LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 juin 2022
Rabat d'arrêt et cassation
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 476 F-D
Pourvoi n° C 20-14.411
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 JUIN 2022
Faisant suite à une lettre du 8 février 2022 par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, agissant pour la société [N] et associés, en la personne de M. [U] [N], agissant en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Arma cuir, de M. [K] [V] et de Mme [F] [L], la Cour s'est saisie d'office en vue du rabat de l'arrêt n° 65 F-D, rendu par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation le 26 janvier 2022, sur le pourvoi n° C 20-14.411, dans le litige opposant :
1°/ La société [N] et associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [U] [N], agissant en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Arma cuir,
2°/ M. [K] [V],
3°/ Mme [F] [L],
domiciliés tous deux [Adresse 3],
4°/ la société Arma cuir, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
à :
la société Arma Leder BV, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 4] (Pays-Bas), défenderesse à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Comte, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société [N] et associés, ès qualités, de M. [V] et de Mme [L], et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Comte, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Vu l'arrêt n° 65 F-D rendu le 26 janvier 2022 par la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique) sur le pourvoi n° C 20-14.411, formé par la société [N] et associés, en la personne de M. [N], agissant en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Arma cuir, M. [V], Mme [L] et la société Arma cuir, cassant et annulant partiellement un arrêt rendu le 29 janvier 2020 par la cour d'appel de Paris ;
Par suite d'une erreur de procédure non imputable aux parties, la cassation qui portait sur le premier moyen, et alors que la première branche du second moyen invoquait une cassation par voie de conséquence du premier moyen relative à la fixation de la créance de la société Arma Leder BV dans la liquidation judiciaire de la société Arma cuir, n'a pas porté sur la fixation de la créance de la société Arma Leder BV dans la liquidation judiciaire de la société Arma cuir à la somme de 1 005 890,15 euros. Il convient donc de rabattre l'arrêt susvisé.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 janvier 2020), la société Arma Leder BV fournissait des vêtements en peaux et fourrures à la société Arma cuir, dont le gérant était M. [V], afin qu'elle les commercialise en France.
2. Un litige les opposant sur la qualité des produits et le paiement de factures, la société Arma cuir et la société Arma Leder BV ont signé, le 2 octobre 2013, un acte dénommé "protocole transactionnel", selon lequel la société Arma cuir s'est engagée à payer à la société Arma Leder BV la somme de 800 000 euros selon un échéancier de paiements et moyennant une garantie hypothécaire consentie par M. [V] avec l'accord de son épouse, Mme [L], sur l'immeuble dont il était propriétaire.
3. Reprochant à la société Arma Leder BV de ne pas lui avoir consenti l'exclusivité de la distribution de ses produits et d'avoir ainsi manqué à l'exécution du protocole précité, en les commercialisant en outre directement en France, la société Arma cuir, la société Taddei-Ferrari-[N], aux droits de laquelle vient la société [N] et associés, agissant en qualité de liquidateur de la société Arma cuir, celle-ci ayant été placée entre-temps en liquidation judiciaire, M. [V] et Mme [L], l'ont assignée en résolution de la transaction à ses torts exclusifs, subsidiairement, en annulation de la reconnaissance de dette valant caution hypothécaire, et en indemnisation de leurs préjudices.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société [N] et associés, ès qualités, M. [V], Mme [L] et la société Arma cuir font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de résolution de la transaction aux torts exclusifs de la société Arma Leder BV, et leurs autres demandes notamment en indemnisation contre cette société, alors « que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que, pour dire que la société Arma cuir ne rapportait pas la preuve de la violation par la société Arma Leder BV de la clause de distribution exclusive de ses marchandises sur le territoire français, stipulée au profit de la société Arma cuir à l'article 3 du protocole transactionnel du 2 octobre 2013, avant que la société Arma cuir ne cesse le règlement des mensualités de sa dette en vertu de l'article 1er de ce protocole, soit "avant le mois de septembre 2014", la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas démontré que la société Arma Leder BV "a[vait] commencé avant cette date à s'adresser directement aux clients de la société Arma cuir en leur demandant de ne plus passer par Arma cuir", la copie de la lettre en ce sens produite par la société Arma cuir n'étant pas datée et occultant le nom du destinataire, et que les lettres des clients Génération cuir, [M] [C] Lyon, Sofa cuir mentionnent que la société Arma Leder BV ne leur a fait cette demande qu'à l'occasion de livraisons en septembre 2014 ; qu'en statuant ainsi, sans examiner, même succinctement, les pièces n°s 13 et 18 versées aux débats par la société Arma cuir, constituées de factures et notes de livraison entre des clients français et la société Arma Leder BV, en violation de la clause d'exclusivité, s'étalant entre le 15 octobre 2013 et le 5 septembre 2014, soit pour la quasi-totalité d'entre elles avant le mois de septembre 2014, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
5. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé, le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
6. Pour rejeter les demandes, l'arrêt retient qu'il est démontré qu'au mois de septembre 2014, la société Arma cuir était en retard tant dans le paiement des mensualités litigieuses que dans le règlement des factures, cependant qu'il n'est pas établi que la société Arma Leder BV a commencé avant cette date à s'adresser directement aux clients de la société Arma cuir en leur demandant de ne plus passer par celle-ci.
7. En statuant ainsi, sans examiner les factures et notes de livraison entre des clients français et la société Arma Leder BV, s'étalant entre le 15 octobre 2013 et le 5 septembre 2014 susceptibles d'établir une violation, avant le mois de septembre 2014, de la clause d'exclusivité prévue par le protocole transactionnel du 2 octobre 2013 au bénéfice de la société Arma cuir, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La société [N] et associés, ès qualités, M. [V], Mme [L] et la société Arma cuir font grief à l'arrêt de fixer la créance de la société Arma Leder BV dans la liquidation judiciaire de la société Arma cuir à la somme de 1 005 890,15 euros, et de rejeter toutes leurs demandes, notamment en indemnisation contre la société Arma Leder BV, alors « que la cassation d'une décision de justice s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire avec le chef de dispositif annulé ; qu'en l'espèce, la société Arma Leder BV demandait la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Arma Cuir d'une créance au titre de factures impayées, notamment au titre du solde dû au titre du protocole transactionnel du 2 octobre 2013 ; que par ailleurs, la société Arma cuir contestait la créance invoquée par la société Arma Leder BV en excipant de l'inexécution ou de la mauvaise exécution de certaines commandes ; que pour accueillir partiellement la demande de la société Arma Leder BV et fixer la créance de cette dernière au passif de la liquidation judiciaire de la société Arma cuir à la somme de 1 005 890,15 euros, la cour d'appel a notamment retenu que "compte tenu de la solution du présent litige, la créance sur la société Arma cuir de 1 025 645,60 euros dont se prévaut la société Arma Leder BV est constituée : - par le solde dû sur la reconnaissance de dette notariée du 2 décembre 2013 ; - pour 200.127,35 euros au titre de factures impayées", et a considéré que "compte tenu de la circonstance déjà retenue selon laquelle de nombreuses factures étaient impayées à leur échéance par la société Arma cuir", la société Arma Leder BV avait valablement mis en oeuvre l'exception d'inexécution ; qu'il en résulte que la cassation qui interviendra sur l'une quelconque des critiques du premier moyen, qui reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de résolution judiciaire du protocole transactionnel du 2 octobre 2013, ainsi que les demandes indemnitaires de la société Arma cuir au titre d'actes de concurrence déloyale ainsi que de livraisons non-exécutées ou mal exécutées, entraînera par voie de conséquence la cassation du chef de dispositif de l'arrêt attaqué ayant fixé la créance de la société Arma Leder BV dans la liquidation judiciaire de la société Arma cuir à la somme de 1 005 890,15 euros, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
9. Selon ce texte, la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
10. Pour faire droit à la demande de fixation de créance formée par la société Arma Leder BV, l'arrêt relève que la créance est constituée au regard du rejet de la demande de résolution de la transaction aux torts exclusifs de celle-ci et du défaut de paiement par la société Arma cuir de nombreuses factures à leur échéance. Il en déduit que la société Arma Leder BV a valablement mis en oeuvre l'exception d'inexécution.
11. La cassation prononcée sur le premier moyen entraîne donc la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif fixant la créance de la société Arma Leder BV dans la liquidation judiciaire de la société Arma cuir à la somme de 1 005 890,15 euros, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Arma Leder BV aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Arma Leder BV et la condamne à payer à la société [N] et associés, en la personne de M. [N], agissant en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Arma cuir, M. [V], Mme [L] et la société Arma cuir la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que le présent arrêt sera transcrit en marge ou la suite de l'arrêt rabattu ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille vingt-deux.