LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 juin 2022
Annulation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 712 F-D
Pourvoi n° G 21-14.903
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 JUIN 2022
Mme [X] [J], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-14.903 contre l'arrêt rendu le 10 juillet 2019 par la cour d'appel de Bastia (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Union des vignerons de l'Île de Beauté, société civile agricole, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [J], de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Union des vignerons de l'Île de Beauté, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 mai 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 10 juillet 2019), Mme [J] a relevé appel, le 28 mai 2018, du jugement d'un conseil de prud'hommes dans une affaire l'opposant à la société Union des vignerons de l'Île de Beauté.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. Mme [J] fait grief à l'arrêt de constater que la cour d'appel n'est saisie d'aucune demande d'infirmation ou de réformation du jugement du conseil de prud'hommes de Bastia du 30 mars 2018 par le dispositif des conclusions de l'appelante principale et de confirmer ce jugement, alors « que, s'il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, l'application de cette règle à des instances introduites par une déclaration d'appel antérieure au 17 septembre 2020 aboutit à priver les appelants du droit à un procès équitable ; qu'en l'espèce, en ayant confirmé le jugement frappé d'appel au seul prétexte que le dispositif des conclusions de l'appelante ne contenait pas la demande de son infirmation ou de son annulation, quand la déclaration d'appel datée du 28 mai 2018 était pourtant antérieure au 17 septembre 2020, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 542 et 954 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
3. L'objet du litige devant la cour d'appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l'obligation faite à l'appelant de conclure conformément à l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954.
4. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l'infirmation ou l'annulation du jugement frappé d'appel.
5. À défaut, en application de l'article 908, la déclaration d'appel est caduque ou, conformément à l'article 954, alinéa 3, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.
6. Ainsi, l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (2e Civ., 4 novembre 2021, pourvoi n° 20-15-766, publié).
7. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.
8. Pour confirmer le jugement, l'arrêt, après avoir relevé que la déclaration d'appel a été remise le 28 mai 2018, retient que dans ses conclusions adressées à la cour, Mme [J] ne forme aucune demande d'annulation, ou de réformation des chefs du jugement entrepris et qu'en l'absence d'une telle demande, les chefs du jugement critiqués dans l'appel principal ne peuvent qu'être confirmés.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 28 mai 2018, l'application de cette règle de procédure, aboutissant à priver Mme [J] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne la société Union des vignerons de l'Île de Beauté aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente juin deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour Mme [J]
Mme [J] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté que la cour d'appel n'est saisie d'aucune demande d'infirmation ou de réformation du jugement du conseil de prud'hommes de Bastia du 30 mars 2018 par le dispositif des conclusions de l'appelante principale et d'avoir confirmé ce jugement ;
Alors que, s'il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, l'application de cette règle à des instances introduites par une déclaration d'appel antérieure au 17 septembre 2020 aboutit à priver les appelants du droit à un procès équitable ; qu'en l'espèce, en ayant confirmé le jugement frappé d'appel au seul prétexte que le dispositif des conclusions de l'appelante ne contenait pas la demande de son infirmation ou de son annulation, quand la déclaration d'appel datée du 28 mai 2018 était pourtant antérieure au 17 septembre 2020, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 542 et 954 du code de procédure civile.