LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
COUR DE CASSATION
FB
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QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Audience publique du 9 juin 2022
RENVOI (QPC n° 1)
NON-LIEU A RENVOI (QPC n° 2)
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 484 FS-D
Affaire n° S 22-40.008
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 JUIN 2022
La cour d'appel de Rennes a transmis à la Cour de cassation, suite à l'arrêt rendu le 18 mars 2022, les questions prioritaires de constitutionnalité, reçues le 24 mars 2022, dans l'instance mettant en cause :
D'une part,
M. [O] [G], domicilié [Adresse 1],
D'autre part,
le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Nantes, dont le siège est [Adresse 2],
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vaissette, conseiller, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juin 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Vaissette, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Bélaval, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, conseillers, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. M. [G], précédemment avocat inscrit au barreau de Nantes, a été, sur sa demande, omis du tableau de l'ordre des avocats en 2007 pour être inscrit sur la liste des mandataires judiciaires. Exerçant depuis lors cette profession, il a saisi le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Nantes pour obtenir la levée de son omission afin d'exercer concomitamment les professions de mandataire judiciaire et d'avocat.
2. Par décision du 23 novembre 2021, le conseil de l'ordre des avocats a rejeté sa demande aux motifs que l'article L. 812-8 du code de commerce lui interdit d'exercer toute autre profession que celle de mandataire judiciaire, tant qu'il demeure inscrit sur la liste de cette profession.
3. M. [G] a relevé appel de cette décision et, par un mémoire distinct, a demandé à la cour d'appel de transmettre deux questions prioritaires de constitutionnalité à la Cour de cassation.
Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité
4. Par arrêt du 18 mars 2022, la cour d'appel de Rennes a transmis les deux questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :
« 1°/ L'article L. 812-8 du code de commerce, en ce qu'il interdit au mandataire judiciaire l'exercice de la profession d'avocat, est-il contraire au principe d'égalité devant la loi, dès lors que cet exercice est ouvert aux administrateurs judiciaires (L. 811-10 du code de commerce), profession par ailleurs soumise aux mêmes conditions et contraintes que le mandataire judiciaire ?
2°/ L'article L. 812-8 du code de commerce, en ce qu'il interdit au mandataire judiciaire l'exercice de la profession d'avocat, est-il contraire au principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre en portant une atteinte disproportionnée à celle-ci au regard des objectifs d'intérêt général que la loi entend poursuivre, la profession de mandataire judiciaire étant elle-même soumise à une certaine concurrence ? »
Examen des questions prioritaires de constitutionnalité
5. La disposition contestée par les deux questions est applicable au litige puisqu'elle fonde l'interdiction faite à M. [G], en sa qualité de mandataire judiciaire, d'exercer la profession d'avocat.
6. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
Sur la seconde question prioritaire de constitutionnalité fondée sur le principe de la liberté d'entreprendre
7. D'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
8. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
L'incompatibilité de la qualité de mandataire judiciaire inscrit sur la liste avec l'exercice de toute autre profession, y compris celle d'avocat, a pour objectif d'assurer l'indépendance du mandataire, de prévenir les conflits d'intérêts pouvant résulter de l'exercice simultané d'autres professions et de favoriser une entière disponibilité du professionnel pour l'accomplissement de ses mandats de justice. Il en résulte que le législateur, en interdisant aux mandataires judiciaires l'exercice de toute autre profession, a poursuivi un objectif d'intérêt général, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre de ces professionnels.
9. Il n'y a donc pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
Sur la première question prioritaire de constitutionnalité fondée sur le principe d'égalité devant la loi
10. La question présente un caractère sérieux.
11. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
12. L'article L. 811-10, alinéa 1, du code de commerce autorise un administrateur judiciaire à exercer la profession d'avocat, tandis que l'article L. 812-8, alinéa 1, du même code le prohibe pour un mandataire judiciaire.
13. Si les missions exercées respectivement par les administrateurs et mandataires judiciaires, pour le traitement des entreprises en difficulté, sont distinctes, les premiers étant chargés, selon l'article L. 811-1, alinéa 1, du code de commerce d'administrer les biens d'autrui ou d'exercer des fonctions d'assistance ou de surveillance dans la gestion de ces biens afin de parvenir à la sauvegarde ou au redressement de l'entreprise, quand les seconds, d'après l'article L. 812-1 du même code, sont chargés de représenter les créanciers, de déterminer le passif du débiteur et de procéder, le cas échéant, à la liquidation de l'entreprise pour apurer le passif, les deux professions, qui s'exercent sous mandat de justice et sont dépourvues de clientèle, répondent à des conditions d'accès et des statuts similaires, sont soumises aux mêmes obligations déontologiques, parmi lesquelles celle de l'indépendance, et à des règles identiques quant à leur contrôle et à leur discipline.
14. Dès lors, la confrontation des articles L. 811-10 et L. 812-8 du code de commerce établit une différence de traitement entre deux situations qui paraissent similaires, sans que leur traitement différencié semble justifié par des motifs d'intérêt général.
15. En conséquence, il y a lieu de renvoyer la première question au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la seconde question prioritaire de constitutionnalité ;
RENVOIE au Conseil constitutionnel la première question prioritaire de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille vingt-deux.