge de son préjudice par son assureur ; qu'en énonçant, pour écarter l'application de la clause 6 du bail, que l'appelante ne justifiait d'aucun élément à ce titre, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, et violé l'article 1353 du code civil ;
3) ALORS en tout état de cause QUE la société Odalys Résidences produisait l'attestation de son commissaires aux comptes établissant l'absence de perception d'une quelconque indemnisation pour perte d'exploitation (pièce n°12, bordereau RPVA du 17 mai 2021) ; qu'en énonçant, pour condamner néanmoins la société Odalys Résidences au paiement provisionnel des loyers dus pour la période concernée, que la clause 6 du contrat prévoyait qu'elle n'avait pas à s'appliquer dans l'hypothèse où le préjudice subi par le preneur se trouverait couvert par sa police d'assurance, et que l'appelante ne justifiait d'aucun élément à ce titre, sans s'expliquer sur la pièce ainsi produite, la société Odalys n'ayant pas d'autre moyen d'établir qu'elle n'avait pas perçu d'indemnisation de la part d'un assureur au titre d'une perte d'exploitation, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.