LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CA3
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 juin 2022
Cassation
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 791 F-D
Pourvoi n° H 21-13.959
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 JUIN 2022
M. [J] [E], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 21-13.959 contre l'arrêt rendu le 5 février 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-2), dans le litige l'opposant à la société Siemens, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de Me Balat, avocat de M. [E], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Siemens, après débats en l'audience publique du 18 mai 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Agostini, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 février 2021), M. [E] a été engagé par la société Siemens le 27 février 1995 en qualité d'attaché commercial débutant affecté à l'agence de [Localité 4]. En juillet 2000, il a été promu responsable commercial, statut cadre, à l'agence d'[Localité 3], puis affecté, à la suite d'une demande de mutation, au sein de l'agence de [Localité 5], où il a exercé à compter du 1er octobre 2005, les fonctions d'ingénieur commercial, puis celles d'ingénieur commercial senior à compter du 1er avril 2010.
2. Le salarié a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre du 25 janvier 2016.
3. Soutenant avoir subi un harcèlement moral, il a saisi la juridiction prud'homale, le 5 septembre 2016, de demandes en nullité de son licenciement et en paiement de diverses sommes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors « que le salarié qui se considère victime de harcèlement moral peut engager une action devant le conseil de prud'hommes dans le délai de cinq ans de l'article 2224 du code civil ; que le harcèlement moral se caractérisant par des agissements répétés qui peuvent s'étaler sur une longue période, cette prescription ne commence à courir qu'à partir du dernier acte de harcèlement allégué ; qu'en considérant que les faits de harcèlement de 2005 étaient prescrits, tout en constatant que le dernier acte de harcèlement invoqué par M. [E] s'était produit en 2016, ce dont il résultait qu'aucun des faits allégués n'était prescrits, la cour d'appel a violé l'article susvisé, outre l'article L. 1132-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil, L. 1152-1 du code du travail et L. 1154-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
5. En application du premier de ces textes, en matière de responsabilité civile, le point de départ du délai de prescription est le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
6. Il résulte des deux derniers de ces textes que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
7. Pour dire que seuls doivent être examinés les faits invoqués par le salarié commis entre 2013 et 2016, l'arrêt retient que la prescription ne commence à courir, pour chaque acte de harcèlement incriminé, qu'à partir du dernier, que ce principe suppose qu'une répétition effective des actes incriminés soit au moins alléguée par le salarié, que tel n'est pas le cas en l'espèce dès lors que ce dernier se plaint d'un épisode de harcèlement moral précisément circonscrit à l'année 2005 puis d'un second épisode allant de 2013 à 2016, qu'ainsi, en l'absence de répétition durant cinq ans, les faits de harcèlement de 2005 ont été atteints par la prescription avant que ne débute l'épisode de 2013-2016.
8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le salarié soutenait avoir été victime d'agissements de harcèlement moral jusqu'en 2016, ce dont il résultait que, le salarié ayant saisi la juridiction prud'homale le 5 septembre 2016, son action en indemnisation du harcèlement moral n'était pas prescrite, et qu'il appartenait dès lors à la cour d'appel d'analyser l'ensemble des faits invoqués par le salarié permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral, quelle que soit la date de leur commission, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement nul, alors « que dans la mesure où est nulle toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail, relatifs au harcèlement moral, la cassation qui interviendra dans le cadre du premier moyen de cassation entraînera, par voie de conséquence et en application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt attaqué en ses dispositions ayant débouté M. [E] de sa demande en paiement d'une indemnité pour licenciement nul. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
10. La cassation du chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, critiqué par le premier moyen, entraîne par voie de conséquence la cassation des dispositions de l'arrêt déboutant le salarié de sa demande de nullité du licenciement et de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Siemens aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Siemens et la condamne à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. [E]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [J] [E] reproche à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir débouté de sa demande tendant à la condamnation de la société Siemens à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le salarié qui se considère victime de harcèlement moral peut engager une action devant le conseil de prud'hommes dans le délai de cinq ans de l'article 2224 du code civil ; que le harcèlement moral se caractérisant par des agissements répétés qui peuvent s'étaler sur une longue période, cette prescription ne commence à courir qu'à partir du dernier acte de harcèlement allégué ; qu'en considérant que les faits de harcèlement de 2005 étaient prescrits, tout en constatant que le dernier acte de harcèlement invoqué par M. [E] s'était produit en 2016 (arrêt attaqué, p. 8, alinéas 2 et 3), ce dont il résultait qu'aucun des faits allégués n'était prescrits, la cour d'appel a violé l'article susvisé, outre l'article L. 1132-1 du code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE dans ses écritures d'appel (conclusions, p. 10 et 11 notamment), M. [E] faisait valoir, sur le fondement de plusieurs attestations émanant d'autres salariés, que ses difficultés professionnelles étaient dues aux manoeuvres de déstabilisation entreprises par M. [K], lequel n'avait cessé de le rabaisser, de l'humilier et de le brimer ; qu'en relevant que M. [E] justifiait bien d'une présomption de harcèlement moral, puis en affirmant que ce harcèlement moral n'était finalement pas avéré, l'employeur justifiant que la situation incombait aux « difficultés professionnelles rencontrées par le salarié » depuis 2011 et aux « mauvais résultats » de celui-ci (arrêt attaqué, p. 8, alinéas 4 et 5), sans répondre toutefois aux conclusions du salarié faisant valoir que, loin de tenter d'y remédier, l'employeur, par ses manoeuvres de harcèlement, était en réalité à l'origine de ses difficultés professionnelles, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
M. [J] [E] reproche à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir débouté de l'avoir débouté de sa demande tendant à la condamnation de la société Siemens à lui payer la somme de 185 120 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul en application de l'article L. 1152-3 du code du travail ;
ALORS QUE dans la mesure où est nulle toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail, relatifs au harcèlement moral, la cassation qui interviendra dans le cadre du premier moyen de cassation entrainera, par voie de conséquence et en application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt attaqué en ses dispositions ayant débouté M. [E] de sa demande en paiement d'une indemnité pour licenciement nul.
TROISIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
M. [J] [E] reproche à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir débouté de sa demande subsidiaire tendant à la condamnation de la société Siemens à lui payer la somme de 130 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse en application de l'article L. 1235-3 du code du travail ;
ALORS, D'UNE PART, QU' aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires audelà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ; que lorsque les faits sanctionnés par le licenciement ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement des poursuites ; qu'en constatant que M. [E] soulevait la prescription du grief tirée de l'exercice d'une activité parallèle, mais en considérant que le grief n'était pas prescrit, dans la mesure où, « au vu des pièces produites, il n'apparaît pas que le grief disciplinaire soit atteint pas la prescription de deux mois propre aux sanctions disciplinaires » (arrêt attaqué, p. 9, alinéa 7), la cour d'appel, qui n'a pas constaté que la preuve se trouvait rapportée par l'employeur de ce qu'il n'avait pris connaissance du grief que moins de deux mois avant l'engagement des poursuites, a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1353 du code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU' en tout état de cause, M. [E] faisait valoir, dans ses écritures d'appel (conclusions, p. 25, in fine), M. [E] faisait valoir que le relevé de situation du RSI versé aux débats, indiquant des revenus de « 0 € », attestait l'absence d'exercice de son activité de magnétiseur et donc l'absence de toute violation de la clause d'exclusivité que lui opposait son employeur ;
qu'en laissant sans réponse ces conclusions déterminantes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.