LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 juin 2022
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 458 F-D
Pourvoi n° Y 21-15.791
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [M].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 14 avril 2021.
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [L].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 28 juin 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUIN 2022
M. [F] [M], domicilié [Adresse 4], [Localité 3], a formé le pourvoi n° Y 21-15.791 contre l'arrêt rendu le 5 novembre 2020 par la cour d'appel de Caen (3e Chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme [O] [L], épouse [M], domiciliée [Adresse 1], [Localité 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [M], de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de Mme [L], après débats en l'audience publique du 12 avril 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (5 novembre 2020), Mme [L], de nationalité marocaine, et M. [M], de nationalité franco-marocaine, se sont mariés à Al Hoceima (Maroc), le 15 mai 2015.
2. Le 11 octobre 2018, Mme [L] a présenté une requête en divorce.
3. M. [M] a opposé une fin de non-recevoir tirée de l'existence d'un jugement de divorce marocain du 8 mars 2018.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [M] fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la requête en divorce, alors « que la décision rendue par une juridiction siégeant au Maroc a de plein droit l'autorité de chose jugée en France si les parties ont été légalement citées et représentées ; que la contrariété à l'ordre public international de procédure suppose que les intérêts d'une partie aient été objectivement compromis par une violation des principes fondamentaux de la procédure ; que le jugement marocain du 8 mars 2018 constate que l'épouse était représentée par un avocat lors de l'audience au cours de laquelle la demande en divorce a été examinée ; que cette constatation s'imposait au juge français ; qu'elle excluait la contrariété à l'ordre public international de procédure ; que la cour d'appel a violé l'article 16 de la Convention d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition du 5 octobre 1957. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 16 et 19 de la Convention franco-marocaine d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition du 5 octobre 1957 :
5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le juge saisi d'une demande de reconnaissance d'un jugement marocain vérifie si elle émane d'une juridiction compétente, si les parties ont été légalement citées, représentées ou déclarées défaillantes, si elle est, d'après la loi marocaine, passée en force de chose jugée et susceptible d'exécution, si elle ne contient rien de contraire à l'ordre public français et n'est pas contraire à une décision judiciaire française et possédant à son égard l'autorité de la chose jugée.
6. Pour déclarer recevable la requête en divorce, l'arrêt retient que, si le jugement marocain mentionne un domicile commun au Maroc et la représentation de l'épouse par un avocat, Mme [L] était absente à l'audience de conciliation du 13 décembre 2017, qu'il résulte de son passeport qu'elle est rentrée en France en octobre 2017 et n'est pas retournée au Maroc, et qu'elle n'a donc pas été convoquée à son adresse réelle en France, de sorte que la procédure suivie devant le juge marocain n'était pas contradictoire.
7. En statuant ainsi, alors qu'il n'entrait pas dans ses attributions de vérifier la réalité des formalités accomplies par la juridiction marocaine et mentionnées dans la décision dont l'opposabilité était invoquée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
8. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt du chef du dispositif déclarant la requête en divorce recevable entraîne la cassation de tous les autres chefs du dispositif qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire, la reconnaissance du jugement de divorce étranger étant une question préalable à l'examen de l'action dont est saisi le juge français.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne Mme [L] aux dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. [M].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué, critiqué par M. [M], encourt la censure ;
EN CE QU' ayant retenu que le jugement du Tribunal de première instance d'AL HOCEIMA en date du 8 mars 2018 est contraire à l'ordre public et ne saurait être reconnu, il a déclaré recevable la requête en divorce ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, la décision rendue par une juridiction siégeant au Maroc a de plein droit l'autorité de chose jugée en France si les parties ont été légalement citées et représentées ; que la contrariété à l'ordre public international de procédure suppose que les intérêts d'une partie aient été objectivement compromis par une violation des principes fondamentaux de la procédure ; que le jugement marocain du 8 mars 2018 constate que l'épouse était représentée par un avocat lors de l'audience au cours de laquelle la demande en divorce a été examinée ; que cette constatation s'imposait au juge français ; qu'elle excluait la contrariété à l'ordre public international de procédure ; que la Cour d'appel a violé l'article 16 de la Convention d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition du 5 octobre 1957 ;
ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, la décision rendue par une juridiction siégeant au Maroc a de plein droit l'autorité de chose jugée en France si elle ne contient rien de contraire à l'ordre public français ; que le jugement marocain du 8 mars 2018, dont les constatations n'étaient pas contestées, loin de consacrer une répudiation unilatérale, a prononcé le divorce dans le cadre d'une procédure judiciaire fondée sur la discorde ; que contrairement à ce qu'ont énoncé les premiers juges, il ne pouvait être regardé comme contraire à l'ordre public international, pour constater une répudiation unilatérale ou la mise en oeuvre d'une procédure assimilée ; qu'à cet égard également, la Cour d'appel a violé l'article 16 de la Convention d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition du 5 octobre 1957 ;
ET ALORS QUE, TROISIEMEMENT, et en tout cas, si l'arrêt ne pouvait être censuré pour violation de la loi, il devra l'être à tout le moins pour dénaturation du jugement du 8 mars 2018 dès lors que, loin de se prononcer sur une répudiation unilatérale ou une procédure assimilée, il a prononcé le divorce, pour discorde, dans le cadre d'une procédure judiciaire contradictoire.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDAIRE)L'arrêt attaqué, critiqué par M. [M], encourt la censure ;
EN CE QUE le juge s'est reconnu le pouvoir de se prononcer sur la dissolution du lien matrimonial, a dit le juge français compétent pour statuer, a dit la loi française applicable au litige, a déclaré recevable la requête en divorce et a prescrit des mesures provisoires ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, le juge aux affaires familiales et la Cour d'appel n'ont le pouvoir de se prononcer sur la requête en divorce qu'en présence d'un lien conjugal ; qu'en l'espèce, le jugement marocain du 8 mars 2018 devait être regardé comme contradictoire et rendu dans le respect des droits de la défense dès lors que ses constatations, qui s'imposaient au juge français, faisaient apparaitre que l'épouse était représentée par un avocat lors de l'audience au cours de laquelle la demande en divorce a été examinée ; qu'à cet égard, le jugement du 8 mars 2018 devait être reconnu ; qu'il faisait obstacle au pouvoir du juge aux affaires familiales ; que l'arrêt attaqué doit être censuré pour excès de pouvoir ;
ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, ainsi qu'il résulte des énonciations du jugement marocain du 8 mars 2018, dont les constatations n'étaient pas contestées, que le divorce a été prononcé dans le cadre d'un divorce judiciaire pour discorde et non dans le cadre d'une répudiation unilatérale ; qu'à cet égard également, il devait être reconnu faute d'être contraire à l'ordre public international ; que par suite, le juge aux affaires familiales de la Cour d'appel n'avait pas le pouvoir de se prononcer sur la demande en divorce de l'épouse ; qu'à cet égard également, l'arrêt attaqué doit être censuré pour excès de pouvoir.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué, critiqué par M. [M], encourt la censure ;
EN CE QU' il a décidé, reprenant le dispositif de l'ordonnance, que la loi française était applicable au litige, soit au prononcé du divorce ;
ALORS QUE si, appelés à se prononcer sur les mesures provisoires, le juge aux affaires familiales et la Cour doivent déterminer la loi applicable aux mesures provisoires, en revanche, il n'entre pas dans leurs attributions de déterminer la loi applicable au divorce ;
que l'arrêt attaqué doit être censuré pour excès de pouvoir au regard des articles 3 et du Code civil, ensemble l'article 1110 du Code de procédure civile.